Jusqu’en novembre 2023, les Guinéens avaient l’embarras de choix entre plusieurs stations de radios qui se livraient une rude concurrence pour accrocher les auditeurs. Ces derniers, navigant entre elles à la recherche d’informations croustillantes. Et un beau matin, le prince, plus enclin à entendre les thuriféraires que les conseillers bénévoles, décida de faire disparaître littéralement le Mirador d’où étaient perchées les grandes gueules qui, croyant être sous les cieux de la République clamée et proclamée démocratique sur tous les toits, juraient de refaire le monde. C’est en ce moment précis que le brouillard assombrit l’espace de FIM et de Djoma FM.
Pendant plusieurs mois, le trio qui perturbait le sommeil du prince remua ciel et terre afin de sortir de l’épais brouillard. En vain. Puis vint la date fatidique d’un certain 22 mai 2024 où l’espoir s’effondra finalement et implacablement comme un château de cartes. L’objet que le trio voulait à tout prix éviter de mouiller se noya. Emporté de loin par des eaux déchainées. Comme si le successeur devait appliquer la promesse du prédécesseur, qui jura de reprendre le bled là où N’Douru boucher l’avait laissé, il entama une véritablement marche à reculons. Dans la foulée, les nostalgiques sont bien servis : les radios qui ont la chance d’émettre nous servent de la musique du matin au soir. C’est le retour aux chants et à la danse, comme du temps de la révolution culturelle.
Les radios qui émettent actuellement dans la capitale et dans quelques régions connaissent mieux que quiconque l’adage selon lequel tel plat est délicieux tel autre ne l’est pas, c’est s’il y en a plusieurs. Pour leur part, les auditeurs apprennent à leurs dépens l’autre adage qui dit qu’à défaut de la mère on se contente de la grand-mère. Même si d’autres jurent par tous les saints que depuis le 22 mai 2024, ils ont oublié l’écoute radiophonique comme le sein de leur mère.
A première vue, la chape de plomb qui s’est abattue sur ces radios et télévisions privées fait l’affaire du palais. Mais cette victoire contre les médias dits dérangeants est un couteau à double tranchant. Il risque de dépecer en morceaux la victoire que les thuriféraires brandissent comme un trophée de guerre. C’est une victoire qui pourrait s’avérer pire que la défaite. Et pour cause, la nature ayant horreur du vide, des blogueurs de tout acabit ont repris la place vacante par des radios et des télés. La rue-meurt s’installe. On nous dira qu’il y avait des bloggeurs avant le 22 mai 2024 et qu’il y en aura après. C’est indéniable, la seule différence, qu’hier, ils avaient un concurrent de taille, des médias régis par les règles et principes sacro-saints de la profession. En dépit de tout, ces médias savent qu’il y a de limites à ne pas franchir. Ce qui n’est pas forcément le cas de certains bloggeurs pour lesquels la seule chose qui compte, c’est le nombre de vues et de partages.
Le silence radio imposée aux Guinéens laisse libre cours aux rumeurs. A la place de ils ont dit, vous avez il paraît que. Avec tout ce que cela implique. Ainsi, les princes qui nous gouvernent se sont rendu un mauvais service. D’une manière ou d’une autre, ces rumeurs influencent la vie politique du pays.sInfailliblement l’un ou l’autre des protagonistes qui font les choux gras de la toile dira un jour qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Tôt ou tard, la rumeur allumera ce feu.
Pour leur part, les médias traditionnels ont déjoué tous les pronostics. Perçus au départ comme un facteur potentiel de division, ils se sont avérés plutôt comme un acteur de la démocratie et de l’Etat de droit. Vilipendés et trainés dans la boue par les nouveaux princes, ces médias ont contribué de manière positive et indélébile à la construction d’un Etat de droit, respectueux de la liberté et de la pluralité d’opinion.
Les radios fermées ont été mordues par la dent qu’elles ont soignée. Car même si certains hauts perchés se sont fait une place au soleil par les armes, d’autres ont été fabriqués par les médias qu’ils ont assommés. La plupart de civils qui vouent ces médias aux gémonies étaient inconnus du grand public. C’est grâce aux médias, les radios privées en particulier qu’ils sont sortis de l’ombre.
Dans tous les cas, cette odyssée médiatique que traversent radios et télévisions privées n’a pas que des inconvénients. Elle a son côté positif : celui de nous prouver qu’il y a, dans ce pays, des hommes dont la conviction varie comme la météo. Partisans infatigables de la démocratie hier, artisans inconditionnels du totalitarisme aujourd’hui. Pour ces hommes caméléons, le discours et les actes varient selon le contexte. Malheureusement, les Guinéens ont la mémoire courte. Si ces mêmes flagorneurs changent de veste demain, ils sont prêts à les applaudir.
Habib Yembering Diallo