Décédé à Mamou le 8 février à 17h, à l’âge de 103 ans, El Hadj Boubacar Biro Diallo a regagné sa dernière demeure le lendemain (il souhaitait être inhumé dès après sa mort). L’enseignant à la retraite, compagnon de l’indépendance et président de l’Assemblée nationale (1995-2002) sous Lansana Conté, le défunt a marqué son temps d’une empreinte indélébile. Récit.
La nouvelle du décès d’El Hadj Boubacar Biro Diallo, président de l’Assemblée nationale de 1995 à 2002, s’est répandue comme une traînée de poudre, dans la soirée du 8 février. Les réseaux sociaux ont été inondés de mots de compassion, de témoignages de tous ceux qui l’ont connu, vu à l’œuvre. L’ancien président Alpha Condé, qui était député pendant la législature d’El Hadj Biro, et pour le soutien duquel le défunt est tombé en disgrâce auprès du Général Lansana Conté, parle d’un « homme de principe et de combats » qui « s’est toujours tenu aux côtés des plus faibles, des oubliés et des démunis, qu’il a soutenus avec une générosité sans limite ».
Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), garde le souvenir d’un « homme de conviction et de sagesse » qui « a marqué l’histoire de notre pays par son courage, son intégrité et son attachement viscéral à la vérité, ainsi qu’aux valeurs de justice et de liberté ».
Divorce avec le PUP, départ émouvant
Artisan de la création en 1992 et de l’implantation du Parti de l’unité et du progrès (PUP), El Hadj Boubacar Biro Diallo a été Secrétaire général de ladite formation politique, puis Président de l’Assemblée nationale. Hostile à l’oppression et à toutes formes d’injustice infligée aux personnes sans défense, ses prises de position au perchoir du Parlement ont vite créé un climat de suspicion et de méfiance du Général Lansana Conté, président du PUP alors au pouvoir. L’irréversible s’est produit un soir. Ce jour, lors d’une rencontre au siège du PUP à Kameroun (commune de Dixinn), le Général Conté n’a pas dissimilé sa colère devant ses partisans : « C’est à RFI que j’ai entendu mon président de l’Assemblée nationale me critiquer, déclara-t-il, l’air surpris. Mais, dites-lui de me laisser hein ! Sinon, si je lui fais face, il verra hein ! » (Littéralement traduit en langue soussou). C’est ce jour que le divorce est consommé entre le Président de l’Exécutif et celui de l’Assemblée nationale.
Avant de quitter sa coquette et confortable résidence à la Cité ministérielle, El Hadj Boubacar Biro Diallo a invité le Bureau de presse de l’Assemblée nationale à œuvrer pour une grande médiatisation de son départ définitif des lieux.
J’étais le reporter désigné par Le Lynx pour couvrir l’événement. Arrivé à la résidence, El Hadj Biro serein et détendu, comme heureux d’être débarrassé d’un mal qui le ronge, nous a souhaité la bienvenue. Il a tenu un court laïus : « Je vous ai fait venir pour que vous soyiez des témoins privilégiés de mon départ de cette résidence. Vous n’allez rater aucun détail de mon départ ce jour ». Et nous avons, avec lui, suivi toutes les étapes. El Hadj Biro a pris le soin de ne rien emporter de ce qu’il avait trouvé en place en y entrant.
Fourchettes, assiettes, verres et autres accessoires ont été comptés un par un. Les chambres, les lits, les rideaux, les tapis…tout était au complet. Même constat dans les toilettes : tous les accessoires, fonctionnels et en bon état, sont exhibés. Les serrures, les poignets, les clés, tous passés au peigne fin. Les pompes dans la cour, derrière la maison, la buanderie, les cuisines et toilettes externes… Aucun équipement en panne.
Après s’être assuré que tout est en ordre, comme il l’avait trouvé le premier jour de son arrivée à la résidence, il a rendu les clés de ses véhicules de fonction et a quitté les lieux, devant les journalistes, les yeux mouillés de larmes et admiratifs de ses anciens collaborateurs (députés, personnel de l’administration parlementaire, amis et sympathisants).
Retour sur des plénières animées
Pour avoir couvert assidûment des nombreuses sessions parlementaires, je suis bien placé pour soutenir qu’en termes de qualité des débats, la manière dont les plénières étaient conduites sous la législature d’El Hadj Boubacar Biro était inédite. Les débats étaient ouverts et animés par des sommités: feux Jean-Marie Doré, Aboubacar Somparé, Siradiou Diallo, Bâ Mamadou, Alpha Condé… Des leaders de renom issus de la majorité présidentielle, des centristes et de l’opposition.
