La France, par son ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, a réagi à la situation guinéenne le 7 mars. Une sortie qui fait des vagues à Conakry.
Huit mois après la disparition d’Oumar Sylla alias Foniké Menguè et de Mamadou Billo Bah, respectivement Coordinateur national et responsable des antennes et de la mobilisation du Front national pour la défense de la Constitution, la France est sortie de son mutisme le 7 mars. Lors d’un point-presse, Christophe Lemoine, le porte-parole du Quai d’Orsay, a exprimé « sa préoccupation » sur les enlèvements récurrents en Guinée. De lui, on apprend que le ministère français des Affaires Etrangères a fait part de son « inquiétude » aux autorités guinéennes, auxquelles elle a demandé « à faire la lumière sur ces disparitions ». Paris dit avoir invité la junte guinéenne « à garantir la liberté d’expression et la sécurité de l’espace civique », conformément à ses engagements.
Agir plutôt que réagir tardivement
« Une intervention logique par rapport à la ligne défendue par la France en matière des droits de l’homme. Mais il faut juste déplorer que cela vienne un peu plus tard, que cela ne soit pas l’émanation du ministère lui-même […], que la coopération militaire avec la France continue. Mieux, sa réponse fait suite à la question d’un journaliste. Donc c’est une réaction à chaud, ce n’est pas quelque chose de préparé… », réagit ainsi Abdoulaye Oumou Sow, chargé de la Communication du FNDC. Espérant qu’à l’avenir, le « ministère va revoir plutôt sa coopération avec la junte militaire, parce qu’aujourd’hui la France coopère avec elle dans le domaine du renseignement, mais aussi de la formation de certaines unités. »
Abdoulaye Oumou estime qu’au-delà, la France doit agir. Il serait essentiel, souhaite l’activiste, que l’Hexagone prenne en compte les « différentes violations des droits de l’homme en République de Guinée, notamment les disparitions forcées qui sont des crimes contre l’humanité, et arrête sa coopération militaire avec la Guinée. Ladite coopération favorise la formation des unités qui enlèvent les citoyens pro-démocratie et les défenseurs des droits de l’Homme. Elle bénéficie aussi à une milice autour de la junte qui ne protège pas la population, mais essaie plutôt d’imposer une dictature ».
Au risque d’être taxée de « complice tacite de ce qui est en train de se passer en Guinée », la France, ajoute-t-il, devrait revoir les « formations que reçoivent ces gens-là », leur dire que « les filatures sont faites, que les écoutes téléphoniques sont faites, mais aussi que les enlèvements sont faits. » Il insiste que la France devrait « revoir le mécanisme de formation des militaires et savoir qui sont les bénéficiaires de son appui technique et qu’est-ce qu’ils en font ».
Lueur d’espoir
« On a de l’espoir », parce que, déclare le chargé de Communication du FNDC, la France « est un pays des droits de l’homme, c’est un pays de libertés ». Pour lui, la junte guinéenne « aujourd’hui est dans une dérive, la France ne peut pas continuer de l’accompagner sur cette voie. »
Pour Alsény Sall, chargé de Communication de l’Organisation guinéenne de défense des droits humains et du citoyen, OGDH, mieux vaut tard que jamais. La sortie du porte-parole du Quai d’Orsay corrobore « les préoccupations » de l’OGDH, qui n’a eu de cesse de « dénoncer et déplorer depuis juillet 2024 » les enlèvements de Foniké Menguè et de Billo Bah, entre autres disparitions.
Alseny pointe l’inaction de l’appareil administratif et judiciaire guinéen, pour diligenter des enquêtes sérieuses. Toutefois, ajoute-t-il, « nous attendons plus de la part d’un partenaire aussi réputé que la France. Nous osons croire que ces déclarations seront suivies d’actions concrètes, pour amener nos dirigeants à communiquer sur ces différents cas et à permettre aux familles des disparus de jouir de leur droit à la justice. » Conformément aux engagements internationaux de la Guinée en matière des droits humains.
Le chef de la diplomatie guinéenne piqué au vif
La sortie du porte-parole du Quai d’Orsay, Christophe Lemoine, n’a pas été du goût du ministre guinéen des Affaires Etrangères, de l’Intégration africaine et des Guinéens établis à l’étranger. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, Morissanda Kouyaté n’y est pas allé du dos de la cuillère. Non sans attaquer les journalistes, surtout. « Il y a certains qui, après avoir tout raté, se cachent derrière leurs téléphones et ordinateurs pour écrire que la France est mécontente de la Guinée. Mais la Guinée n’est que la Guinée. C’est un pays indépendant, digne et responsable. Personne n’est notre professeur, personne n’est notre maître d’école. Nous respectons le monde, nous travaillons avec le reste du monde, mais rien ne nous est dicté », a-t-il déclaré, dans des propos rapportés par Mosaique Guinée.
Morissanda Kouyaté dément la réaction du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères.« Demandez à la France elle-même, elle vous dira qu’elle n’a jamais fait de telles demandes à la Guinée. Demandez à la CEDEAO, nous sommes en bons termes avec elle, et il n’y a aucune injonction sur notre pays. La Guinée mène ses affaires de façon normale, et nous en sommes fiers ».
La France a dit suivre la situation guinéenne comme le fait « la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les Nations unies, l’Union européenne ou encore l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Elle dit maintenir « avec les autorités de transition guinéennes un dialogue exigeant ». Peut-être que Morissanda Kouyaté n’en est pas au courant.
Mamadou Siré Diallo