Par Dr Paul FABER, ancien Coordinateur national du Projet de Redressement du Secteur de l’Electricité en Guinée (2015 à 2019).
La situation catastrophique que nous vivons maintenant n’est pas une fatalité. Loin s’en faut, nous sommes la cause de nos propres problèmes. Nous payons le tribut de nos erreurs du passé, de nos pilotages à vue en matière de gestion, et aussi, pour le défaut de planification et de programmation rigoureuses pour le développement de ce secteur.
Le Partenaire, le groupement Veolia/Seureca qui avait géré ce secteur de 2015 à 2019, avait atteint des résultats tangibles et éloquents à cette époque, au regard de la situation vétuste de secteur dont il avait hérité.
De manière synoptique, le diagnostic qui avait précédé la reprise en main de gestion d’EDG se résumait comme suit :
- Absence de vision sur la politique de développement à moyen-long termes.
- Base et structure tarifaires inadaptées en fonction des coûts réels d’injection,
- Système informatique commercial obsolète,
- Corruption très importante au sein des anciennes structures d’EDG,
- Manque de formation et de motivation du personnel d’encadrement et d’exécution,
- Fichier client incomplet,
- Très faible rendement de facturation (de l’ordre de 60% environ),
- Réseau BT très délabré, sa maintenance étant parfois assurée par la population locale,
- Réseau électrique non systématiquement équipé de protections,
- Comptabilité non auditée depuis 4 ans, en l’absence d’états financiers complets,
- Impayés élevés, notamment dans le segment des administrations,
- Stock de compteurs à prépaiement de quelque 200.000 unités achetées par tranches successives depuis 2002 dont une partie seulement peut être utilisée (estimations : 20.000 unités hors d’usage ; 80.000 unités récupérables moyennant reconditionnement),
- Carences dans la gestion des stocks et pièces de rechange,
- Pyramide des âges inversée (dont excédent de cadres).
(Diagnostic établi par le Cabinet Nodalis, en octobre 2011).
L’une des premières missions de l’opérateur fut de compléter ce diagnostic, et d’envisager d’autres actions de redressement qui ont débouché sur l’établissement de 26 documents techniques, ciblant des actions spécifiques de la restructuration, tels que recommandés par le contrat de gestion.
Les points cités ci-dessus donnent une idée claire du contexte dans lequel l’équipe Veolia a pris en main cette gestion.
Des efforts importants ont été fournis au cours de cette période, tant par le personnel d’EDG, qui était conscient des enjeux du secteur, que par le groupement Veolia/Seureca, qui était assisté par l’Auditeur interne Price Waterhouse Belgique, sous la supervision du PRSE, qui était piloté par mes soins, de 2015 à 2019.
Aussi, faut-il préciser que des outils et instruments techniques importants avaient été mis en place pour maîtriser tous les paramètres du secteur, et pour réunir les meilleures conditions de sortir le secteur de l’électricité de cette précarité, notamment :
- Le recours à un auditeur interne (cité plus haut) dont la mission était d’auditer les conditions d’exploitation du service public pour nous éviter des dérives comme celles que nous subissons en ce moment, d’assurer le suivi des performances du secteur, et aussi d’assister l’Etat dans son rôle de régulateur et de puissance du service public.
- La conception et la mise en œuvre d’un Plan de Redressement du Secteur (PRI), qui avait été développé sur trois axes, dont :
Axe 1 : amélioration de la qualité de service, portant sur la mise en œuvre de 33 points, tant pour répondre à la demande, avec à la clé, une production suffisante, pour fiabiliser la fourniture et la qualité de service, que pour assurer la satisfaction de la clientèle.
Axe 2 : améliorer la performance commerciale, portant sur la mise en œuvre de dix actions portant sur l’augmentation des revenus du secteur et l’amélioration du taux de recouvrement de toute la clientèle confondue, y compris l’Etat.