El Hadj Boubacar Biro Diallo, instituteur de profession, est rarement arrivé en retard à l’Hémicycle. Il débutait tôt des plénières marathoniennes qui pouvaient se dérouler de 10h à 22h. Et il ne suspendait jamais les débats pour des besoins biologiques personnels. Sauf à la demande de certains députés. « On se demande ici à l’Assemblée nationale quelle est sa constitution biologique. Pour son âge et les tâches à abattre à l’Hémicycle, c’est hallucinant », m’a soufflé un jour, intrigué, un député du PUP. Une seule situation pouvait l’importuner : si une plénière se terminait sans qu’il n’entende le Dr Paul Faber dont il admirait les contributions aux débats.
Miné à l’époque, par l’âge et surtout la maladie, le Dr Paul Faber conscient de cela (nous n’avons jamais su pourquoi) forçait aussi pour monter à l’Hémicycle. Une ascension souvent lente et douloureuse lorsque l’ascenseur chinois d’alors était en panne. Et lorsqu’il empruntait les escaliers jusqu’au 3e, il arrivait qu’il assiste à toute la plénière sans dire un mot. El Hadj Biro alors l’apostrophait en ces termes : « Je vais à présent, après une journée si laborieuse, être amené à suspendre les travaux avec le vague à l’âme, la douleur de n’avoir pas entendu à cette plénière l’intervention de mon ami Paul Faber », chahutait-il. Et ce dernier, flatté, ému, s’efforçait pour lâcher un mot. El Hadj Biro, sourire aux lèvres, le regard lumineux, de lancer enfin: « Je suis à présent à l’aise ». Le Dr Paul Faber était d’une grande culture scientifique. On apprenait toujours à l’écouter.
Quand le Président Alpha Condé a été arrêté, les prises de positions d’El Hadj Boubacar Biro Diallo en sa faveur n’ont souffert d’aucune ambiguïté. C’est la raison principale de sa brouille avec le Général Lansana Conté à l’époque. Il avait aussi de l’estime et de la considération pour le trio Siradiou Diallo – Bâ Mamadou – Alpha Condé. Quoique membre de la majorité parlementaire à laquelle il doit sa fonction de Président du Parlement, El Hadj Biro est resté équitable envers tous les députés de l’Assemblée nationale. Il les défendait tous partout où le besoin se faisait sentir.
Sa vie après le Parlement
Quelques mois après son départ du Parlement et de Conakry, j’ai eu le privilège de passer une nuit à Kourou, dans la maison de retraite d’El Hadj Biro. J’étais membre d’un groupe multimédias chargé de couvrir une tournée de l’ambassadeur du Canada de l’époque, en Haute-Guinée. Et Kadiatou DK Diallo, fille d’El Hadj Biro, a souhaité que l’ambassadeur rende visite à son père. Voilà comment nous nous sommes retrouvés à Kourou, son village natal, dans la préfecture de Mamou.
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Nous avons été accueillis avec faste par El Hadj Biro et Kadiatou DK. L’accueil était tellement chaleureux que l’Ambassadeur et sa famille ont décidé que nous y passions la nuit. Après la prière du crépuscule, sous le clair de lune- avec une superbe vue sur une chaîne de montagnes qui fait face à la maison de retraite, l’ancien président de l’Assemblée nationale et ses hôtes ont veillé jusque tard la nuit. Une veillée d’amis.
Le lendemain, l’ambassadeur m’a soufflé à l’oreille qu’il quitte, malgré lui, cet homme exceptionnel.
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De ce jour, je n’ai revu El Hadj Boubacar Biro Diallo qu’en 2021 à l’occasion de la célébration de ses 100 ans. Il était bien entouré de ses enfants, d’une foule d’admirateurs, de sympathisants. Je lui ai serré la main, demandé en soufflant dans son oreille : « Comment vous passez votre temps actuellement ? » Sourire aux lèvres, il me répond : « J’ai mes Corans. Je lis mes Corans ». Et puis, fatigué par l’âge, mais lucide, il m’a demandé comment se portent Le Lynx et Diallo Souleymane. Je lui ai dit qu’ils se portent comme un charme, promis de repasser prochainement le voir lorsqu’il sera moins envahi. Il m’a dit: « Si Allah Djabhi » (Si Dieu le veut bien, en pular). La Guinée vient de perdre un homme entier.
Abou Bakr