Par-delà les époques et les régimes, une constante demeure : l’écrivain n’est jamais tout à fait innocent. Il est celui qui observe et celui qui scrute, celui qui capte les souffles du temps et qui traduit en mots les maux collectifs, les silences imposés et les injustices banalisées.
L’écrivain engagé, quant à lui, pousse cette responsabilité encore plus loin : il fait du langage une arme, du livre un refuge voire un champ de bataille. Il ne raconte pas seulement le monde : il le bouscule, le défie, le questionne en le forçant à se regarder en face.
À ceux qui lui reprochent de mêler littérature et politique, l’écrivain engagé répond que l’inaction est un choix, et que le silence, dans certaines circonstances, constitue une forme de complicité et de lâcheté. Il ne cherche point à plaire, ni à rassurer, ni à distraire les puissants. Il interroge. Il dérange. Mais surtout, il résiste aux honneurs du Corrupteur, aux compromis qui font ombrage à la vérité.
Son rôle n’est pas de s’aligner, mais de dénoncer ; pas d’adoucir le réel, mais de le mettre à nu. Il écrit contre l’oubli et la peur, contre la résignation et la fatalité. Dans les sociétés en crise, sous les régimes autoritaires, dans les pays où les droits fondamentaux sont foulés au pied, la parole de l’écrivain devient essentielle. Elle donne un nom aux disparus, une voix aux prisonniers politiques, une mémoire aux foules instrumentalisées.
Mais s’engager ne signifie pas devenir porte-voix d’un parti, ni céder à la facilité du slogan. Cela exige un certain courage : celui de se tenir à distance du pouvoir, de refuser les honneurs quand ils masquent l’oppression, de dire non quand tout pousse à se taire. L’écrivain engagé n’est pas un tribun. Il est une sentinelle.
La littérature, lorsqu’elle est libre, devient un miroir tendu à la société. Elle peut éveiller les consciences, susciter l’empathie et ainsi ouvrir des brèches dans les murs de l’indifférence. Face aux censures, aux manipulations, aux violences de toute sorte, elle reste l’un des derniers territoires de vérité.
Lorsque les opinions sont étouffées, lorsque la peur rôde et que l’on disparait sans explication ; lorsque les médias sont muselés, l’écrivain engagé a une tâche vitale : nommer ce que d’autres veulent taire. Il ne sauve pas le monde à lui seul, mais il l’empêche de sombrer dans le mensonge.
Il faut donc défendre et soutenir ceux qui écrivent au prix de leur liberté, ceux qui refusent les prix officiels quand la justice est aux arrêts, ceux qui préfèrent la lucidité à la reconnaissance. Il faut célébrer ceux qui dénoncent les compromissions quand les puissants imposent le silence, ceux qui, par moment, choisissent la révolte. Car l’écrivain engagé, c’est celui qui, en choisissant la vérité, rappelle que la littérature est aussi une forme de combat, et qu’elle ne peut être indifférente à l’injustice sans perdre son âme.
Me Cheick Oumar Diakité
Me Mambi Magassouba
Ecrivains et avocats