La région forestière est le théâtre des récurrents affrontements entre éleveurs (guinéens et étrangers) et agriculteurs. Les derniers cas enregistrés à Lainé (Lola) début janvier ont été documentés par un collectif d’ONG de défense des droits humains qui pointe le laxisme des autorités locales et la répression de l’armée, entraînant un mort par balle, des blessés et des pillages de biens privés.

Le changement climatique avec pour effet l’assèchement des cours d’eau et des pâturages au Fouta et en Haute-Guinée font de la Guinée forestière une destination prisée des éleveurs guinéens. Ces derniers y sont rejoints par leurs homologues ivoiriens et maliens qui fuient le terrorisme dans leurs pays. La cohabitation entre ces groupes et les agriculteurs trouvés sur place est difficile, à cause de la pression foncière, la destruction des champs par les animaux en divagation. Des affrontements ont éclaté le 12 janvier dans la sous-préfecture de Lainé, à Lola. Des jeunes autochtones remontés contre la destruction des champs agricoles par les animaux ont réclamé le départ immédiat des bouviers. Le maire Walamou Sonomou leur a demandé trois jours pour étudier le problème et y apporter de solution. Insatisfaits, les manifestants ont incendié des habitations appartenant à des bouviers et au maire, érigé des barrages de troncs d’arbres pour bloquer l’entrée de Lainé, selon le rapport d’un collectif d’ONG comprenant Mêmes droits pour tous (MDT), Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen (OGDH), Avocats sans frontières (ASF-Guinée), Observatoire citoyen pour la justice et la paix (OCJP) et Volontaires guinéens des droits humains (VGDH)/N’Zérékoré.

« Ainsi, la journée du 12 janvier 2024, les manifestants avaient le contrôle de la localité », rapporte ce document de 27 pages, rédigé le 20 janvier et consulté par notre rédaction.  

Des militaires pillards ?

Des violences qui ont abouti à la réquisition de la police et de la gendarmerie le 13 janvier, comme l’explique le commandant de la gendarmerie départementale de Lola aux auteurs du rapport : « Nous les (les jeunes révoltés) avons trouvés à la rentrée. Nous avons entamé une discussion de courtoisie avec les manifestants, dont certains étaient parés de fétiches, armés de fusils de chasse et de gourdins. Nous leur avons demandé d’enlever les troncs d’arbres et d’accepter que nous rentrions dans la ville pour entamer des négociations en vue d’éviter tout débordement, des exactions entre eux d’une part et une confrontation avec les forces de l’ordre, d’autre part. C’est devant le refus catégorique des manifestants que nous avons replié pour demander un renfort. »

C’est ainsi qu’entre en jeu l’armée venue de N’Zérékoré et de Lola : tirs de sommation et de gaz lacrymogènes, dégagement de la voie d’accès, suivis de débandades des villageois et de pillages de commerces et de maisons d’habitation. Certains fugitifs étaient toujours en brousse ou dans les villages voisins. « J’ai vu les militaires vidés le contenu de ma boutique, témoigne une victime. J’ai demandé à un des militaires de me laisser la boîte de mayonnaise qui était dans ses mains. Il m’a dit : ‘’Si tu ne quittes pas ici, je vais te tuer’’. Aidez-nous, afin que nos biens soient restitués. » Le propriétaire d’un débit de boissons d’ajouter : « Mon bar a été pillé et dévalisé par les militaires. J’étais caché et j’ai suivi la scène. J’ai perdu un stock de boissons d’une valeur de cinq millions de francs guinéens et un montant de huit millions, plus la totalité de mes appareils sonores. »

Un mort, des blessés et des interpellations

Plus de « six boutiques d’articles divers, cinq bars et sept magasins de stock de riz et de farine ont été pillés et vidés par les militaires. D’autres magasins pillés que les enquêteurs n’ont pas pu observer car » isolés, selon le rapport.

