Depuis plus d’une semaine, l’eau fournie par la Société des eaux de Guinée (SEG) est polluée. La Compagnie de bauxite de Kindia (CBK) serait responsable de la souillure. Des consommateurs menacent de trimballer la SEG devant Dame Thémis. La SEG, elle, demande plutôt l’arrêt des activités d’exploitation de la CBK.

Il y a des jours, des citoyens de Con-cris se plaignent de la qualité de l’eau fournie par la Société des eaux de Guinée. Elle est actuellement impropre à la consommation. Dans des ménages des communes de Ratoma, Lambanyi, Matoto, l’eau n’est fournie aux ménages que trois fois par semaine. L’eau est incolore, dit-on, mais celle qui sort actuellement des robinets dans de nombreux quartiers est jaunâtre. A Wanidara2, dans la commune de Matoto, l’eau du robinet est inconsommable. Halimatou Barry, ménagère, décrit l’eau qui lui est fournie. «Depuis le 5 juillet, j’ai constaté cette pollution. L’eau que nous avons puisée est complètement impropre à la consommation. Quand on a ouvert nos robinets, l’eau était comme si on y avait ajouté de la boue», déplore-t-elle.

A Sangoyah, toujours dans Matoto, le constat est le même. Kadiatou Bah vit avec enfants, jeunes et vieux dans une grande concession. Mais ils peinent à se trouver une eau potable, celle de la SEG étant plus que polluée : «Actuellement, j’ai mis un tissus blanc au robinet, pour filtrer l’eau qui en sort, pour l’utiliser juste dans le nettoyage de nos maisons. Si nous enlevons le filtre, nous trouvons des petits vers dans l’eau. Cela nous inquiète beaucoup. C’est une eau jaunâtre que nous recevons de la SEG. Nous ne l’utilisons presque pas, ni pour la cuisson ni pour la vaisselle, encore moins pour la consommation. Parce que nous n’avons pas confiance à sa qualité». Kadiatou Bah ajoute que n’eut été de bons samaritains, sa famille serait davantage en difficultés pour son approvisionnement en eau potable. «Pour ce qui est de la cuisson et de la boisson, heureusement il y a un forage chez nos voisins, c’est cette eau que nous consommons». Son époux, Aboubacar Diallo, menace de porter plainte contre la SEG. «C’est un problème de santé. Nous demandons que cela soit réglé, car nous payons des factures. Nous interpellons les autorités en charge des eaux : si cette pollution persiste, nous nous mobiliserons afin d’engager des actions judiciaires contre notre fournisseur, la SEG. Parce qu’on ne peut pas jouer avec la santé des citoyens », peste le père de famille.

La CBK, « principale cause de la pollution »

Le dirlo de la Société des eaux de Guinée, Thierno Mamadou Nassirou Diallo, précise que le 9 juillet, une équipe mixte de sa direction, la Direction nationale de l’environnement et l’Inspection nationale des mines, se sont transportées sur la mine de la CBK à Kindia. Le but est clair : vérifier à partir de la mine jusqu’aux sources où la SEG prélève son eau, s’il y a une corrélation physique entre la pollution identifiée au niveau de la station de la SEG et la mine en question. Le constat, selon lui, confirme que la CBK est la plus principale cause. « Ces constats ont révélé que les activités d’extraction de la mine de la Compagnie de bauxite de Kindia, qui se situe directement en amont du barrage, est la principale cause de la pollution. La situation est catastrophique », déplore le dirlo de la SEG, le 11 juillet.

L’eau de la SEG est prélevée aux grandes chutes d’un barrage sur le fleuve Samou, dans la préfecture de Kindia. Le dirlo de la SEG indique que ce n’est pas la première fois que cette eau est polluée. «La pollution de l’eau de la SEG n’est pas un fait nouveau. Depuis cinq à six ans, chaque année, au moment des grandes pluies, il y a une forte détérioration de l’eau à la base». Selon lui, par le passé, quand une telle situation survient, la SEG informe son ministère qui remonte aux ministères des Mines, de l’Environnement et de la Santé. «Très malheureusement, à chaque fois, des incohérences sont identifiées et des injonctions sont faites à la compagnie de procéder à des corrections. C’est cela qui est souvent fait, même dans ce cas-ci ». Mais le problème demeure.

Après la visite de terrain, Thierno Mamadou Nassirou dit avoir fait un rapport, transmis à sa tutelle. Celle-ci le transmettra aux départements concernés, afin qu’une décision soit prise. L’une des recommandations est d’interdire immédiatement à la CBK d’exercer pendant la saison des pluies. «Des recommandations ont été faites aux décideurs d’exiger à RUSAL-CBK d’arrêter l’exploitation de la carrière, pendant la saison des pluies. C’est ce qui sera transmis à la tutelle. C’est une exécution immédiate que nous avons demandée», insiste-t-il.

«  Nous ne sommes pas la source de cette pollution »

 Contactée le 11 juillet, la CBK n’a pas donné suite à notre demande. «Les personnes qui pouvaient apporter leur avis l’ont fait», nous a balancé la Cellule de Com de la société minière. Lors d’une visite de terrain organisée par la CBK sur son site de Débélé (Kindia), le dirlo de la CBK, Okonov, a réfuté l’accusation chez nos confrères de Guineematin, le 8 juillet. Selon lui, sa société a aménagé des bassins de décantation, permettant de contenir l’eau. Ces bassins seraient construits avant l’ouverture des carrières et le démarrage des travaux d’exploitation. Une exigence, dit-il, de l’étude environnementale, dont le respect tiendrait à cœur la CBK. Mais Okonov n’exclut pas que ces bassins débordent, sous l’effet de la forte pluviométrie: «Il faut comprendre qu’en cas de fortes pluies, il est possible que les bassins débordent, mais cela peut arriver de manière exceptionnelle, une fois tous les dix ans environ», admet-il avant de réfuter que sa compagnie soit responsable de la pollution des eaux de la SEG: «Les questions environnementales occupent une place centrale dans nos activités. L’eau qui va à Conakry, et même celle que nous consommons ici à Débélé est la même. Il n’est donc pas dans notre intérêt de la polluer. Encore une chose importante, toutes ces infrastructures hydrauliques ont été construites dans les années 1950 ou 1952. À cette époque, la population de Conakry n’était pas aussi dense et la consommation d’eau était faible. Il y a plusieurs facteurs qui influencent aujourd’hui la qualité de cette eau. Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes pas la source de cette pollution», réfute-t-il.

A cette allure, la pollution des eaux de la SEG en provenance du fleuve Samou, à Kindia a de beaux jours devant elle.

Souleymane Bah