La Révolution l’avait institué : la Guinée ne se compare qu’à elle-même. Les Guinéens ne peuvent trouver meilleure façon de pseudo-tranquillité, mensonge éhonté, frustrations étouffées. La bourde nous vient du plus profond de notre fierté nationale. La contradiction ne saurait être que de façade.

Le 25 août 1958, Sékou Touré a proclamé devant le monde entier, face au képi du Général de Gaulle, que « nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. » Nous l’avons applaudi à tout rompre.  La phrase fait le tour du monde et revient nous retomber sur les bras, inapplicable. Pis encore, l’unique réponse significative récoltée au cours du périple mondial de notre formule nationale est naturellement venue des milieux les plus néo colonisés de l’époque. D’Abidjan, Félix Houphouët Boigny nous dit avec une simplicité déconcertante que « nous partageons la richesse, non la pauvreté. » Quand Léopold Sédar Senghor et ses compagnons ont dit « Oui ! » avec le sourire qui leur est connu, nous avons compris que le « nous » d’Houphouët n’est pas aussi « royal » qu’il le paraît. Chacun son chemin, son choix, sous le redoutable arbitrage de l’Histoire : se fend alors le Ciel et  tombent espace et temps, le sifflet à la bouche !

En 2024, force est de nous évaluer, de « nous comparer aux  autres. » Pas à tous, bien évidemment ; au moins à ceux avec qui nous avons le plus divergé idéologiquement en 1958. C’est une exigence historique, « un impératif catégorique. » Nous n’avons guère de choix. Continuer à y renoncer, c’est un appel du pied  aux réseaux. « Les populations » nous prendront pour ce que nous serons dans toute notre nudité : des navigateurs sans scrupule entre démagogie et lâcheté, hypocrisie et mensonge. Nous y avons été habitués jadis ; il fallait éviter le poteau et le peloton d’exécution ; maintenant, il faut bénéficier d’un décret et arrondir la faim des mois.

Le temps nous tend la première perche. Les ténors de 1958 sont partis, néo colonisés comme révolutionnaires. Les uns par coup d’État, les plus bruyants par mort naturelle : Sékou Touré, Houphouët Boigny et Léopold Senghor, trois voisins immédiats. Ironie de l’Histoire qui nous tend la seconde perche. Le Président poète, membre de l’Académie française, pair de la Négritude, s’est éteint chez les Blancs, en Normandie, au fin fond de la France éternelle. Sékou Touré, le champion du panafricanisme, a rendu le dernier souffle aux États-Unis. Pas à Moscou, ni Pékin. Houphouët Boigny, l’Anti-africain, parce que fidèle ami de Pretoria, est rentré de Genève agonisant, pour mourir à Yamoussokro, son village natal. Comprendra qui pourra. Cependant, farce est de  reconnaître que l’idéologie nous aura fait jouer un match vraiment nul, zéro partout.

Si les Guinéens se rebellaient pour se comparer aux autres, ils verraient qu’ils ont été dribblés sur toute la ligne. Leurs richesses minières, abondantes à souhait, ne sont autres que rocs et rochers face à la disette…énergétique, patriotique, progressiste, intellectuelle et que sais-je encore. L’ancien Château d’eau de l’Afrique Occidentale n’est plus qu’un sceau d’eau. Les habitants, tout chose face aux barrages de Garafiri, Kaléta, Souapiti…infoutus d’impulser tout développement minier. Tout un scandale.

Diallo Souleymane