Axe 3 : la réorganisation et le renforcement des capacités d’EDG, se rapportant à dix autres points à mettre en œuvre dans le domaine de la maîtrise de coûts de gestion, de l’amélioration, de l‘organisation et du fonctionnement de la structure.
Que faut-il retenir, sinon que la mise en œuvre de ce PRI par l’opérateur s’est normalement déroulée pendant la gestion de l’opérateur, en ne perdant pas de vue que dans le fond, le PRI ne se limitait pas à une liste d’actions théoriques ; il était accompagné d’un programmes d’investissements requis pour réaliser ces actions, assorti d’un plan d’affaires détaillé y afférent, avec un suivi rigoureux des missions spécifiques assignées à l’opérateur.
Dans le dernier trimestre de la gestion de l’opérateur, l’auditeur constatait que le suivi détaillé des cahiers de charge était globalement satisfaisant (Responsabilité de l’opérateur). Il remarquait cependant que le suivi détaillé des investissements programmés ne l’était pas, (Responsabilité de l’Etat).
Pour en tirer les leçons, il ne faut pas se leurrer. Si le programme d’investissements ne se réalise pas et que les nouvelles grilles tarifaires ne s’appliquent pas, l’autonomie du secteur ne sera jamais assurée. A ce propos, l’auditeur avait attiré l’attention des parties prenantes sur ces principales recommandations, qui n’ont pas été suivies d’effets, comme ci-dessous indiqué :
La mise en place d’un processus conjoint (DCO/DAF/DAAL) de suivi de la pause des compteurs (Stocks magasin, pose/raccordement/facturation) et établir une synthèse des opérations passées, à rapprocher de la réalité des stocks en magasin. L’adaptation des procédures existantes afin de sécuriser les stocks.
L’adoption et la mise en application d’un dispositif législatif de lutte contre la fraude ainsi que ses documents contractuels (dont, notamment le règlement de service) ;
• Le paiement à bonne date de la totalité des montants dus par les administrations pour leur consommation d’électricité et la réévaluation des avances sur consommation de l’Etat à verser à bonne date ;
• L’exploitation du modèle physico-financier pour définir la trajectoire, le planning et le niveau des augmentations tarifaires et pour proposer une stratégie de mise en œuvre des augmentations tarifaires ;
• l’accélération et la finalisation de la pause des compteurs BT Administration, afin de pouvoir baser les facturations sur les consommations réelles, et de réévaluer les avances de consommations.
• La mise en place de procédures de suivi, contrôle et réconciliation du stock, de la pose des compteurs, du raccordement, de la facturation et de l’enregistrement dans la base de données commerciales ;
• La contractualisation de la liste définitive d’indicateurs applicables pour mesurer la performance et définir les objectifs ;
* La transmission à temps des différents rapports périodiques à l’Auditeur interne.
Ces recommanditions ne sont pas listées pour la forme, elles devraient être appliquées à la lettre, et avec sérieux, si toutefois, nous voulons assurer la viabilité du secteur.
A l’instar de l’opérateur technique d’alors, qui avait des obligations de résultats (avec son contrat de performance, la nouvelle équipe guinéenne de gestion d’EDG n’en avait aucune. Il faut remarquer à ce niveau, que même les recommandations du Conseil d’Administration d’EDG doivent être normalement motivées par un avis d’experts indépendants. Aucune pression d’un audit interne ne s’est réalisée depuis, le PRI d’alors est resté dans les tiroirs. Cette reprise en main par les nationaux, se faisait en roue libre, sinon, la hantise que vivaient les différents directeurs de perdre leurs postes, en cas d’incidents malheureux, comme c’est le cas en ce moment.
Pour parler de la gestion de l’eau dans nos barrages, un plan d’eau se gère, comme nous l’avions fait, avec l’opérateur au mois le mois. En période d’étiage, cette gestion est délicate, et c’est dans cette période que les gestionnaires doivent mettre en place un mix énergétique pour mieux assurer la production.
