Le 3 février, Ousmane Kaba, président du parti PADES, a comparu devant la Cour de répression des infractions économiques et financières dans le cadre d’une affaire de signature de convention cadre entre la Guinée et la Chine qui remonte à l’époque où il était ministre de l’Économie et des finances. Le prévenu a rejeté en bloc les accusations de « faux et usage de faux en écriture publique, abus de confiance » portées contre lui par la société Bankina Pêche.
« Je ne connais pas les plaignants, je ne suis au courant de rien », a déclaré d’entrée l’ancien ministre de l’Économie et des finances sous Lansana Conté. Pour rafraîchir sa mémoire sur ce dossier vieux de 27 ans, le juge a rappelé qu’en 1993, la société Bankina pêche avait signé un contrat de consignation de 26 bateaux avec la société chinoise China National Ficherie Corporation, contre versement (à la première) de 5000 dollars par an. Ousmane Kaba soutient avoir entendu parler du dossier, la première fois, à l’ORDEF (Office de répression des délits économiques et financiers), il y a 7 mois.
Toutefois, il répond par l’affirmative avoir signé une convention avec la Chine en 1997, au nom de la Guinée. Avant de s’étonner, l’air agacé, de sa présence devant la CRIEF. « Je ne comprends même pas. C’est au niveau d’un État avec une ambassade ou un autre gouvernement qu’il peut y avoir la signature d’une convention. Je suis très étonné qu’un privé se lève pour dire que c’est une fausse convention. Un gouvernement ne signe jamais une fausse convention. On ne signe jamais une convention en pensant à un individu ou à une société. C’est pour toute la nation, pour l’économie du pays », se défend l’ancien commis de l’État.
De l’électricité dans l’air
L’avocate de la partie civile, Téninké Touré, a irrité le prévenu en manquant aux règles de la civilité. « Ousmane Kaba, vous savez que la convention que vous avez signée porte préjudice à Bankina Pêche qui avait signé un contrat de consignation avec la société China National Ficherie ? » questionne l’avocate. L’ancien ministre de l’Économie et des finances de répondre sèchement : « C’est son affaire ». Téninké Touré rétorque : « En plus, il est très arrogant ».
S’en est suivi des prises de bec et du brouhaha dans la salle. Le juge audiencier rappelle le prévenu à l’ordre, Ousmane Kaba fulmine : « Je ne suis pas contre vous monsieur le président. Je suis dans tous mes états, je m’en excuse. Comment un privé peut poursuivre un ancien ministre parce qu’il a signé une convention ? Un privé est mal placé pour parler de détournement. C’est absurde !»
L’avocate persiste : « Ousmane Kaba, est-ce que vous vous êtes interrogé avant de signer ce contrat » ? Réponse : « Du moment qu’il n’y a pas de problème, on ne s’interroge pas ». Le conseil de la partie civile de poursuivre : « Ousmane Kaba, comment vous avez préparé la convention ? » Le prévenu précise qu’il ne revient pas à un ministre de préparer les dossiers, mais aux services techniques du ministère. L’insistance de l’avocate finit par agacer de nouveau Ousmane Kaba. « Je ne suis pas votre enfant, ne me parlez pas comme ça », lance-t-il. Le juge lui ordonne de se contenter de répondre aux questions ou de s’y abstenir.
Suspension de l’audience
Les avocats de la défense déplorent un manque de respect à l’égard de leur client, avant d’inviter leur consœur à plus d’égard. Me Téninké Traoré rétorque que la loi ne l’oblige pas à appeler un prévenu monsieur. « En plus de 20 ans de carrière, c’est ma première fois d’entendre dire qu’on ne dit pas monsieur à un prévenu à l’audience », s’est exclamé Me Mohamed Traoré. Son confrère Adama Barry d’enfoncer le clou, en rappelant que « nous sommes en Afrique, Dr Kaba est plus âgé qu’elle. Elle lui doit du respect ».
Le président de la Cour demande humblement à l’avocate Téninké Touré d’en tenir compte en s’adressant au prévenu. « Je ne dirai jamais cela, s’entête l’avocate. Je veux qu’on me montre une loi qui m’oblige à le faire ». Les tentatives de la faire comprendre que c’est une question de bienséance laissent l’avocate de marbre.
Le président de la Cour suspend l’audience. A la reprise, le parquet rappelle que la Cour applique la loi et non la morale. L’avocate poursuit, ragaillardie. A la question de savoir si Ousmane Kaba avait signé un accord financier de 3 millions de dollars, il répond : « Je n’ai signé qu’un accord global qui intéresse les deux gouvernements et rien d’autre ». L’avocate insiste, le prévenu s’emporte enocre et lâche : « Est ce que ça va dans la tête ? » Il est sommé de revenir sur ses propos.
Un dossier déjà jugé ?
Les avocats de la défense soutiennent que l’affaire a déjà été jugée depuis 2010. De même, les enquêteurs de l’ORDEF saisis récemment auraient conclu dans leur rapport qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes nécessitant des poursuites. La défense ne comprend pas pourquoi le ministère public s’est saisi du dossier. Mieux, poursuivent les avocats, leur client a signé la convention en tant que ministre, agent de l’État et ne saurait donc être poursuivi à titre personnel. La procédure a été relancée à la CRIEF « parce que nous sommes faibles aujourd’hui et qu’il faut poursuivre les anciens ministres. C’est la tendance », renchérit Ousmane Kaba.
Le procès a été renvoyé au 17 février, pour entendre les anciens ministres Boubacar Barry, Mansa Moussa Sidibé, Moussa Condé alias Tata Vieux et la société China Ficherie Corporation, pour les mêmes charges de « faux et usage de faux en écriture publique, abus de confiance ».
Mamadou Adama Diallo