Sur les images dans les médias locaux en République Démocratique du Congo et sur les réseaux sociaux, on voit des jeunes gens, regards dans le vide, menottes aux mains, titubant presque, des larmes ruisselant sur le visage des certains, en train suivre un bref discours du ministre congolais de la Justice.

D’autres images les montrent en train de monter dans un véhicule pénitencier qui devrait les conduire dans une prison hautement sécurisée, loin de Kinshasa, au nord-ouest du pays. C’est la troisième vague qui a été transféré dans les prisons sécurisées dimanche dernier, selon les autorités.

Ces jeunes gens, des bandits urbains appelés en RDC des « kuluna » (lingala) venaient d’être condamnés par le tribunal militaire de garnison de Kinshasa-Gombe et attendent l’exécution de la peine de mort décidée par cette juridiction. « La police arrête, la justice juge et condamne », a déclaré Constant Mutamba, ministre de la Justice lors d’un point de presse lundi.

A Kinshasa et dans beaucoup d’autres villes en RDC, à en croire Billy Mbudi joint par BBC Afrique depuis la capitale congolaise, les habitants ne peuvent plus rester dehors après 20 heures. La peur de ces jeunes bandits est très grande au sein de la population. « Ils ne font cadeau à personne ».

« De la prison militaire de Ndolo en passant par l’Avenue poids lourd jusqu’à l’aéroport international de N’djili, la population a âprement ovationné le ministre de la justice, Constant Mutamba dont l’effort d’en découdre avec le banditisme urbain est plus que flagrant », a écrit sur X le Directeur de publication de vraies-infos.net, Jeannot Mubenga.

Qui sont les kuluna en RDC ?

« Kuluna », qui veut dire grand banditisme urbain en RDC, désignent ces jeunes gens organisés en bande de hors-la-loi, incontrôlables qui ont pour objectif de voler et de faire du mal avec des armes blanches, généralement des machettes, couteaux et pierres.

Ces jeunes justifient leurs forfaits par le fait qu’ils n’ont pas de travail, et se tournent donc vers ces exactions et crimes.

« Ils n’ont pas d’état d’âme, ces jeunes qui sèment la désolation et la panique dans tout Kinshasa et dans d’autres villes », explique M. Mbudi.

Une situation qui conduit à une décision d’envergure des autorités

La plupart de ces jeunes sont des récidivistes qui ont déjà fait à plusieurs reprises la prison. Mais dès qu’ils sortent, ils recommencent les actes de grand banditisme en s’attaquant aux honnêtes citoyens, selon les explications du ministre de la Justice, Constant Mutamba.

« Imaginez-vous qu’un policier, on lui coupe les bras. Ces jeunes tuent les gens. Quand ils se bagarrent avec les machettes, en tout cas il ne faut pas être là. C’est un peu horrible ce qu’ils font », déclare Me Peter Ngomo Milambo, Avocat au barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa-Gombe, à BBC Afrique.

C’est lorsque dépassées par la situation que les autorités congolaises ont lancé l’opération « Ndobo » (l’hameçon). C’est une opération, a indiqué Constant Mutamba au cours du point de presse de lundi, destinée à juguler le grand banditisme urbain à Kinshasa et dans les autres grandes villes du pays.

Plus de 300 kuluna ont été arrêtés et condamnés lors de 11 audiences foraines.

« Nous avons pu organiser plus de 11 audiences foraines, et plus de 300 Kuluna ont été condamnés. Ça veut dire que ces procès ont été organisés sur la base de l’ordonnance de loi portant répression des infractions flagrantes, pour permettre de faciliter la célérité des procédures », a indiqué le ministre de la Justice qui a ajouté que le droit des accusés a été respecté.

127 sur les 300 ont été condamnés à mort. D’autres à des peines de 5, 10 ou 20 ans. La procédure pour un procès équitable conforme aux lois a été respectée, selon M. Mutamba. Le ministre a confirmé dimanche le transfert des condamnés à mort de Kinshasa vers la célèbre prison d’Angenga.

Cependant, selon des avocats et autres organisations de défense des droits de l’homme, il y a eu vice de forme lors du procès en première instance qui a abouti à la condamnation à mort de ces jeunes gens.

Du procès et de l’irrévocabilité de la condamnation à mort

Me Peter Ngomo Milambo ne pense pas que ces jeunes seront exécutés. « Sinon ce sera une grave atteinte aux droits de l’homme ». Pour lui, c’est une manière pour les autorités du pays de leur faire peur, vu les crimes et autres atrocités que commettent ces jeunes dans les grandes villes du pays.

