Un carburant toxique et très nocif pour les engins roulants est distribué dans les stations-services depuis une dizaine de jours. Conséquence : garages bondés, mécanos débordés, conducteurs déboussolés.
Vendredi 7 juin, un tour au garage de réparation de voiture de Mamadou Foula Diallo, derrière le Stade Général Lansana Conté de Nongo. Impossible de trouver de la place pour les nouveaux arrivants. Depuis plus de dix jours, ce mécanicien et ses apprentis n’ont pas eu de répit. Les mêmes soucis : difficultés à l’allumage ; vibrations au démarrage ; performances réduites, moteurs déficients.
Aïcha Doumbouya, mère de famille, n’a pu envoyer ses enfants à l’école ; sa voiture a refusé de s’allumer : « Ma voiture fait des bruits étranges depuis quelques jours. Je voulais l’envoyer au garage, il m’en a manqué le temps, et voilà, ce matin elle ne démarre pas. Je risque d’avoir des problèmes, si je ne vais pas au travail. Cette situation est très compliquée. Les autorités doivent résoudre ce problème. »
Fanta Sow a partagé ses peines sur son compte Facebook : « Je suis victime de ce mauvais carburant, ma voiture a pété un câble. Rien ne fonctionnait sur les options supplémentaires. Check engin allumé, arrêt automatique désactivé, le système 4WD désactivé. » Elle prodigue des conseils : « …L’envoyez pas au garage, c’est la zigouiller. Patientez. J’ai décidé d’observer et de rouler comme ça, en espérant que l’anomalie se corrigera d’elle-même (…) Après deux pleins du réservoir, tout est revenu à la normale…»
Mamadou Foula Diallo, le mécano pointe du doigt le car-brûlant de mauvaise qualité : « On a souffert avant de découvrir que le problème vient du carburant. Nous avons une dizaine de voitures affectées par le même problème. Il faut régler ce problème sans attendre, sinon la crise risque de s’accentuer. » Et d’expliquer que le carburant contient un produit étrange qui colle aux soupapes, les empêchant de fermer, le véhicule ne peut pas s’allumer. Il faut déculasser le moteur pour résoudre le problème. Selon lui, pas d’autre solution pérenne que de changer le carburant toxique. « Une fois qu’on ouvre le moteur, on nettoie tout et on arrange. Mais avec le même carburant, ça recommence dans quelques jours. Et le plus souvent, les bougies se grillent en forçant la voiture. » Foula Diallo regrette cette situation : « C’est dommage de dépiécer à plusieurs reprises le moteur d’un véhicule qui coûte entre 150 à 200 millions GNF, juste à cause de la mauvaise qualité du carburant. »
À qui la faute ?
Les piroguiers souffrent autant que les automobilistes. Selon un mécanicien du garage du gouvernement, l’accès au centre de dépannage est désormais interdit aux particuliers. Il a confié que plusieurs véhicules de l’administration ont vu changer leurs pompes et nombre de pièces. Les stations-services accusent le marché noir. Des pompistes affirment que le colorant peut altérer la qualité du carburant.
La Société nationale des pétroles (SONAP), chargée d’importer et de distribuer les hydrocarbures en Guinée et la société suisse ADDAX Energy, recrutée sans appel d’offres, sont au cœur de cette polémique. Alors que le dossier est entre les mains de la gendarmerie, la Sonap n’a laissé filtrer aucune communication officielle. Un de ses responsables explique que tout carburant qui arrive à Conakry par l’entremise de la SONAP est analysé et contrôlé par les sociétés Veritas et Société générale de surveillance (SGS) qui sont indépendantes l’une de l’autre, mais aussi de la SONAP. C’est pourquoi ils sont nombreux à être entendus dans ces enquêtes, dont les distributeurs Vivo-Energy et Total.
Situer les responsabilités
Quelques mois après l’explosion du dépôt des hydrocarbures de Kaloum, le gouvernement guinéen a recruté la société Suisse ADDAX-Energy pour l’importation du car-brûlant, en remplacement de Sahara Groupe. Avant le résultat des enquêtes de la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale, ADDAX Energy est le coupable désigné dans cette affaire de carburant frelaté. Ce n’est pas la première fois que cette société est mêlée à l’affaire de carburant de mauvaise qualité. En septembre 2016, elle avait été citée par la presse internationale dans un scandale de vente de carburant toxique, rapportent des con(.)frères étrangers.
Le Prési de la Transition, Mamadi Doum-bouillant, alerté, aurait instruit le Haut commandement de la Gendarmerie, de diligenter une enquête. Des ministres, cadres (en bois) de la SONAP, dont son nouveau dirlo général Moussa Cissé, auraient été auditionnés toute la journée du 3 juin à la Direction centrale des investigations judiciaires de la Gendarmerie nationale. Les auditions devraient se poursuivre.
Abdoulaye Pellel Bah