Fermeture de médias, retour à l’ordre constitutionnel, tournée à l’étranger…le coordinateur du FNDC (Front national pour la défense de la constitution) a confié à La Lance sa lecture de la situation politique guinéenne. Oumar Sylla alias Foniké Menguè, qui dit toujours croire en la bonne foi du président de la transition, appelle Mamadi Doumbouya à respecter sa parole de soldat, conformément à l’accord qu’il a signé avec la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest).
La Lance : Vous rentrez d’un séjour à l’étranger, c’était quoi son objet ?
Oumar Sylla alias Foniké Menguè : Cela fait environ trois que j’étais absent du pays. Nous étions dans une tournée internationale, lors de laquelle on a rencontré des autorités américaines et onusiennes. Nous avons également été reçus au Quai d’Orsay, en Suisse, en Allemagne. On a conféré avec des organisations de défense des droits humains, la diaspora guinéenne en vue de la mobiliser pour un retour à l’ordre constitutionnel fin décembre 2024, conformément aux engagements pris par le président de la transition envers la Cedeao et les Guinéens.
Mais avant, une autre mobilisation est en perspective en prélude à une éventuelle invitation du général Mamadi Doumbouya en France, comme nous l’apprenons. Ce sera l’occasion d’interpeller la France de ne pas rester silencieuse face aux violations des droits humains en Guinée et de soutenir le retour à la démocratie. Dans la paix et la quiétude sociale : tel est notre mot d’ordre.
Je suis revenu pour continuer le combat, terminer ce qu’on a commencé. La transition démarré le 5 septembre doit finir dans six mois. C’est le lieu pour les Guinéens de dire au général Doumbouya de permettre à notre pays une fin de transition apaisée.
Le Premier ministre a déclaré que la transition ne pourra pas finir en 2024
Jusqu’à preuve du contraire, je fais confiance au général Mamadi Doumbouya : il a dit qu’il ne passera pas un seul jour de plus au pouvoir à l’expiration du chronogramme de deux ans, adopté avec la Cedeao. Le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual, l’a réitéré. J’espère qu’il va honorer ses engagements. Comme il le dit souvent, le soldat tient à sa parole. Sûrement qu’il est en train de se préparer à surprendre tout le monde.
Sauf que nous n’avons ni fichier électoral ni constitution…
Les élections peuvent se tenir sur la base de l’ancien fichier, s’il y a de la volonté. Depuis le départ, on a proposé au CNRD de toiletter la constitution de 2010 et de la soumettre au référendum. A nos yeux, le texte n’a pas assez de problèmes. Si le président de la transition le veut, le miracle est possible.
Quant au Premier ministre Bah Oury, il est en train de décevoir les Guinéens, les pros démocratie ; ceux qui, comme moi, ont cru en lui. Après sa nomination, je suis resté un à deux mois sans me prononcer sur lui. Mais ses sorties médiatiques lors desquelles il a soutenu le glissement m’ont obligé de rompre le silence. Ce n’est pas Mamadi Doumbouya qui est en train de le pousser sur ce chemin dangereux. Il est assez mûr pour savoir ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Hier, il sorti les Guinéens pour s’opposer à la confiscation du pouvoir par Moussa Dadis. Le procès sur le massacre qui en a résulté est en cours. S’il dit, parce qu’il est aujourd’hui aux affaires, les militaires doivent rester encore…c’est décevant. Il doit savoir raison garder, pour ne pas être tenu responsable de ce qui adviendrait. Si Mamadi Doumbouya, lui-même, n’a pas dit qu’il va y avoir glissement, je reste confiant.
La déclaration de Bah Oury n’était-elle pas qu’un secret de polichinelle, vu que le président de la transition n’a annoncé que la tenue du référendum constitutionnel cette année ?
Encore une fois, je lui fais confiance jusqu’à preuve du contraire. Il peut organiser toutes les élections pendant les six mois qui nous séparent de 2025. Je lui demande d’avoir cette volonté, pour le bien de tous les Guinéens. J’espère qu’il n’écoutera pas les sirènes qui le poussent vers les chemins interdits en démocratie. S’il le fait, il sera condamné par l’Histoire et s’en ira comme Dadis. Ce n’est pas mon souhait. Il a dit qu’ils ne répéteront plus les erreurs du passé, même s’ils font beaucoup d’erreurs actuellement.
