Créée en 2019 pour à l’origine permettre à la diaspora de transférer des fonds vers la Guinée, YMO ambitionne de couvrir tout le pays et conquérir l’Afrique. La fintech et Ecobank ont signé un partenariat le 23 juillet, pour accélérer et renforcer l’inclusion financière. Son fondateur et PDG, Abdoulaye Barry, est revenu à La Lance sur l’historique et les perspectives de la jeune pousse qui rêve grand.

La Lance : Parlez-nous de votre parcours et de comment vous est venu l’idée de créer YMO

Abdoulaye Barry : Je suis né à Pita. Une chance de naître en Afrique et d’y vivre pendant quinze ans, avant de poursuivre mes études à l’étranger et découvrir le monde. A mon arrivée en France, en 2001, j’ai été frappé de découvrir un monde nouveau. Le plus frappant était pour moi de savoir que ce sont des humains, comme nous, qui l’ont pensé et construit pour répondre à leurs besoins : des routes, écoles, hôpitaux…Tout ce dont on a besoin pour vivre décemment. J’avais en tête toujours d’où je viens. Je cherchais à comprendre ce qui expliquait ce gap. Pourquoi, nous Africains, n’avons pas construit ainsi l’Afrique. La question me taraude encore l’esprit.

Plus tard, quand j’ai commencé à travailler et avoir des revenus, j’ai voulu en envoyer à mes parents restés à Pita. J’ai été confronté à un problème dû au fait que ma mère n’a pas de compte bancaire. Je ne pouvais donc pas lui faire un virement, ce quelque chose d’assez naturel là où je vis. Je me suis dit qu’il y a là un véritable problème. Le monde moderne a connu plusieurs révolutions : l’invention de la machine à vapeur ; la découverte du pétrole, du gaz et de l’électricité. Notre continent a été en marge de ces révolutions. Notre génération est née dans la troisième, la révolution de l’informatique. Elle me parle plus. Ce serait de notre faute, si l’Afrique rate celle-ci. La technologie est une solution aux problématiques du moment. J’ai donc décidé d’utiliser la tech pour faire face à celle d’inclusion financière. J’ai développé pendant une dizaine d’années des systèmes d’information pour des institutions bancaires en France, des sociétés de télécommunication, de commerce international…Je devais me servir de mon expérience, de la technologie pour résoudre mes propres problèmes. L’informatique est un outil, après tout.

C’est de là donc est venu YMO. J’ai développé une application qui permet à tout un chacun de transférer des fonds depuis son compte bancaire en France vers un autre qui appartiendrait à son parent. Et que ce dernier puisse y accéder, qu’il soit en ville ou au village. C’était en 2019. J’ai donc lancé une première brique permettant à la diaspora de transférer des fonds en Guinée. Cela a coïncidé au Covid-19 qui a montré la nécessité d’accélérer la digitalisation de notre vie, de nos activités. Pour beaucoup, la pandémie a été un grand mal. Nous, elle nous a ouvert les yeux et permis l’accélération du développement d’autres économies. Nous sommes passés d’une centaine de milliers à plusieurs millions d’euros envoyés par mois, parce que toutes ses sociétés de transfert et tous ces réseaux manuels qui transportaient des valises d’argent dans des avions ne pouvaient plus opérer. Les canaux officiels étaient les seuls qui existaient. C’est ainsi que nous avons renforcé la société, fait appel à des partenaires techniques et financiers, pour la structurer et lui donner l’envergure qu’elle a aujourd’hui.

Pour ceux qui vivent dans les pays européens, disposer d’un compte, recevoir son salaire par virement, garder son argent en toute sécurité, payer une course de taxi, sa facture d’électricité, c’est quelque chose d’assez naturel. Ils sont nés avec. Je me suis rendu compte que pour l’Afrique et son 1, 300 milliard d’habitants, ce n’est pas encore une réalité. Les Africains sont exclus du système financier mondial tel qu’on le connaît actuellement. Notre mission, c’est d’utiliser la technologie pour l’inclusion financière de ces personnes.

En seulement cinq ans, nous sommes satisfaits d’avoir réussi à offrir à près d’un million de Guinéens un compte sur lequel ils peuvent recevoir leur salaire, de revenus de partout, les stocker en toute sécurité et les dépenser lorsqu’ils en ont envie.