A ce niveau, le bon reflexe voudrait qu’on puisse prévoir, anticiper, envisager plusieurs scénarii, moyennant comme je l’ai dit plus haut, de fournir des efforts considérables d’investissements, pour compenser le déficit énergétique.
Par ailleurs, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître, le départ de l’opérateur technique Veolia/Seureca était prématuré (Comme quoi, en Guinée, on est toujours pressé de reprendre la relève), pour la simple raison, que le redressement du secteur ne faisait que commencer. On avait besoin d’une période plus longue, pour obtenir de meilleurs résultats, comme ce fut le cas dans plusieurs pays africains, pour espérer consolider les acquis et les paramètres du secteur. Au Maroc, le même projet du genre s’est exécuté en 12 ans, avec des résultats de 100 % de la clientèle branchée, et de 100 % de recouvrement assuré.
N’en déplaise à ceux qui n’aiment pas la comparaison, voyons ce que ce pays a réalisé ces dernières années en matière d’énergie solaire. En Guinée, il aura fallu qu’on subisse cette présente calamité pour mettre sur la table du gouvernement le dossier solaire.
Nous trichons avec nous-mêmes. Soyons sérieux, et arrêtons de jouer au pompier. Nous devons pouvoir prévoir, anticiper, et donner des résultats, sur le terrain pour le bien-être de nos populations.
Pour être cohérent, cependant, le pire peut arriver dans la gestion de tous les secteurs (Exemple : l’incendie des dépôts de carburant, et des autres explosions que nous connaissons). Par contre, l’idéal serait que dans n’importe quelle situation, de disposer de plan A, B et C. Malheureusement, dans notre pays, on n’aborde jamais la solution à nos problèmes de cette façon.
Les énergies nouvelles et renouvelables doivent être nos soupapes de secours – Ces projets dorment dans les tiroirs, tout comme d’autres projets et programmes importants, comme : le plan directeur d’électrification de la Guinée, le prospectus d’électrification de la Guinée à l’horizon 2035, les projets de mini et micro barrages hydroélectriques, et tant d’autres. Pour être positif, il ne s’agit pas de critiquer pour le plaisir, il faut aller plus loin et proposer des solutions. Je suggère :
- De réunir dans les meilleurs délais nos partenaires technique et financier, au chevet du secteur, pour nous aider à réfléchir, pour trouver des solutions urgentes à nos problèmes. Ils pourront nous aider à voir plus clair ;
- Un autre diagnostic s’impose, d’autant plus que nous sommes retournés à la case départ, sinon, que la situation s’est dégradée, depuis les diagnostics de 2012, et ceux de 2016 ;
- Notre démarche doit être caractérisée par des approches à court, moyen, et à long termes, chacune assortie par un plan A, B, et C.
- La reprise de la gestion du secteur par la partie guinéenne a montré ses limites, un nouveau partenariat pour la gestion du secteur n’est pas à exclure, avec bien-sûr, l’appui de nos bailleurs de fonds conventionnels.
- Il faut prendre des initiatives pour envisager des solutions à l’’interne, comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire, avec la pénurie d’eau dans leurs barrages, en 1994. L’Etat a pris ses responsabilités, en construisant une centrale thermique ‘’CENCI’’ en trois mois, sur fonds propres, sans l’aide des bailleurs de fonds conventionnels du secteur. Le délai assez court qui s’imposait n’a pas permis l’intervention de la Banque Mondiale, tout comme de la BAD.
- Toute autre belle initiative serait envisageable, même celle du gaz (Pourquoi pas, puisque les études ont révélé la présence d’indice de carbone, dans nos eaux territoriales, et j’en passe. L’interconnexion qui est encours devrait nous apporter d’autres réserves de puissance.
Au demeurant, nous devons faire en sorte, que plus jamais nous ne revivions une telle situation. D’autre pays africains y réussissent en la matière, pourquoi pas nous ?
Dr. Paul Faber,
Ingénieur, analyste financier, ancien coordinateur du
Projet de Redressement du Secteur de l’Electricité en Guinée