La demande de la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur les relations entre le gouvernement français et la junte militaire guinéenne fait réagir en Guinée. Certains y voient une prise de conscience de la France, ou tout au moins d’une partie de la France, et non des moindres : l’Assemblée nationale. D’autres estiment, en revanche, qu’il ne faut pas compter sur l’extérieur pour espérer changer la situation interne de la Guinée.
Dans tous les cas, si le soutien de Paris à la junte est un secret de polichinelle, l’éventuelle installation d’une base militaire française en Guinée serait inédite. Pire, un véritable séisme politico-historique, au regard du passé tumultueux entre les deux pays. Sékou Touré doit se retourner dans sa tombe. Le premier président guinéen considérait ses homologues africains qui accueillaient des bases militaires françaises dans leur pays comme des traitres, des suppôts du néocolonialisme.
Encore aujourd’hui, le franc CFA et les bases militaires sont perçus comme un des derniers vestiges de la colonisation. Et les juntes militaires de l’Alliance des Etats du Sahel en font leur principal instrument de propagande pour vilipender l’ancien colon. L’insécurité et la menace de déstabilisation dont sont victimes ces pays avaient permis à la France de les convaincre de la nécessité d’accueillir son armée sur leur sol.
Dans l’histoire récente des relations entre la France et le Mali, par exemple, on se souviendra pendant longtemps de l’accueil que les Maliens avaient réservé à François Hollande en 2013. L’ancien président français avait été reçu en héros et libérateur à Bamako.
Tout cela appartient désormais au passé. Les nouvelles autorités militaires maliennes, nigériennes et burkinabé font de leur priorité bouter la France hors de leurs frontières respectives. L’ancienne puissance coloniale y est devenue persona non grata.
L’éventualité de l’installation d’une base militaire française en Guinée serait un reniement de l’histoire d’un pays obsédé, jusqu’à récemment (sous Alpha Condé), par son indépendance vis-à-vis de Paris.
Mariage de raison ?
Ce serait aussi une contradiction avec les actes posés par la junte, depuis son avènement au pouvoir, allant dans le sens de réhabiliter Sékou Touré. Mais Macron et Doumbouya semblent unis par un mariage de raison : le premier a besoin d’un nouvel allié dans la sous-région ; le second d’un avocat-défenseur à la barre de la communauté internationale.
Au nom d’une certaine solidarité occidentale, si la France donne son quitus à la candidature de Doumbouya, les États-Unis et le reste de l’Europe ne piperaient pas mot. En 2020, la France a permis à Alassane Ouattara de s’octroyer un troisième mandat, sans aucune réaction de l’Occident. Elle avait déblayé le terrain. Il en est de même pour la succession de père en fils au Tchad, en violation des règles démocratiques et au nom de la stabilité.
Après avoir perdu les trois pays de l’AES, la France est en difficulté dans des pays considérés jusqu’ici comme son pré carré, à l’instar du Sénégal. Le duo qui dirige actuellement ce pays n’a pas apprécié le rôle joué par la France pendant la crise pré-électorale. Certes, entre les promesses de campagne d’un opposant et le quotidien d’un président, il y a un décalage. Il faut dire, cependant, que le Sénégal de Faye ne sera pas ce qu’il fut à la France sous Senghor, Diouf, Wade et Sall.
D’où les agitations de Paris qui cherche de nouveaux alliés pour limiter les dégâts. Si, à l’opposé de tous ses homologues ouest-africains, Doumbouya accepte ce que tous ses prédécesseurs ont refusé, y compris Alpha Condé (qui est Français), il aura marché à contrecourant de l’histoire de l’Afrique. Et ce ne sera pas surprenant si, demain, il annonce aux Guinéens l’adhésion de son pays à la zone franc.
Habib Yembering Diallo