Le deuxième élément : nous sommes en train de construire une infrastructure financière sur laquelle développer d’autres services notamment financiers. Les activités financières sont au cœur de notre économie. Aucune nation ne peut se développer en marge de la finance. Pour cela, les échanges doivent être quasi instantanés, sans frontière. Ce qui passe par l’exploitation de cette révolution numérique. Et YMO est un acteur régional, africain qui a pour ambition d’accélérer le développement économique de notre pays et de notre continent.

De sa création à ce jour, comment a évolué votre fintech ?    

Le problème à résoudre c’était, au départ, de permettre à la diaspora d’envoyer de l’argent. Collecter les fonds en Europe n’est pas le plus grand enjeu. Le plus grand enjeu est en Afrique : le manque d’infrastructures. Lorsqu’elles existent, les banques sont concentrées dans les capitales et sont très peu digitalisées. Nos populations vivent en majorité dans les zones rurales, avec un accès difficile aux banques, à l’électricité. C’est par ces gens-là qu’il faut commencer une inclusion financière. Nous avons très rapidement réussi à établir une structure de collecte de fonds au niveau de la diaspora. Le plus grand défi a été d’arriver à construire une infrastructure dans le pays de réception, en Afrique, qui répondent aux normes. Car c’est une activité extrêmement encadrée, régulée, surveillée…Cela peut paraître anodin de considérer qu’une personne a le droit d’envoyer de l’argent à qui il veut. Mais cela doit se faire dans un cadre régulé pour éviter le financement d’activités illicites ou le blanchiment de capitaux. Arriver ici dans des pays où on peine à avoir des certificats d’état-civil, à plus forte raison des pièces d’identité, c’est un défi majeur.

Ensuite, nous aspirons à zéro cash, et à l’envoi et à la réception. Nous souhaitons réduire au maximum la dépendance à l’argent liquide. Il s’agit de profiter de la pénétration de la téléphonie mobile pour permettre à chaque citoyen, qui dispose d’un numéro, de recevoir ses fonds. Le défi, à partir de 2021, a été de construire cette infrastructure technologique, réglementaire, pour garantir la circulation des fonds entre les pays où vit la diaspora et les parents en Afrique. Nous avons présenté le projet aux autorités guinéennes en 2022 qui ont été très réceptives. Elles ont encouragé l’émergence d’acteurs comme nous, d’autres qui nous ont précédé comme les opérateurs de téléphonie. Nous profitons des infrastructures, de la base clientèle qu’ils avaient. Ce n’était pas à l’origine le cœur de leur métier. Ils ont permis l’avènement des fintechs comme YMO.

Voulez-vous dire que vous êtes plutôt des partenaires que des concurrents ?

La plupart des sociétés de téléphonie ont décidé de créer des départements qui sont en effet concurrents. Mais le défi est tel que ce n’est pas quelque chose de mauvais. Nous ne craignons pas la concurrence, bien au contraire, nous l’encourageons aussi longtemps qu’elle reste loyale. C’est en cela que nous attirons l’attention des autorités. Les infrastructures de paiement que nous construisons sont stratégiques. Elles doivent accorder une attention particulière à leur gouvernance. Vous avez sûrement suivi les événements récents dans le monde où un certain nombre de pays ont été débranchés des systèmes de paiement internationaux. Ça, c’est de nature à paralyser tout un pays quasi instantanément.

Nous encourageons, disais-je, la concurrence mais nous souhaiterons que les entreprises locales soient favorisées. Ça s’appelle de la préférence nationale. C’est ce que font tous les pays du monde. Que la gouvernance technologique de ce type d’entreprises reste en Afrique. Cela n’est pas contre qui que ce soit. Citez-moi une entreprise africaine détentrice d’une société de télécommunication en Afrique de l’Ouest notamment. Nous, l’État, chacun doit jouer sa partition.

Comment fonctionnent vos opérations ?  

Nous avons une plateforme sur laquelle se greffent des services : disposer d’un compte, recevoir son salaire, payer un marchand, demander un crédit, accéder à sa banque depuis notre plateforme, acheter du crédit téléphonique, un billet d’avion…

On y est encore ou ce sont plutôt des projections ?

L’infrastructure de base pour développer tous ces services est faite. Le 26 octobre 2022, nous avons ouvert ces services aux Guinéens. En deux ans, un million de clients utilisent quotidiennement notre solution.

Comment vous déployez-vous sur le terrain afin de couvrir tout le pays ?

Nous sommes une entreprise technologique, j’aime le repréciser. La pénétration téléphonique est telle qu’aujourd’hui le paysan le plus éloigné dispose d’un téléphone. Avec un simple numéro de téléphone, vous accédez à l’ensemble de notre plateforme. Avec ou sans internet.

