Un an après l’explosion du principal dépôt de carburant à Kaloum, les sinistrés de Coronthie vivent encore dans l’angoisse. Malgré la difficulté rencontrée dans la reconstruction de leurs maisons et la peur de voir l’État les exproprier leurs domaines, ces victimes s’accrochent, exigent une enquête en bonne et due forme sur ce qui leur est arrivé.
Le 18 décembre 2023, les populations de Coronthie ont vécu l’enfer. Ce quartier populeux de Kaloum, Centre administratif de Conakry, s’est vu envahir par des flammes, suite à l’incendie du principal dépôt pétrolier de la Guinée. Outre le bilan humain particulièrement lourd (24 morts, officiellement), la déflagration a soufflé une grande partie du quartier. Au moins 165 maisons sont totalement ou en grande partie détruites. Les sinistrés, sans abris, ont dormi à la belle étoile durant des mois. Au lendemain de la tragédie, les autorités de la transition ont promis de reconstruire «rapidement» la zone. Un an plus tard, la tenue de la promesse se fait toujours désirer. Le gouvernement est devenu totalement aphone devant cette situation, préférant concentrer sa force sur comment déguerpir les pauvres sinistrés. Sans succès. Du moins, pour le moment. Les victimes végètent dans la pauvreté, mais jurent de ne pas laisser leurs terres, si prisées, pour ne rien au monde. Elles tiennent plutôt à ce qu’une une véritable enquête ait lieu pour déterminer les causes de l’incendie, mettre aux arrêts ceux qui seraient derrière la catastrophe et déceler les éventuelles complicités.
Mamoudou Cifo Ketouré, président du Comité des sinistrés des hydrocarbures de Coronthie, explique : «Les victimes continuent de vivre dans une sorte de précarité depuis le 18 décembre 2023. A ce jour, il n’y a pas eu d’enquête. C’est un désespoir pour des gens qui ont presque tout perdu. Pour nous, la logique voudrait qu’on connaisse d’abord ce qui est à la base de notre malheur au lieu de nous acculer pour des questions de recasement. L’enquête est primordiale, c’est d’ailleurs la chose à laquelle nous tenons plus que tout. Chez les sinistrés, toute initiative doit commencer par l’enquête. Elle doit s’imposer, ne serait-ce que pour la crédibilité de nos dirigeants.»
Au lendemain de l’incendie, des ministres et autres hauts cadres de l’administration se sont précipités sur les lieux pour constater les dégâts. Même le Président de la transition y a fait un tour. Mais aucune délégation officielle pour réconforter les sinistrés. Un mépris, selon Mamoudou Cifo Ketouré : «Nous n’avons pas eu droit aux condoléances, à la compassion. Il n’y a pas eu de délégation officielle ici. Toutes les fois où nous avons voulu réclamer nos droits, cela s’est soldé par des bastonnades, des agressions et des emprisonnements.»
Refus de quitter
A la place de la compassion, les autorités cherchent à faire quitter des victimes, notamment celles de la zone appelée « les 55 concessions les plus touchées ». Elles caressent le rêve de déguerpir ces sinistrés et de les recaser à Ansoumanya-village, dans Dubréka, à plus de 35 km de Coronthie qu’elles voudraient moderniser. Le Premier ministre, Amadou Oury Bah, dès son arrivée en février dernier, annonce un consensus sur un bail-partage. Refus catégorique des sinistrés, qui y voient une façon de les exproprier : «Il y a de la manipulation dans cette affaire. A partir de l’enquête, des discussions pouvaient être ouvertes. Mais si on se fabrique ses propres victimes, on dialogue avec soi-même, il n’y aura pas d’issue. On veut effacer tout cela de notre mémoire, ça ne peut pas marcher. Si quelqu’un nous parle de délocalisation, nous pensons que c’est une farce, parce nous ne sommes pas sur un terrain de l’État. Notre propriété est exclusive», s’insurge Mamoudou Cifo Ketouré. Il justifie sa posture par le fait qu’une partie des sinistrés ait été appelée à prendre de l’argent et à accepter de libérer les lieux. A une rencontre au Gouvernorat sis dans le même quartier, proposition leur a été faite d’accepter de percevoir un million de francs guinéens par mois, pour les locataires et deux millions pour les concessionnaires. Cette démarche s’est terminée par des contestations, manifestations et arrestations. Des responsables du comité des sinistrés ont été trimballés devant la justice à cause de leur opposition : « De l’argent a été remis à nos locataires, des fiches ont été envoyées. C’est pour nous mettre la corde au cou, nous refusons de signer…le dédommagement doit obéir au constat d’huissier. Et ce n’est pas au gouvernement de se fabriquer des personnes qui doivent porter notre voix. Cela deviendra un monologue.» A date, il n’y a aucun contact entre les sinistrés et les autorités. Chacun campe sur sa position.
Coronthie se relève cahin-caha
A Coronthie, chaque victime se débrouille, pour reconstruire sa maison. Sur les 55 concessions les plus touchées, seules deux n’ont pas encore connu un début de reconstruction : « Ils ont été les premiers à croire à la parole mielleuse des gouvernants», se moque une victime. Une sinistrée dénonce le « détournement » des fonds et du matériel mobilisés en leur faveur : « Il y a eu une forte mobilisation nationale et internationale pour les sinistrés de Coronthie. Il y a des dons. Mais ces dons ont été gérés dans une opacité totale, sans pareil. Il n’y a eu aucun compte-rendu. On donne à qui on veut et quand on veut.» Cifo Kétouré de renchérir : « Chacun s’est endetté pour reconstruire chez lui. Nous n’avons vu aucun sac de ciment, aucune feuille de tôle. Pourtant, des dons nous ont été faits, mais on n’en a même pas vu la couleur…»
L’enquête au point-mort
Au lendemain de l’explosion, Alphonse Charles Wright, alors ministre de la Justice, a fait ouvrir une enquête pour «incendie volontaire du dépôt d’hydrocarbures, destruction, homicide et coups et blessures volontaires.» Une commission d’enquête a également été mise en place. Elle devait travailler avec le concours de la Police, de la Gendarmerie et de la Protection civile. Un an jour pour jour, l’enquête patine. Ni la justice ni les autorités administratives ne parlent de l’affaire. Celle-ci semble même reléguée au dernier rang, au profit de la propagande pour la candidature de Mamadi Doumbouya à la future élection présidentielle.
Un an depuis que les enquêtes sont ouvertes, mais à Coronthie, les sinistrés n’ont jamais vu un agent enquêteur, n’ont jamais été interrogés. Au ministère de la Sécurité, l’on ne peut faire le point. Le porte-parole indique que l’enquête n’est plus à leur niveau. Le procureur général quant à lui se refuse à tout commentaire, estimant n’avoir de compte à rendre à aucun média. Pendant ce temps, la pression continue sur les sinistrés pour qu’ils acceptent de quitter Coronthie : « Cela n’arrivera jamais, à moins qu’on ne marche sur nos cadavres. Qui va laisser une parcelle de plus d’un million d’euros pour aller prendre une autre qui ne vaut pas 15 000 euros ? Nous sommes pauvres, mais pas fous», réagit Mohamed Soumah, sinistré. Les victimes prévoient une cérémonie sobre ce mercredi 18 décembre, pour commémorer cette tragédie. Les autorités, elles, lancent un tournoi de football à Kaloum en faveur de la propagande gouvernementale.
Yacine Diallo