La Guinée a célébré le 66ème anniversaire de son indépendance dans un contexte marqué par le décès en prison de certains citoyens ou la disparition d’autres. La famille du colonel Sadiba Koulibaly n’a pas fini d’essuyer ses larmes. Inconsolable la famille du colonel Célestin Bilivogui disparu dont le corps est retrouvé 10 mois plus tard. Et comme si cela ne suffisait pas, un médecin détenu à Kankan pour crime de lèse-majesté passe de vie à trépas.
Il est peu de dire que ces trois cas affolent les familles d’Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Billo Bah qui n’ont pas donné signe de vie depuis le 9 juillet dernier. Le préfait de Kankan avoue à une de ces sorties sur le drame récent dans la cité de Nabaya. Avec en toile de fond la mort en détention de Dr Mohamed Dioubaté. A l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle effigie du président de la transition, le commis dit sans sourciller : « Tout fauteur de troubles qui se lève pour brûler, marquer à la craie ou peindre le monument la nuit, s’il est attrapé, il partira de la même manière que l’autre ». En clair, celui qui émet la moindre critique contre le nouveau Timonier rejoindra l’autre monde.
Cette frasque préfectorale n’est pas sans rappeler celle de l’ancien gouverneur de la région de Labé qui avait déclaré au sujet de manifestants tombés sous les balles assassines des forces de l’ordre « On ne voulait pas les tuer ». Une revendication qui était largement suffisante pour ouvrier une information judiciaire. Mais c’est si la justice n’était pas comme une toile d’araignée. Ceux qui ont fait leur mea culpa après la chute du Grimpeur ne pouvaient aucunement demander des comptes à un gouverneur qui ne jurait que par le Grimpeur. Lequel sait que canarder les militants de l’opposition garanti le maintien en poste.
Il y a trois ans le serment : « Plus aucune goutte de sang ne sera désormais versée pour des raisons politiques ». Du vent ! Bien des innocents ont passé de vie à trépas. La liberté pour laquelle les pères de l’indépendance se sont battus au prix de leur vie contre le colon est une chimère. Depuis la disparition de Fory Coco, la liberté et la démocratie battent de l’aile. Les événements du 28 septembre 2009 prouveront que ce qui était possible sous le règne du président-paysan – durant lequel les opposants pavanaient dans les rues de Cona-cris – n’était plus imaginable.
Ce n’est que dans un pays où l’impunité est érigée en règle que le fonctionnaire assume un meurtre. Au pire, le silence de la hiérarchie. Au mieux, une promotion. Cela saute aux oreilles : entre septembre 2021 et septembre 2024, le laïus a changé. La méthode itou. Il y a deux ans, un édile de Siguiri fut limogé pour avoir coupé les cheveux d’un potache. Une décision saluée partout, par tous. Les citoyens ont vu par là un symbole et un message fort contre tout abus de pouvoir d’où qu’il vienne. Et les Guinéens de rêver que désormais les gouvernants n’auront droit de vie et de mort sur les gouvernés. Trop beau pour être vrai.
Avec l’affaire Sadiba Koulibaly, Célestin Bilivogui et maintenant Mohamed Dioubaté, ceux qui avaient commencé à rêver d’une Guinée où, désormais, la vie humaine est sacrée ont vite déchanté. Les Guinéens restent suspendus au sort réservé à Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Billo Bah. Si le malheur leur arrivait ce serait du Sékou Tyran sans Sékou Tyran.
En attendant, et après le discours scandaleux de Kankan, la preuve est faite que l’impunité reste et demeure la porte ouverte à la récidive. Cela ne date pas d’aujourd’hui. De Sékou à Alpha en passant par Lansana, les soutiens du pouvoir s’en allaient à des excès. Pourvu qu’ils fassent un discours va-t’en guerre contre les opposants. Et cela quel que soit l’acte qu’ils posent. Y compris les plus ignobles. Si Boum-bouillant protège son préfet, son prédécesseur avait protégé son gouverneur. Ainsi, le pays va perpétuer l’impunité.
A méditer cette citation de l’écrivain Amin Maalouf : « Je ne suis pas certain qu’il faille pardonner à ceux qui meurent. Ce serait trop simple si, au soir de chaque vie humaine, on remettait les compteurs à zéro ; si la cruauté et l’avidité des uns, la compassion et l’abnégation des autres, étaient benoîtement passées par profits et pertes. Ainsi, les meurtriers et leurs victimes, les persécuteurs et les persécutés, se retrouvaient également innocents à l’heure de la mort ? Pas pour moi, en tout cas. L’impunité est, de mon point de vue, aussi perverse que l’injustice ; à vrai dire, ce sont les deux faces d’une même monnaie ».
Habib Yembering Diallo