Dans leurs plaidoiries finales, les avocats des victimes ont demandé des réparations, le parquet a requis des peines de perpétuité et les avocats de la défense ont plaidé pour des acquittements.
(Bruxelles, le 1er juillet 2024) – Les juges rendront un verdict au terme d’un procès national historique en Guinée pour de graves violations des droits humains commises par les forces de sécurité gouvernementales en 2009, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les plaidoiries finales de toutes les parties au procès se sont achevées le 26 juin 2024. Les juges ont indiqué qu’ils délibéreraient sur un verdict jusqu’au 31 juillet.
Le procès examine l’un des pires épisodes d’abus jamais commis en Guinée. Le 28 septembre 2009, les forces de sécurité guinéennes ont ouvert le feu sur des manifestants pacifiques mobilisés contre la candidature à la présidence du putschiste de l’époque, Moussa Dadis Camara. Plus de 150 personnes ont été tuées et une centaine de femmes violées dans un stade de Conakry, la capitale. Les forces de sécurité ont alors procédé à une opération de dissimulation des faits, inhumant les corps dans des fosses communes.
« Tous les regards seront tournés vers Conakry, car le verdict tant attendu permettra de répondre aux violations brutales commises il y a près de 15 ans, dont les effets continuent de se faire sentir sur les victimes et les survivants », a déclaré Tamara Aburamadan, conseillère juridique auprès du programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Le gouvernement guinéen devrait redoubler d’efforts en matière de responsabilisation pour renforcer son système de lutte contre les crimes internationaux graves. »
Victimes et survivants guinéens ont appelé à maintes reprises à ce que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce massacre et à ce que les responsabilités soient établies.
Ce procès est le premier à se pencher sur des violations des droits humains d’une telle ampleur en Guinée, captivant l’attention de l’opinion publique, dans un contexte de répression soutenue contre l’opposition, les dissidents et les médias par les forces de sécurité de l’État, qui ont fait des centaines de morts et de blessés, selon un rapport d’Amnesty International.
Depuis l’ouverture du procès le 28 septembre 2022, les juges ont entendu chacun des 11 accusés – parmi lesquels un ancien président et des ministres du gouvernement –, une centaine de victimes et plus d’une douzaine de témoins, dont de hauts responsables gouvernementaux. Avant le début des plaidoiries, le 13 mai, les juges ont de nouveau entendu trois accusés, entre autres, lors de la phase des « confrontations ».
Au cours des dernières semaines, toutes les parties au procès ont présenté leurs réquisitoires. Treize avocats représentant les parties civiles – c’est-à-dire les victimes ayant qualité d’agir – ont été suivis par le parquet puis par les avocats de la défense des 11 accusés.
Selon l’observation du procès par Human Rights Watch et sur les reportages des médias, les avocats des victimes ont relaté les horribles événements de 2009 et détaillé la responsabilité pénale individuelle présumée de chacun des accusés. Certains avocats des victimes ont requis des condamnations pour crimes contre l’humanité et des peines de prison à vie.
En cas de condamnation, au moins cinq avocats des victimes ont demandé aux juges d’accorder une série de réparations – entre un et trois milliards de francs guinéens (soit environ 115 000 à 345 000 dollars US) – pour chaque groupe de victimes, y compris celles ayant subi des blessures physiques et enduré un traumatisme psychologique.
De nombreuses victimes, notamment des survivants de viols et de violences sexuelles, n’ont toujours pas les ressources nécessaires pour avoir accès aux soins médicaux pour les blessures qu’elles ont subies lors du massacre et des événements qui ont suivi, selon l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA).
Au cours de la phase des plaidoiries finales, le parquet a réitéré sa demande en date du mois de mars visant à requalifier les charges retenues contre les 11 accusés en crimes contre l’humanité, et a en outre requis des peines allant de 14 ans à la perpétuité. Les juges ont indiqué qu’ils ne se prononceraient sur la demande de requalification des accusations qu’au moment de rendre leur verdict.
Parmi les accusés figurent Claude Pivi, ancien ministre, toujours en fuite a l’heure actuelle après avoir quitté le centre où il était détenu en novembre 2023, ainsi que trois autres accusés de plus haut rang, dont l’ancien président Dadis Camara, et des membres des forces armées. Les dix autres accusés, y compris les trois qui avaient quitté le centre de détention, sont désormais à nouveau sous les verrous.
Dans leurs plaidoiries finales, les avocats de la défense ont demandé des acquittements, et ont répondu à la demande de requalification des accusations. Ils ont fait valoir que rendre une décision de reclassement au moment du verdict violerait le droit à un procès équitable des accusés, les laissant sans possibilité de se défendre contre les nouvelles accusations.
Le droit guinéen en matière de procédure pénale garantit aux accusés des droits internationalement reconnus, notamment celui à disposer du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense et le droit à un procès équitable.
Après la lecture du verdict, les accusés et les parties civiles ont le droit de faire appel dans un délai de 15 jours. Le parquet a deux mois pour faire appel.
Au fil des années, les partenaires internationaux de la Guinée, notamment l’ONU, l’Union européenne et les États-Unis, ont soutenu la quête de justice pour les crimes du 28 septembre 2009 en Guinée. Le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a également cherché à dialoguer de manière constructive avec les autorités guinéennes pour les inciter à respecter leur engagement initial de rendre justice dans cette affaire.
Le rôle des acteurs internationaux, notamment de la CPI, semble avoir été un facteur majeur pour promouvoir les progrès au fil du temps. Un soutien international continu et un engagement auprès des autorités guinéennes sur l’importance cruciale de la justice, y compris les processus de réparation, seront essentiels.
« La conclusion du procès du massacre du stade et la perspective d’un verdict offrent aux victimes et aux survivants guinéens une lueur d’espoir pour que la justice puisse l’emporter sur l’impunité », a conclu Tamara Aburamadan. « Ils méritent que justice soit rendue de manière juste et efficace. »