Du côté des autorités, ces derniers jours, on a sorti l’artillerie lourde pour défendre la thèse du glissement de la Transition au-delà de décembre prochain. Bien sûr, le premier ministre, Bah Oury, avait laissé poindre l’idée dans sa toute première sortie médiatique, après sa nomination, chez nos confrères de RFI. Et même, au cours des quelques consultations qu’il avait eues avec certains acteurs sociopolitiques, il avait explicitement plaidé en ce sens. Mais c’est lors de sa conférence de presse de vendredi dernier qu’il a particulièrement défendu la cause. Le lendemain, c’est le président du CNT qui, lui aussi acculé par le retard que connait le processus d’élaboration de la nouvelle constitution, a subtilement flétri l’empressement qui se traduit dans les commentaires des médias. Mais les arguments que tous mettent en avant comportent un biais qu’il importe de relever. En effet, l’idée phare est de prétendre qu’une transition courte ne permettrait pas de poser les bases qui feraient sortir le pays du cercle vicieux qui fait qu’il a généralement tendance à retomber sur ses pattes. Justement, cet argument mérite une certaine clarification.

Premièrement, il importe de souligner que la Guinée n’a pas connu des dizaines de transitions. Elle n’en est qu’à sa troisième. Certes, en soi, trois transitions militaires dans un pays, ça n’a rien d’honorable. Mais il n’est pas inutile de garder le nombre précis à l’esprit, au regard des discours que l’on entend aujourd’hui. Ainsi donc, hormis celle que le pays traverse aujourd’hui, il n’y a que deux transitions desquelles on pourrait tirer les leçons.

Or, justement, rappelons que celle de Lansana Conté n’était pas aussi courte qu’on voudrait nous le faire croire. Elle était même très longue, dans la mesure où elle a vécu de 1984 à 1992, soit 8 ans. Et quel en fut le bilan ? La Guinée s’en était-elle sortie démocratique et développée ? Des institutions fortes en étaient-elles sorties ? En avait-on profité pour asseoir les bases d’une société réconciliée et apaisée ? Bien sûr, chacun a sa réponse à ces questions. Mais on se rappelle tous des convulsions sociopolitiques que le pays a connues en 2006 et 2007 dont on peut dire qu’elles ne reflétaient néanmoins pas un bilan particulièrement élogieux. En soi, une transition longue ne garantit en rien des réformes solides. Tout au contraire, avec Lansana Conté, on peut penser que le fait pour des militaires de rester longtemps au pouvoir est de nature à leur donner un goût supplémentaire du pouvoir. Cet aspect aussi est à prendre en compte dans le débat.

Quant à la deuxième transition militaire de l’histoire de la Guinée, elle a été pilotée par le CNDD, le capitaine Moussa Dadis Camara, puis le général Sékouba Konaté, de 2008 à 2010. Mais là, l’actuel premier ministre ne devrait pas s’en inspirer pour flétrir la pression que les politiques mettraient sur les autorités, en vue d’un retour diligent à l’ordre constitutionnel. Car Bah Oury était le président du comité d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009. Ou bien, voudrait-on nous dire que les craintes de 2009 ne sont pas acceptables en 2024 ? En tout cas, au vu de tout ce que le procès de la répression de cette manifestation nous a appris, on ne devrait pas blâmer ceux qui avaient œuvré pour la fin de cette transition-là. Parce qu’ils pourraient nous avoir épargné un destin encore plus chaotique. Cela aussi, il ne faut pas l’oublier.

Finalement, une transition, qu’elle soit longue ou courte, ce n’est pas cela l’élément déterminant du succès ou de l’échec. Tout est dans la bonne foi de ceux qui la conduisent. Or, cette bonne foi, elle s’exprime tout d’abord avec et dans le respect des engagements initiaux. Parce qu’autrement, les intentions des dirigeants sous nos tropiques, qu’ils soient militaires ou civils, demeurent insondables.

Boubacar Sanso Barry