Dans les Etats nègres, les alternances politiques se suivent, mais ne se ressemblent pas. Elles empruntent des formes et des voies diverses. Tantôt, elles sont le produit des urnes, tantôt celui de putschs, militaire ou civil. On note que toutes ces formes d’alternance sont marquées par un important déficit de légitimité. On parle de plus en plus de putsch civil pour désigner les opérations de tripatouillage constitutionnel qui aboutissent généralement au troisième mandat, cause de violents conflits post-électoraux et d’affaiblissement de l’unité nationale.
Durant les trois dernières années, l’Afrique de l’Ouest a connu ces diverses formes d’alternance. Si on se réfère aux normes internationales de la démocratie, on observe des années lumières entre les Etats et les landerneaux politiques. Tenez ! Le Sénégal vient d’organiser une élection présidentielle presque parfaite. Il n’y a pas d’œuvre humaine parfaite, dit-on. Les circonstances ont imposé un délai d’organisation plus bref. La campagne électorale s’est déroulée dans une atmosphère délétère. Un opposant virulent a triomphé alors qu’il était encore en prison à deux semaines de la proclamation des résultats. Le candidat de la majorité présidentielle et, de surcroît Premier ministre, a été battu à plate-couture tandis qu’un dinosaure qui prétendait naguère être Président, a été écrabouillée. Il n’y a pas eu la moindre dispute après la proclamation des résultats.
Dans la Région des grands Lacs, l’élection présidentielle n’a pas joui de la même sérénité. Un grand prélat catholique de ce grand pays assidûment visité par les Papes est invité au Tribunal pour expliciter des propos considérés comme peu amènes à l’endroit des autorités. Les conditions d’organisation du scrutin n’ont pas été suffisamment transparentes pour tout le monde.
Ces dernières années, les putschs ont été nombreux, particulièrement en Afrique de l’Ouest, à cause de la situation sécuritaire et de la pauvreté. Les militaires au pouvoir au Mali et au Burkina Faso ont de plus en plus mailles à partir avec les politiciens et la société civile. Tout ce qui a un relent politique répugne aux gouvernants. Au Mali, partis politiques, organisations de la société civile et activités d’essence politique sont suspendus. Au Burkina Faso, on défile et on s’agglutine devant des ambassades, en agitant des drapeaux russes et en vouant aux gémonies « ceux qui ne pensent qu’aux élections. »
Les Dieux sont-ils tombés sur la tête par là-bas ? On y réclame aussi la prolongation de la durée de la Transition préalablement fixée par une Charte consensuelle et la liberté pour les chefs des juntes de briguer la Présidence de la République. On est encore bien loin des élections. Le vieil adage nous enseigne qu’il y a de la coupe aux lèvres. D’ores et déjà, ce qui s’entend, se dit et se fait dans ces deux pays n’augure rien de bon pour l’épanouissement de la démocratie. Loin s’en faut. L’alternance y est à la peine !
Autant l’alternance a suscité, au Sénégal, admiration et surtout espoir, autant elle provoque dans les Etats du Sahel, récriminations et inquiétude. Les deux nations ont connu, on sait, des périodes d’intenses activités politiques. Elles ont produit de grandes formations politiques qui ont animé la lutte pour l’indépendance, conduit la dynamique du développement socioéconomique. Les Maliens et les Burkinabé ont intériorisé, durant cette période, une solide culture démocratique. Qui, sous la pression des évènements actuels, ne tardera pas à sortir de sa léthargie. Pour le meilleur ou le pire.
Abraham Kayoko Doré