L’avocat indique que la procédure a été accélérée avec des vices de forme. Rappelant que les infractions comme meurtre, association de malfaiteurs, vols à mains armées sont punies de la peine de mort selon la législation congolaise, il est difficile d’établir dans le cas des kuluna, selon lui, la flagrance comme si les faits pour lesquels ils sont jugés venaient d’être commis.

« Pour la plupart, ils ont été condamnés à la peine de mort. Il est vrai aussi qu’il y en a qui sont passés aux aveux affirmant devant le juge que c’est moi qui ai tué tel policier, c’est moi qui ai tué telle personne. Mais, ce n’est pas le cas avec tout le monde », souligne l’avocat au barreau près de la Cour d’Appel de Kinshasa.

Il ajoute toutefois que ces jeunes n’ont été condamnés qu’au premier degré. Donc la bataille juridiciaire pour arriver jusqu’à leur exécution va être longue.

Me Milambo rappelle que selon l’article 61 de la Constitution de la RDC, « peu importe la situation dans laquelle on peut se trouver, on ne peut priver personne de son droit de faire recours ». Et donc les condamnés à mort ont encore droit de faire appel de cette décision.

Même si la peine est confirmée en appel, ils ont encore droit de former un pourvoi en cassation. Si la procédure est suivie, continue l’avocat, l’exécution de cette peine de mort « ne pourra pas aboutir dans moins de cinq ans ». Il déplore la passivité des avocats de la défense qui ne sont pas « outillés » ou « suffisamment expérimentés » pour savoir la procédure à suivre.

Et d’ajouter : « Même si on arrivait à une décision de pourvoi en cassation, il y a encore une autre procédure qu’il faudrait utiliser. Le ministère public devra saisir le chef de l’Etat pour une mesure de grâce. Ce n’est qu’en dernier ressort, lorsque le chef de l’Etat refuse d’accorder la grâce qu’on pourra en ce moment exécuter la peine de mort ».

En RDC, la peine de mort pour les civils c’est par pendaison, et par fusillade pour les militaires. « Mais sincèrement, la procédure telle que suivie, n’a pas été du tout régulière. C’est ce que nous sommes en train de dénoncer », selon Me Peter Ngomo.

Il rejette les informations selon lesquelles les jeunes condamnés à mort ont été amenés pour être tués. « Je ne vois pas quelqu’un qui peut accepter de prendre cette responsabilité de tuer ces jeunes, bien que condamnés à la peine de mort. C’est peut-être juste pour les effrayer un peu ».

Certains de ces jeunes condamnés, selon lui, ont même relevé appel. Mais les autorités judiciaires ont insisté qu’ils soient envoyés d’abord dans ces lieux de détention hautement sécurisés.

Appel au respect des droits des détenus

Dans une réaction mardi, Amnesty International a appelé les autorités de la RDC à arrêter les projets d’exécution massive dans la condamnation à mort d’une centaine de détenus, selon les informations.

L’ONG de défense et de la protection des droits de l’homme a d’abord protesté contre le transfert des détenus à Angenga, prison située au Nord-Ouest de la République Démocratique du Congo. « Une prison où des dizaines de détenus sont morts de faim et de maladies par le passé ».

« L’annonce de ces transferts est absolument consternante. Nous craignons des exécutions imminentes, dans un contexte de manque d’informations fiables sur le statut des condamnés », a déclaré Sarah Jackson, Directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.

L’organisation demande que les personnes transférées soient placées dans un établissement accessible aux avocats, aux familles et organisations de défense des droits de l’homme.

Pour sa part, Constant Mutamba a annoncé la construction d’une nouvelle prison centrale à Kinshasa, d’une capacité de 20 000 détenus, ainsi qu’à Kisangani, Goma, Bukavu et Sake. Ces projets, selon le ministre, visent à désengorger les prisons existantes et améliorer les conditions carcérales, après les incidents meurtriers de Makala en 2024.

Mais il a justifié ces transferts comme une étape dans l’exécution de la peine capitale, autorisée par les lois congolaises. Le ministre de la Justice a également salué une baisse du banditisme à Kinshasa grâce à ces mesures.

L’année dernière, la RDC a rétabli la peine de mort après deux décennies de suspension. Les condamnations à mort ont augmenté depuis lors.

Par BBC.Com