Quel partenariat vous lie-t-il avec les opérateurs de téléphonie ?

Ce n’est pas nécessairement un partenariat, mais nous exploitons effectivement leurs infrastructures pour pouvoir transmettre des données, en passant par l’internet ou le réseau téléphonique traditionnel.

Si ce n’est pas un partenariat, c’est quoi donc ?

Le partenariat n’est pas financier. Ce n’est pas eux qui transmettent nos services. C’est comme si vous avez un réseau d’autoroutes sur lequel nous faisons circuler des véhicules.

Des autoroutes à péage ?

Absolument, vous faites bien le parallèle. Nous payons, effectivement, une prestation à ces sociétés. En cela, oui vous pouvez l’appeler un partenariat. Notre plateforme est autonome et fonctionne avec tous les opérateurs confondus.

Quelle est votre stratégie pour faire face à vos concurrents ?

C’est l’innovation. La plupart des leaders du secteur viennent d’ailleurs, tant mieux. Ils doivent d’abord comprendre nos problèmes pour y apporter des solutions. Nous, nous les vivons et sommes plus près des populations.

Cependant, là où la plupart de ces sociétés sont soutenues, financièrement, économiquement et politiquement par leurs pays, nous manquons de soutien dans les nôtres. Nous attirons l’attention de nos autorités pour en faire de même, de sorte que la concurrence soit loyale. Après, ce sera que le meilleur gagne.

Outre la Guinée, YMO est-elle présente ailleurs ?

Le deuxième volet de notre entreprise est l’inclusion financière des Africains. Nous nous apprêtons à nous déployer en dehors de la Guinée. Nous avons construit une relation suffisamment solide avec Ecobank pour nous ouvrir dans les 35 pays dans lesquels se trouve la banque panafricaine. Nous sommes à l’aube de l’expansion, de la sortie de YMO au-delà des frontières nationales.  

En Guinée, comment se décline le partenariat que vous venez de signer avec Ecobank ?

Nous allons permettre aux clients d’Ecobank de connecter leurs comptes bancaires aux comptes YMO, pour permettre un transfert réciproque d’argent. Les clients YMO peuvent se rendre dans n’importe quelle agence Ecobank retirer de l’argent en cas de besoin. Il en va de même dans les 2 000 points Xpress disponibles à travers le pays. D’autres services sont en cours avec Ecobank pour aller au-delà du paiement qui n’est qu’un premier pas vers l’inclusion financière. Toutes les économies du pays se sont développées grâce au crédit. Nous incitons les banques à faire leur cœur de métier, l’accord de crédit. Nous espérons, très prochainement, que celui qui a un compte YMO pourra instantanément demander un crédit à Ecobank ou à d’autres établissements de crédit.

Ensuite, la diaspora africaine représente le premier bailleur de fonds du continent avec plus de 150 milliards d’euros envoyés chaque année. Mais la diaspora veut plus qu’un canal formel de transfert. Elle veut participer à la construction de l’Afrique moderne, l’Afrique de leur rêve. Ainsi, elle veut être en capacité d’investir dans l’économie de nos pays. J’estime que la diaspora guinéenne envoie chaque année un milliard de dollars. Cet argent doit être fléché dans l’économie structurelle du pays. Une personne qui est en occident veut acheter un terrain en Guinée, comment elle fait ? C’est extrêmement compliqué. Elle n’a pas un canal lui permettant de faire cela. Ce partenariat avec Ecobank permet de résoudre ce problème. Idem pour qui souhaite investir dans une entreprise.

In fine, nous offrons des canaux officiels à la diaspora guinéenne, africaine en général, pour investir, avoir un impact sur l’économie et participer au développement de l’Afrique. Et nous permettons aux populations locales de disposer d’outil leur permettant également d’accéder aux services financiers du monde.

Quel est votre chiffre d’affaires et combien de personnes employez-vous ?

YMO est aujourd’hui dans une situation financière à l’équilibre. Nous avons ouvert le capital à quelques investisseurs minoritaires qui nous apportent, outre l’argent, l’expertise technique. C’est le cas du fonds Breega qui nous apporte une expertise technique et technologique, en plus de l’accompagnement financier. Nous n’avons pas de dettes. Nous nous développons avec nos propres moyens, avec plusieurs centaines de millions d’euros de volume d’affaires annuel.

De manière directe, YMO emploie 70 personnes et totalise plus de 10 000 emplois indirects.

Entretien réalisé par

Diawo Labboyah Barry