Ne pensez-vous pas que les actes parlent mieux que les mots et que le fait de traîner les pieds dans la mise en œuvre de l’agenda de la transition est la preuve d’un manque de volonté politique ?
Nous ne faisons pas qu’espérer, on travaille sur le terrain. On rencontre nos structures à la base. Si Mamadi Doumbouya respecte sa parole, on est là pour l’accompagner. A défaut, nous serons là pour lui rappeler ses engagements vis-à-vis des Guinéens. Nous nous opposerions afin qu’il les respecte. C’est cela notre vocation en tant que société civile.
Vous revenez au pays et trouvez que des médias sont fermés. Quelle est votre réaction ?
C’est inédit et malheureux ! Ceux qui ont conseillé cela au général Mamadi Doumbouya ne l’aiment pas. Cette tâche noire restera à jamais. Il se fait condamner par l’Histoire. Je lui propose de rétablir ces médias. On a déjà bloqué l’internet durant trois mois. J’accuse cette partie civile toxique de l’induire en erreur. Il ne sera pas éternellement président, l’Histoire se souviendra de tout ce qu’il fait. Il faut qu’il revienne à la raison, quitte à inviter ces médias au Palais pour échanger et tourner la page.
Après avoir combattu le troisième mandat d’Alpha Condé et applaudi le putsch qui l’a renversé, quel sentiment vous anime aujourd’hui ?
On est tous déçus. Les premiers discours de Mamadi nous avaient donné de l’espoir : « plus aucun Guinéen ne doit plus mourir pour la politique ! » On est à plus de 50 morts ! Tous les jours on répète « les erreurs du passé. » Je pense qu’il fait pire. Autrefois, on ne fermait pas les médias. On ne bloquait pas internet pendant plus d’un ou deux jours. Aujourd’hui, on ferme des médias et démantèle même leurs installations. Mamadi doit savoir, là où il est, qu’il a déçu. Même s’il lui reste toujours une marge, pour limiter les dégâts. Le pays est militarisé, comme si nous étions en guerre.
Est-ce que cela vous démotive et vous donne le sentiment de prêcher dans le désert ?
Non. On se bat pour une cause noble. Lorsque j’étais à l’étranger, certains m’intimaient de rentrer, si j’étais courageux. On n’a pas fui Alpha Condé. Ce n’est pas devant ses enfants qu’on le fera. Je ne vais pas abandonner mon pays. Si la gouvernance n’est pas bonne, je m’opposerais. La victoire est de notre côté. Les Guinéens, dans leur majorité, nous donnent raison. Nous n’étions pas contre Alpha Condé, pas plus qu’on n’est pas contre Mamadi Doumbouya. Nous nous battons pour la démocratie, la patrie, la République et ses valeurs. Nous voulons que notre pays avance, comme tant d’autres. La corruption, l’injustice, la dictature n’ont pas d’amis. C’est pourquoi j’attire l’attention de toute la presse : ce qui arrive à FIM, Espace et Djoma n’est pas leur unique problème. Toute la corporation est concernée. Si rien n’est fait, un jour ce sera le tour des autres. Ils font juste croire que ce n’est pas la liberté de la presse qui est menacée. Soyez solidaires. Pensez à assigner l’État, l’ARP (Autorité de régulation des postes et télécommunications, ndlr), qui a démantelé les installations, en justice. Faites des sit-in devant l’ARPT, la HAC…Peut-être que vous serez arrêtés, mais ce serait pour une bonne cause. Battez-vous pour que ces médias soient rétablis dans leurs droits. Nous serons-là pour vous accompagner.
Mamadi Doumbouya a déclaré qu’il a renversé Alpha Condé pour sauver la démocratie, même si beaucoup en doutent. Je lui dirais de rendre aux médias leur liberté.
De plus en plus naissent des structures pour s’opposer au glissement de la transition. Ne craignez-vous pas une dispersion des efforts ?
Les efforts ne se dispersent pas. Pour la plupart, ils sont tous du FNDC. Certains pensent que le Front national pour la défense de la constitution doit changer de nom, pour se réadapter. Nous encourageons ces initiatives qui visent à ratisser large et converger vers l’objectif commun de retour à l’ordre constitutionnel. Je sais que le jour où le FNDC va donner le mot d’ordre, c’est tout le monde qui va répondre. Mais nous ne souhaitons pas en arriver-là. Les manifestations, c’est notre dernier recours.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah Barry