Le 1er décembre 1944, des tirailleurs sénégalais, prisonniers de guerre, à peine sortis des geôles de la Gestapo, sont fusillés à Thiaroye, en banlieue de Dakar, sur ordre de l’armée française par leurs camarades de contact avec lesquels, ils ont ensemble libéré la France. Que leur reprochait-on ? Rassemblés à Thiaroye en vue de leur démobilisation, la guerre étant sur le point de s’achever par la victoire des Alliés (France, Etats-Unis, Angleterre, URSS), ils avaient eu l’outrecuidance de réclamer deux mois d’arriérés de solde et des primes échues. Face aux atermoiements de l’état-major de l’armée et des autorités françaises, mal leur en prend d’afficher bruyamment leur mauvaise humeur qui effraie et panique la hiérarchie dont la réponse est la brutalité, barbare et disproportionnée.

Avait-elle craint que la révolte des tirailleurs sénégalais de Thiaroye inspire d’autres tirailleurs en situation de démobilisation dans d’autres camps en AOF et AEF, en cette fin de guerre ? Il faut rappeler là que l’expression « Tirailleurs Sénégalais », très péjorative, ne désignait pas que les conscrits sénégalais, mais l’ensemble des conscrits des colonies françaises, engagés par la France, pour combattre les armées allemandes.

À Thiaroye combien étaient-ils les tirailleurs ? Avaient-ils été tous tués ? Nul ne semble le savoir. Les archives non plus n’en savent rien. Infatigables, les historiens inlassablement, interrogent les hommes et les documents. En vain. À l’époque des faits, les autorités françaises avaient parlé de 31 victimes. Personne n’y avait cru. Après des décennies et pressé par les historiens et les intellectuels africains, le président français, François Hollande, avait ‘’balancé’’ le chiffre de 70 tirailleurs, donnée que les chercheurs avisés considèrent comme considérablement sous-évaluée. Ils pensent qu’il y aurait en plus de trois-cents morts à Thiaroye !

Outre cette mauvaise foi manifeste de l’administration coloniale, on subodore une tentative de déni mémoriel. Tout a été fait afin qu’on oublie la tragédie de Thiaroye, qu’on en parle pas, qu’on l’enfouit. Tenez ! Ce n’est qu’à l’occasion de la célébration du 80è anniversaire de ce triste événement, cette année, que le gouvernement français a posé le premier acte mémoriel significatif. En effet, il vient de déclarer « Morts pour la France » 6 des damnés de Thiaroye. Il s’agit de quatre Sénégalais, un Ivoirien et un Voltaïque (Burkinabé). Si pour certains ce premier acte augure une ère favorable à un règlement honnête et digne de ce contentieux, pour d’autres, dont le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, la France ne peut unilatéralement décider de ce qui est bon ou mauvais, vu que les temps ont changé.

En tout état de cause, il valait mieux commencer que demeurer dans le statu quo. « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». Il est temps de solder ce compte colonial resté en travers de la gorge du colonisé.

Abraham Kayoko Doré