Située dans la nouvelle commune urbaine de Gbessia, le quartier de Dar-es-Salam 2 abrite depuis 1987 le plus grand dépotoir d’ordures à ciel ouvert de Conakry. Véritable problème de santé, la décharge nourrit le sentiment d’abandon chez les riverains, qui expriment leur colère à travers des manifestations. Fumées toxiques pendant la saison sèche, eaux polluées et puantes en saison pluvieuse, maladies respiratoires, prolifération de déchets et décès…  

Pour aborder la situation préoccupante, nous avons rencontré le 20 juin Mohamed Lamine Diallo, habitant du quartier et membre actif du Collectif à l’origine d’un sit-in organisé le 15 juin. Dans cet entretien, il dresse un tableau accablant et revient sur les raisons de cette énième manifestation.

Le Lynx : Depuis quand les habitants de Dar-es-Salam 2 cohabitent-ils avec la décharge ?

Mohamed Lamine Diallo : Cette décharge fatigue vraiment les habitants de Dar-es-Salam 2 et des quartiers environnants. Elle existe depuis 1987. Ce n’est pas seulement Dar-es-Salam 2 qui est touché. Pendant la saison sèche, la fumée envahit toute la zone. En saison des pluies, ce sont des odeurs nauséabondes et de l’eau noire qui s’y dégagent.

Comment les riverains vivent-ils cela au quotidien ?

Il y a beaucoup de personnes qui tombent malades à cause de la décharge. On a même perdu notre premier imam récemment. À l’hôpital, on lui a dit d’arrêter de fumer, alors qu’il n’a jamais fumé de sa vie. Il a officié pendant plus de 45 ans comme imam. Il avait des problèmes pulmonaires, causés par la fumée toxique. On respire du carbone, tout le monde est malade.

Donc cette décharge a déjà causé des morts ?

Oui, beaucoup de personnes sont décédées. Certaines familles ont déménagé, d’autres mettent leurs maisons en location pour fuir. En 2017, il y a eu un éboulement : neuf personnes sont mortes. Au lieu de la délocaliser, les autorités d’alors ont détruit des maisons et déversé encore plus d’ordures. 

Une famille du quartier a vu ses enfants ramener une grenade ramassée dans les ordures. Ils jouaient avec, sans savoir ce que c’était. Elle leur a explosé entre les mains. L’un d’eux a perdu ses deux pieds. Ces enfants sont encore là, dans le quartier. 

Un projet de délocalisation vers Coyah avait été évoqué après l’éboulement de 2017.  Où en est-on aujourd’hui ?

L’ancien président Alpha Condé était venu. Il avait promis de déplacer la décharge vers Coyah, à Kouriah. On nous a dit qu’un site a été identifié, mais depuis, rien n’a été fait. C’est pourquoi, le week-end dernier, nous avons organisé une manifestation pacifique pour alerter les autorités de la transition.

Ce n’était pas nouveau ?

Non. Ce n’est pas la première. On avait déjà invité les quatre ministères concernés : la Santé, l’Habitat, l’Environnement et l’Administration du territoire, mais aucun d’eux n’est venu. Cette fois, on a décidé de faire un sit-in pacifique. On remercie particulièrement les journalistes, car leur présence a permis de donner de l’écho à notre combat.

Quelques jours après le sit-in, les autorités auraient annoncé un projet de fermeture et de valorisation du site. En avez-vous entendu parler ?

Non. Mais je sais que les autorités sont informées de notre dernière mobilisation. Un conseiller du CNT en a parlé. Un jour, la fumée est même allée jusqu’à l’aéroport, empêchant un avion d’atterrir. Il a dû retourner à Dakar, avant de revenir deux heures plus tard. Si l’État prend enfin des mesures pour nous aider à déplacer cette décharge, ce serait un grand soulagement.

Après tant d’années de lutte sans résultat probant, avez-vous pensé à d’autres stratégies ?

On avait fait appel à des ONG, mais ça n’a pas abouti. À chaque fois qu’on met en place une structure, elle se bloque au bout d’un moment. Cette fois, ce sont les habitants eux-mêmes qui ont pris les choses en main. Nous sommes unis. Et si les autorités ne viennent pas vers nous, nous irons vers elles.

Quel est votre message à l’endroit des citoyens et des autorités ?

Aux citoyens, nous demandons de nous faire confiance et de nous aider, moralement et financièrement. Tout le monde ne peut pas participer aux manifestations, mais chacun peut contribuer.

Aux autorités, surtout au président de la transition, nous demandons de nous aider à délocaliser la décharge. Beaucoup de familles ont été endeuillées. Ce lieu était à l’origine une carrière, pas une décharge. Avant, les ordures allaient à Kénien. C’est l’État qui les a déplacées ici. Nous lui demandons de l’aide. L’État est fort, il peut agir.

Dar-es-Salam étouffe depuis 1987. Les citoyens, n’en pouvant plus, exigent la délocalisation de la décharge. Il est plus que temps que les autorités passent des promesses à l’action.

Interview réalisée par

Mariama Dalanda Bah