La musique guinéenne à l’épreuve de la modernité (4/4) Alors que la musique traditionnelle guinéenne est influencée par les sonorités d’ailleurs, l’Institut Supérieur des Arts Mory Kanté (ISAMK) de Dubréka se pose en rempart pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel guinéen. Reportage.
La Guinée regorge d’une richesse culturelle incarnée par ses nombreux instruments: kora, djembé, balafon, dum dum (tambour emblématique à deux peaux), flûte mandingue et flûte pastorale (tambin)… Des joyaux culturels dont l’usage s’amoindrit progressivement au profit des instruments dits modernes. Ce désintérêt découle principalement de l’omniprésence des influences musicales étrangères et de l’avènement du numérique, comme le souligne Camara Naby Malik, enseignant et spécialiste du balafon. Cependant, l’ISAMK joue un rôle déterminant dans la réhabilitation de ces trésors.
Fondé en 2003 et initialement dénommé Institut des Arts de Guinée (ISAG), l’établissement a été rebaptisé Institut Supérieur des Arts Mory Kanté en 2020, en hommage à l’éponyme « Griot électrique »: un grand joueur de kora décédé le 22 mai 2020. Avec des programmes couvrant la musique, la danse, le théâtre, la production audiovisuelle et le design, l’ISAMK s’impose comme un creuset de formation artistique.
Des progrès et des défis
Malgré des infrastructures limitées, l’Institut a su se moderniser peu à peu. En 2023, plusieurs bâtiments ont été livrés: un bloc pédagogique de 14 salles modernes, un studio de production, une salle de spectacle… Des partenariats noués avec des festivals tels que le FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Des avancées qui témoignent de son engagement à promouvoir l’art guinéen à l’international.
Faya Pascal Iffono, directeur de l’Institut supérieur des arts Mory Kanté de Dubréka depuis octobre 2023, se réjouit des progrès, non sans relever les défis majeurs fauxquels il fait face. Les départements administratifs et la trésorerie sont encore logés dans des bâtiments loués. L’ISAMK manque de bibliothèque moderne, de résidences universitaires, d’espaces de loisirs adaptés, d’une scolarité aux normes, de galerie d’arts, restaurant, infirmerie… Il en appelle à des investissements pour offrir un cadre digne de l’ambition de l’établissement.
Inventorier et archiver le folklore
Selon Camara Naby Malik, la préservation de la musique traditionnelle guinéenne passe par la transmission du savoir aux jeunes générations. En ce sens, dispenser des cours de balafon est une passion pour lui. « Nous avons des étudiants venus de toute la Guinée qui savent jouer aux instruments. Après leur formation, ils peuvent à leur tour devenir formateur.s […] Nous leur apprenons à aimer, à respecter et à promouvoir mais surtout à entretenir le matériel. C’est comme l’être humain. Si on perd ces instruments, on perd notre identité. »
Mara Augustin, enseignant en audition musicale, suggère d’organiser des compétitions, de rehabiliter les quinzaines et biennales artistiques, les orchestres de l’intérieur du pays en créant des espaces culturels dans chaque région pour encourager les jeunes à s’approprier les instruments guinéens. Il suggère également des programmes d’apprentissage des percussions dès le bas âge; créer l’émulation à travers des compétitions publiques, afin que les jeunes expriment leur talent, dans les villages, les sous-préfectures et remonter jusqu’au Festival national des arts et de la culture (FENAC). « Il faudra aussi inventorier, transcrire et archiver notre folklore musical original avant qu’il ne disparaisse », conseille enfin Camara Naby Malik comme moyen sûr de préservation de l’identité culturelle guinéenne.
Saa Edouard Millimono, étudiant en Licence 2 à l’ISAMK, illustre les bienfaits d’une telle initiative. Passionné de musique depuis l’enfance, il a découvert, au fil de sa formation, l’importance des instruments traditionnels. Son ambition est de maîtriser le maximum d’instruments possibles afin de devenir un ambassadeur de la culture guinéenne sur la scène internationale. Il plaide pour l’intégration des cours de musique traditionnelle dès le collège, afin de former les jeunes sur la richesse de leur patrimoine et susciter des vocations.
Dans un contexte mondial marqué par la mondialisation, l’ISAMK se positionne comme l’institution clé pour la préservation et la valorisation de la musique traditionnelle guinéenne. Toutefois, il est impératif d’investir davantage dans la culture et la formation artistique.
Abdoulaye Pellel Bah