Le rapport dénombre un mort par arme à feu, des blessés dont quatre hommes en uniforme et près d’une centaine d’interpellations. « Je suis un vieux de 70 ans, couché à la maison avec ma femme. Ils (les militaires) ont poussé notre porte avec force. Ils m’ont pris. Et lorsque ma femme s’est interposée, ils l’ont prise. Je suis malade, je ne peux pas sortir manifester », témoigne un des interpellés. Un blessé, sur son lit de malade, renchérit : « J’étais allé chercher mes enfants, les militaires tiraient partout lorsqu’une balle a traversé mon corps. J’ai saigné jusqu’à 16h. Ils ont appelé l’ambulance de Lola à mes frais. Je suis allé passer la radio. Les médecins m’ont indiqué un village pour la suite du traitement. Je demande aux bonnes volontés de me venir en aide. Je souffre et je n’ai plus les moyens pour ma prise en charge. » Certains blessés par balle se traitent à l’indigénat ou sont simplement couchés à la maison, faute de moyens et de prise en charge. L’un d’eux redoute la perte de sa jambe.

Chefs d’accusation, déportations

Selon les informations recueillies par le collectif d’ONG de défense des droits humains auprès des autorités judiciaires locales et à travers les visites dans les commissariat central de police et brigade de recherche de la gendarmerie de N’Zérékoré, 70 personnes ont été interpellées : 14 femmes et 6 mineurs, dont 2 écoliers. On les poursuit pour « coups et blessures volontaires, incendies volontaires, outrages aux agents dépositaires de la loi et de la force publique, détention et consommation de chanvres indiens, détentions d’armes légères de calibre 12 et leurs munitions et charlatanisme ». Alors que les auditions des prévenus étaient bouclées et que les procès-verbaux d’auditions devaient être déférés au parquet de N’Zérékoré, dans la nuit du 16 janvier 2024 vers 22 h, 60 des personnes interpellées ont été transférées vers les prisons de Kindia (27) et de Conakry (33). De quoi compliquer une procédure déclenchée en dehors de la justice de Lola, la juridiction compétente en pareil cas.

Les défenseurs des droits humains ont été confrontés à la réticence des autorités administratives, ballotés entre le gouverneur de N’Zérékoré et le préfet de Lola.

Versions et péchés des autorités

Le sous-préfet de Lainé qui pointe la volonté des manifestants de se faire justice : « J’ai convoqué une réunion avec les notables, les élus, des leaders d’opinions pour leur expliquer que ma hiérarchie m’a clairement dit de ne pas toucher aux anciens bouviers que j’ai trouvés ici. Et je ne devrais pas permettre à qui que ce soit de demander leur expulsion. Je leur ai dit de se calmer et de laisser les bouviers tranquilles jusqu’à ce que j’informe ma hiérarchie. C’est au cours de cette rencontre que les jeunes surchauffés sont venus et ont demandé la tenue d’une réunion à la place publique. Et c’est de là que tout a commencé. »

Le maire de Lainé a vu sa maison incendiée par les manifestants, avec tout son contenu dont sa voiture et sa moto. Interrogé par les auteurs du rapport, il a confié : « Les jeunes m’ont demandé qu’est-ce que je fais de la situation des bouviers à Lainé. Je leur ai demandé de me donner trois jours afin de prendre toutes les dispositions utiles. Beaucoup de jeunes et leaders du groupe n’étaient pas d’accord. Ils voulaient que tout de suite les éleveurs quittent Lainé. Ce qui pour moi était très prématuré. » En larmes, le maire renchérit : « Quand les gens disent que c’est moi qui ai demandé aux militaires de venir, au contraire, je leur ai demandé de faire un repli tactique à Lola et le moment venu, je leur ferais appel. Tout a été décidé à Lola et à N’Zérékoré. Je ne suis pour rien ».

Le rapport dénonce la partialité des autorités administratives qu’il soupçonne de percevoir de pots-de-vin versés par les bouviers contre autorisation de s’installer. « Ces violences sont les conséquences directes de la négligence et la lenteur des autorités administratives dans la résolution des crises et l’absence d’un mécanisme administratif de prévention et de gestion efficace des conflits nés des rapports de cohabitation entre les communautés », conclut-il.

Diawo Labboyah Barry