Par lettre datée du 13 janvier, l’avocat Mohamed Traoré a annoncé sa démission du Conseil national de transition (CNT). Il explique sa décision par l’expiration de la durée de trois ans de la transition, adoptée en plénière par le Parlement transitoire. Désormais, les regards sont tournés vers les autres conseillers, notamment ceux désignés par les Forces vives de Guinée qui ne reconnaissent plus les organes de la transition.

L’ancien bâtonnier a-t-il ouvert la boîte de Pandore ? Maître Mohamed Traoré décide de jeter l’éponge et quitter définitivement le Conseil national de la transition, à compter du 13 janvier. Il le fallait, selon lui, la durée de la transition échue depuis le 31 décembre dernier. Si l’avocat n’a pas fait d’autres commentaires, son acte est interprété comme un acte courageux rappelant à la junte que le temps qui lui est imparti est terminé.

Son acte met aussi la pression sur les autres membres du CNT, comme le soutient Abdoulaye Oumou Sow du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) : « Les Forces vives de Guinée ne reconnaissent plus les organes de la transition, le CNT y compris. Il est souhaitable que les conseillers issus de ses rangs démissionnent. »

Choix cornélien à l’UFDG et au RPG

En attendant, c’est plutôt le silence du côté des intéressés. Même si les formations politiques qui les ont désignés pourraient les pousser à rendre le tablier. Le RPG arc-en-ciel a déjà entamé la démarche pour retirer son représentant, Sayon Mara. La question a déjà été discutée au sein de l’ex-parti au pouvoir, la décision prise depuis décembre 2024 : « Nous lui avons donné le temps d’analyser consciencieusement la situation afin de prendre la décision lui-même pour être en conformité avec la ligne du parti. Nous attendons sa réponse », explique Marc Yombouno du bureau politique du parti de l’ancien président, Alpha Condé.

Pour le moment, Sayon Mara traîne le pas. Selon Marc Yombouno, son parti n’est pas prêt à attendre indéfiniment. C’est soit il s’aligne sur la ligne du RPG arc-en-ciel, soit c’est le divorce : « S’il refuse la demande, il sera au CNT en tant que simple citoyen. Nous ferons comprendre qu’il ne représente plus le RPG. »

Au-delà de l’ancien parti au pouvoir, la question de l’avenir des représentants des partis politiques au CNT fera l’objet de débats au sein des Forces vives de Guinée, une coalition qui exige la fin de la transition militaire. A l’UFDG, on souscrit déjà à la solution de la démission. Le parti dirigé par Cellou Dalein Diallo compte demander à son représentant de se retirer, à en croire une source qui a requis l’anonymat : « Il connaît notre souhait, mais j’ignore ce qu’il compte faire. Nous estimons que la période de grâce est terminée. Le parti va lui adresser bientôt un courrier officiel pour qu’il choisisse entre les intérêts du peuple de Guinée et ceux des putschistes. » Souleymane Souza Konaté, conseiller en communication du président de l’UFDG, annonce que le parti réagira dans les prochains jours par communiqué.

Le BL entretient le suspens

Longtemps vu comme un soutien du pouvoir, le Bloc libéral et son leader commencent à prendre leurs distances. Faya Millimouno s’est ligué pratiquement contre tous les agissements du CNRD. Ibrahima Mbemba Bah, chargé de communication du BL, n’exclut pas le retrait de leur représentante du CNT : « Les discussions ne sont pas terminées, mais c’est une alternative à ne pas exclure. Si la transition ne change pas de trajectoire, notre représentante va quitter le CNT.»

Quid des représentants des associations de presse et autres ? Ces derniers ne semblent pas se presser à prendre une telle décision. Contactée, une conseillère issue de la presse de lâcher : « Je ne suis pas la bonne personne pour vous répondre, demandez-en à d’autres. »

Après la démission de Mohamed Traoré, la question est désormais de savoir s’il sera remplacé ou non par le Barreau de Guinée qui l’avait désigné pour le représenter au CNT. « Je ne suis pas encore officiellement saisi de la démission », répond le Bâtonnier Mamadou Diop Souaré. S’il confirme que Mohamed Traoré l’avait prévenu de son intention de jeter l’éponge, il estime que cela n’est pas suffisant pour décider de le remplacer ou non. « La lettre est adressée à une institution, Me Traoré appartient à une corporation. Quand le CNT me saisira pour me demander de désigner le remplaçant du démissionnaire, je réunirai le Barreau pour prendre une décision. Il reviendra au conseil de l’ordre de trancher la question du remplacement ou non de Me Traoré. »

Une démission diversement accueillie

La démission de celui qui fut Bâtonnier et membre du CNT de 2010 a jeté un pavé dans la marre. Une décision diversement accueillie par les Guinéens. Saluée par l’opposition, elle est houspillée par les partisans de la junte. Ces derniers mettent en cause la moralité du démissionnaire, arguant qu’il serait frustré de n’avoir pas été nommé ministre de la Justice. Il aurait, au début de la transition, passé une interview pour le poste mais sans être retenu. « Ce qui n’est pas un crime en soi, répond un ancien ministre et fin observateur de l’actualité politique. Peut-être qu’il a été écarté justement pour ses positions ».

Notre source pense toutefois que Mohamed Traoré, tout comme les autres acteurs politiques et de la société civile qui avaient ovationné Mamadi Doumbouya ont été naïfs de rêver « d’avoir un bon coup d’État. La meilleure manière de sauver la face, c’est peut-être de jeter l’éponge. Il est difficile pour beaucoup de s’en remettre, après avoir applaudi des mains et des pieds le putsch. C’est facile de jeter l’éponge maintenant, après s’être associé à la gestion de la transition. Que font encore les représentants des Forces vives de Guinée au CNT ? » Notre observateur semble avoir plus de considération pour Kalifa Gassama Diaby, qu’il qualifie de « seul défenseur de la démocratie sans contrepartie ». Ou de l’ancien Premier ministre Mohamed Béavogui et l’ex-Garde des Sceaux Fatoumata Yarie Yansané, partis à tremps. Cette dernière « a refusé par deux fois d’entrer au gouvernement sous Alpha. C’est une femme de principe, même si elle ne l’exprime que dans sa sphère privée », poursuit-il. Tout en admettant, à propos de la démission de Me Traoré, que mieux vaut tard que jamais.  

L’ancien ministre de la Justice d’Alpha Condé, joint par notre rédaction depuis Montpellier (France), garde en revanche des bons souvenirs de son confrère Mohamed Traoré : « Il était bâtonnier quand j’étais ministre. Durant ce temps, j’ai travaillé en bonne intelligence avec lui. C’est un homme de principe. Il a pris ses responsabilités, c’est très courageux », estime Cheick Sako.

« Dans le contexte actuel, c’est courageux et honorable pour le Barreau de Guinée qui reste un des maillons forts pour résister à la dictature et faire valoir l’État de droit dans un pays où la liberté se meurt », conclut Abdoulaye Oumou Sow du FNDC.

Yacine Diallo et

Diawo Labboyah Barry