Les maisons d’édition en Guinée peinent à obtenir des correcteurs compétents. Ce qui déteint sur la qualité des ouvrages édités.
« La Côte d’Ivoire a choisi les genres du spectacle, le Burkina Faso, le cinéma, le Mali, la photographie et le Sénégal, l’art contemporain. En Guinée, nous voulons les livres », affirmait récemment le directeur de la maison d’édition Harmattan Guinée, Sansy Kaba Diakité. Mais, faudrait-il pour cela que les livres soient de qualité.
La maison d’éditions Harmattan, qui organise depuis une dizaine d’années la fête du livre en Guinée, a été créée en 2006 en partenariat avec l’Harmattan de Paris. Aujourd’hui, elle compte plus de 800 titres publiés sur la Guinée ou par des auteurs guinéens. Selon Mohamed Lamine Camara, son responsable édition et librairie, la quête de qualité obsède la maison. Sur 100 manuscrits proposés, seulement deux livres seraient publiés. Après avoir été passés au peigne fin. « Quand nous recevons des textes, les orientations sont faites, en fonction du sujet, à un directeur de collection ou au comité de lecture. Cette relecture se fait en deux ou trois temps pour nous permettre de filtrer », assure-t-il.
L’Harmattan et le défi de la perfection
L’Harmattan Guinée totaliserait plus d’une dizaine de directeurs de collection qui, parfois, feraient appel à des universitaires. « On a beaucoup de profils. On n’a donc pas de problème à avoir des correcteurs. Le partenariat qu’on a avec l’Harmattan de Paris nous permet de travailler sur l’ensemble des textes que nous recevons. S’il y a des publications guinéennes qui sortent avec des tournures ou qui ne répondent pas aux exigences littéraires, ce serait ailleurs », botte en touche Mohamed Lamine Camara.
La rigueur tant vantée et le partenariat mis en avant par ce dernier ne suffisent cependant pas à l’Harmattan Guinée de publier des œuvres irréprochables. C’est du moins l’avis de Mambi Magassouba, auteur du roman Tant d’errance édité par Harmattan Guinée. En 2020, l’auteur a travaillé avec un correcteur du comité de lecture. Il en garde un mauvais souvenir. « Le correcteur, qui est professeur dans une école, m’a fait un devis très accessible. Ce qui m’a fait douter. Je n’ai plus fait une relecture après sa correction. C’est après la publication, en relisant, que j’ai vu beaucoup de fautes. Après investigation, je me suis rendu compte que ce n’est pas lui qui a travaillé », déplore Mambi Magassouba.
Son œuvre pleine de coquilles a été nominée au Prix Amadou Kourouma de Genève, qu’il ne gagnera pas. L’auteur fait arrêter la distribution du roman pour le soumettre à un autre correcteur de l’Harmattan, avant de le republier. Par la suite, il remportera le prix Djibril Tamsir Niane du meilleur écrivain guinéen en 2020, organisé par Podium Magazine.
Recours aux correcteurs étrangers
À la maison d’éditions Gandal, son directeur général, El Hadj Aliou Sow, avoue ses difficultés dès l’entame. « Aujourd’hui, en Guinée, il faut reconnaitre qu’on n’a pas beaucoup de correcteurs compétents, comme l’exige l’édition. C’est un métier : ce sont des gens formés pour être correcteurs, qui savent lire, corriger, redresser les tournures grammaticales », précise-t-il. Pour remédier au déficit de correcteurs, le directeur de Gandal fait parfois recours aux Maliens et Sénégalais.
Les éditions Gandal éditent des manuels scolaires, de la littérature générale depuis plus de 30 ans. Mais elles sont réputées dans l’édition de livres de jeunesse et des ouvrages sur les langues nationales. Cela se fait non sans difficultés : « Vu qu’on publie aussi des essais, il y a des universitaires qui viennent à moi. Quand j’ai un livre de vulgarisation scientifique, je n’ai pas de personnel spécialisé dans ce domaine. Je suis obligé de recourir aux services d’un étranger. Actuellement, je travaille sur un ouvrage juridique. Mais je n’ai pas de correcteurs, parce que le niveau de l’auteur est si élevé qu’il m’est difficile de trouver une personne qui puisse le relire. Je suis obligé de travailler avec l’auteur, tout en cherchant des conseils à gauche et à droite », déplore El Hadj Aliou Sow. « On n’a pas toujours les bonnes personnes, compétentes, même en littérature générale », insiste-t-il.
Nouvelles maisons, nouveaux auteurs
Les nouvelles maisons d’édition, qui poussent partout, sont prisées par les auteurs en herbe, pour publier des œuvres souvent de piètre qualité. Gandal et Harmattan confient, sans donner de noms, avoir, à maintes reprises, recalé des manuscrits qui ont été publiés ailleurs, pour la plupart avec des coquilles. Le directeur d’Innove Editions, une maison créée en 2019, rejette une telle thèse. Jean-Baptiste Zébélamou assure être à l’abri des coquilles, grâce au comité de lecture de sa maison d’édition. Par ailleurs, il estime que le débat ne doit pas porter sur la qualité. « Ce qui est important, c’est le courage que la jeune génération a de se mettre à la tâche pour écrire des livres. Il y a dix ans de cela, ils n’osaient pas le faire. C’est ce qu’il faut apprécier et encourager. Ensuite, on passera à l’amélioration », dédramatise le directeur d’Innove Editions.
Les difficultés, au-delà de la correction, portent « sur toute la chaîne de fonctionnement d’une maison d’édition. Car, la Guinée n’a pas une filière édition qui forme des correcteurs comme au Sénégal, au Mali. E la transmission du savoir-faire entre l’ancienne et la nouvelle génération est presque inexistante », conclut le directeur général des Editions Gandal.
Diarouga Aziz Balde