Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a effectué une visite éclair en Guinée lundi 3 juin. L’émissaire de Vladimir Poutine a rencontré Mamadi Doumbouya, qui lui aura réaffirmé la position de la Guinée de pays non-aligné. La France a aussi dépêché un émissaire à Conakry.

Lundi 3 juin, une publication sur X (anciennement Twitter) de l’Ambassade de Russie à Conakry citée par Guineenews affiche que « le Ministre russe des Affaires Etrangères Sergueï Lavrov est arrivé en visite officielle à Conakry. » Il a été accueilli à 2h passées à l’Aéroport de Conakry Gbessia par son homologue guinéen, Morissanda Kouyaté.

Mines et défense au menu

Accompagné d’une cinquantaine de personnes, le chef de la diplomatie russe a rencontré le Président de la Transition, le Général de corps d’armée Mamadi Doumbouya. Le Président du CNRD a sommé les compagnies minières de construire des raffineries modernes en Guinée, dans le but de transformer sur place la bauxite, pour créer ainsi des emplois et booster l’économie nationale. Mais les entreprises minières tardent encore à matérialiser cette volonté politique du chef de la junte guinéenne, y compris la Compagnie des bauxites de Kindia, filiale du russe RUSAL.

La coopération économique a ainsi été au menu des entretiens entre Sergueï Lavrov et ses hôtes guinéens. La RTG, dans son édition de 20h 30, a relayé le tête-à-tête entre l’émissaire de Vladimir Poutine et le chef de l’Etat, au Palais Mohammed V. Selon le compte-rendu de la DCI (Direction de la communication et de l’information), Lavrov était « porteur d’un message d’amitié et de fraternité » de son Président « à l’endroit » de Mamadi Doumbouya.

Peu avant, le ministre guinéen des Affaires étrangères et son homologue russe avaient « passé en revue les axes de coopération » entre leurs deux pays. Au Palais Mohammed V, Lavrov a mis l’accent sur la situation des entreprises minières russes en Guinée. Morissanda, lui, a rappelé que « la Guinée ne renonce pas à ses engagements, mais elle veut les revoir pour les réajuster, cela, avec tous les partenaires. »

La formation militaire et la santé ont été abordées aussi par les deux parties. Sergueï Lavrov a souligné qu’il «est important de dynamiser notre coopération en matière militaire et technique, parce qu’il y a toujours la question d’augmentation de la capacité de défense» en Guinée. Ajoutant que l’agenda de la coopération russo-guinéenne «est positif». «Suite à ma rencontre avec mon homologue et avec le Président de Guinée, nous envisageons de dynamiser cette relation de coopération.»

La Guinée « coopère avec tout le monde »

Mais l’offensive diplomatique de charme de la Russie en Afrique a-t-elle trouvé les portes ouvertes en Guinée pour la coopération politique ? En clair, la Russie a-t-elle fait rallier la Guinée à sa cause ? Poutine cherche-t-il à conquérir le cœur de Mamadi Doumbouya, qui battrait pour la France ? Même s’il se murmure que des membres du CNRD voudraient se tourner vers la Russie et développer un sentiment anti-français en Guinée, on se rappelle que Mamadi Doumbouya n’a pas participé au sommet Russie-Afrique de juillet 2023. Il s’était fait représenter par Morissanda Kouyaté. Sergueï Lavrov a-t-il pu faire changer la position de la Guinée qui reste depuis Sékou Touré, un pays non-aligné ? Apparemment, non.

La Guinée semble fidèle à sa tradition, à en juger par les déclarations de Morissanda Kouyaté à Lavrov : «La Guinée en tant que nation souveraine et indépendante est ouverte à toute coopération bénéfique pour son peuple.» Le chef de la diplomatie guinéenne qui a introduit Lavrov chez Doumbouya, après un «conclave» au ministère des Affaires étrangères, explique: «Le Président a été très clair, nos relations sont anciennes mais elles restent dynamiques. Et ce matin au ministère des Affaires étrangères, et ce matin devant le chef de l’Etat, il a été encore dit et par la voix la plus autorisée, celle du chef de l’Etat, que la Guinée reste un pays ouvert, un pays qui est souverain, mais un pays qui coopère avec tout le monde.» Comme Mamadi Doumbouya l’a «dit et réaffirmé» à la tribune des Nations Unies en septembre 2023. Selon le ministre Morissanda, le Président de la Transition s’est «inscrit dans la ligne de son prédécesseur, le premier président de la Guinée», pour «dire que la Guinée reste un ami de la Fédération de Russie.»

La junte ne semble pas vouloir changer la «diplomatie guinéenne ouverte à tout le monde ». « Depuis le 5 septembre 2021, il y a un nouveau gouvernement, sous le leadership d’un nouveau Président qui tient à ce que la Guinée appartienne aux Guinéens en termes économique, social et politique. Ce qui n’exclut pas de travailler avec la communauté internationale », réaffirme Morissanda Kouyaté.  D’autant qu’il y a un rapprochement entre le Président du CNRD et la France, les Etats-Unis. Pour ce dernier pays, l’ancienne ambassadrice du pays de l’Oncle Sam en Guinée, Patricia Moller, a récemment décroché, on ne sait trop comment, un marché de fourniture de gaz liquéfié.

Cap sur Brazzaville

Selon l’Agence de presse russe Telegrafnoïe Aguenstvo Sovietskovo Soïouza (TASS) citée par Visionguinee, « le 27 juillet 2001, une déclaration sur les principes des relations amicales et de partenariat entre la Russie et la Guinée a été signée à Moscou. Depuis 2002, la Commission intergouvernementale russo-guinéenne pour la coopération économique, scientifique, technique et commerciale fonctionne. » « Les relations russo-guinéennes sont amicales. Il existe un dialogue politique actif », a déclaré le ministère russe des affaires étrangères, dans des propos rapportés par TASS. Ces relations de coopération remontent à l’indépendance de la Guinée, en 1958.

Après Conakry, la première étape de sa tournée en Afrique, Sergueï Lavrov s’est rendu au Congo, chez Denis Sassou-Nguesso. Il mettra le cap sur le Burkina Faso et le Tchad.

Le Conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, Jérémie Robert et le Premier ministre guinéen Amadou Oury Bah le 3 juin à Conakry

Une visite en cache une autre

Pendant que Sergueï Lavrov était à Conakry, un émissaire français a aussi atterri dans la capitale guinéenne, le même 3 juin. Un ballet diplomatique qui interroge. Le Conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, Jérémie Robert, a été reçu, selon des images de la RTG, par le Premier ministre, Amadou Oury Bah, après un huis clos avec le ministre Morissanda Kouyaté. L’hôte était accompagné de l’ambassadeur de France en Guinée, Marc Fonbaustier. La «brève visite» aura abordé les «promesses de fin de Transition» en Guinée, tout comme les questions de coopération bilatérale entre la France et la Guinée. Les échanges entre Jérémie Robert et Bah Oury au Palais de la Colombe, selon toujours la RTG, auraient porté «essentiellement» sur le développement des relations entre Paris et Conakry. «J’ai porté aussi ici un message d’amitié et de solidarité, de soutien, de la part du Président de la République française et de toutes les autorités françaises. Et puis, nous avons tracé un tour d’horizon bilatéral au plan économique, en termes régional, de sécurité et de défense. Nous avons aussi apporté notre engagement de solidarité vis-à-vis de la transition guinéenne en discutant aussi des prochaines étapes qui sont très importantes», a déclaré l’hôte français, au sortir de sa rencontre.

Mamadou Siré Diallo