Après le départ des forces françaises de la République Centrafricaine, du Mali, du Burkina Faso et du Niger, le Tchad et le Sénégal ont emboîté le pas à ces pays. Lesquels sont suivis, dans cet élan généralisé de souverainisme, par la Côte d’Ivoire. Le pays de Nana Boigny a exprimé, lui aussi, le 31 décembre 2024, son souhait de voir enfin les soldats français partir de son territoire.

Devant ces départs en cascade, qui font donc boule de neige dans le fameux pré-carré, le chef de l’État français s’est livré à un véritable baroud d’horreur à l’occasion de la 30ème conférence des ambassadeurs français à Paris le 6 et le 7 janvier. Emmanuel Macron a réfuté l’idée selon laquelle l’armée française a été contrainte de se retirer. Il estime que “ses soldats sont plutôt partis parce qu’il y a des coups d’État. Et Parce qu’ils étaient là, à la demande d’États souverains. » À partir du moment où l’État a perdu sa souveraineté, la France n’avait plus sa place.

Ces propos ne passent ni à Dakar ni à N’Djamena. Bassirou Diomaye Faye du Sénégal s’indigne devant les propos de son homologue français : « C’est par simple commodité et par politesse que la France a consenti la primeur de l’annonce du départ de ses soldats aux pays africains. » Pour Bassirou Diomaye Faye, « pour le cas du Sénégal, cette affirmation est totalement erronée. Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu entre les deux pays. La décision, prise par le Sénégal, découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain. »

N’Djamena ne dit pas autre chose. « Le gouvernement exprime sa vive préoccupation suite aux propos tenus par le président français, qui reflètent une attitude méprisante à l’égard de l’Afrique et des Africains. L’histoire atteste que l’Afrique a joué un rôle déterminant dans la libération de la France lors des deux guerres mondiales. » Le Ministre des Affaires étrangères réplique du berger à la bergère. L’absence des « merci à la France » n’est pas un oubli : la France n’a jamais véritablement reconnu le rôle des Africains dans les guerres mondiales de 1914-1918, et 1939-1945.

Ces discours, qui passent inaperçus, auraient été suicidaires dans les années 60 et 70. Beaucoup de dirigeants du continent l’ont appris à leurs dépens. S’exprimer comme le président sénégalais et le ministre des Affaires étrangères tchadien l’ont fait, conduisait au mieux en prison -comme Modibo Keïta, au pire- au cimetière comme Patrice Lumumba. Voyons plutôt. Après la victoire du mouvement national congolais aux législatives de mai 1960, Patrice Lumumba devient le premier Premier ministre de la République Démocratique du Congo. Il est considéré comme un homme de gauche radical. Son discours indispose l’Occident en général, le souverain belge, Baudouin 1er, en particulier. Des troupes belges sont envoyées à Léopoldville, la capitale, et au Katanga qui déclare la sécession le 11 juillet sous Moïse Tshombé. Des milliers de Belges s’y sont réfugiés. Lumumba demande de l’aide aux États-Unis, aux Nations unies et à l’Union soviétique. En pleine guerre froide, le recours aux Soviétiques accentue les tensions. Le président Joseph Kasa-Vubu révoque Lumumba le 5 septembre. Puis, le 14, le chef d’état-major de l’armée, Joseph-Désiré Mobutu, s’empare du pouvoir avec l’appui de puissances occidentales. Assigné à résidence, Lumumba s’échappe, avant d’être arrêté en décembre 1960 puis transféré le mois suivant à Élisabethville, au Katanga. Il sera exécuté le 17 janvier 1961, en compagnie de ses amis d’infortune, Joseph Okito et Maurice M’Pola, en présence de politiciens katangais et de belges. 

Le Togolais, Sylvanus Olympio, subira le même sort. Malgré la signature d’un pacte de défense, Olympio prend ses distances avec la France et se rapproche des pays anglo-saxons. Des gestes autonomistes, dont sa volonté de rompre avec le franc CFA et d’adopter une monnaie nationale, suscitent la hargne de Paris. Le 12 janvier 1963, des soldats démobilisés de la guerre d’Algérie entrent chez lui pour l’arrêter. Olympio leur avait refusé l’intégration dans l’armée togolaise peu de temps auparavant. Il se réfugie à l’ambassade américaine, mais est repéré par les militaires qui l’abattent le lendemain. Le sous-officier Eyadéma Gnassingbé revendique l’assassinat. Un mystère entoure encore aujourd’hui la responsabilité de la France dans ce tragique événement.

Puisqu’il n’y a pas deux sans trois, citons le cas d’un autre chef d’État africain qui n’était pas en odeur de sainteté avec Paris, Modibo Keïta. Le 19 novembre 1968, un petit groupe de militaires, dirigés par le lieutenant Moussa Traoré, le renverse sans violence, mais l’emprisonne sans sourciller.

Un gouvernement provisoire est formé avec comme Premier ministre Yoro Diakité. Moussa Traoré devient l’homme fort du nouveau régime.  En panafricaniste engagé, Modibo Keïta prônait le non-alignement à l’extérieur et un modèle de développement socialiste à l’intérieur.

Seul Sékou Tyran échappera à ces éliminations attribuées à tort ou à raison aux Occidentaux en général, à la France en particulier. Paranoïaque devant l’Eternel, le chef de l’État guinéen assurera sa survie politique par une rupture sans précédent. Les conséquences de son antagonisme avec la France suivent encore la Guinée comme son ombre.

Dans tous les cas, si Lumumba, Olympio et Modibo vivaient encore, ils auraient été certainement fiers de leurs successeurs qui peuvent dire tout haut ce qu’eux murmuraient tout bas.

Habib Yembering Diallo