Après avoir dénoncé les dérives de l’urbanisation anarchique, il est temps de passer à l’espérance agissante.
Constat factuel : un territoire en mutation, entre inquiétude et promesse
Le Foutah vit un moment charnière de son histoire. Ses paysages splendides, son climat tempéré, ses terres arrosées et son ouverture frontalière stratégique en font une région singulière en Afrique de l’Ouest. Pourtant, derrière ces atouts, une réalité plus sombre s’impose: l’exode massif des jeunes, l’abandon progressif des terres, la fragilisation des activités productives, une panoplie d’associations de ressortissants sans coordination, et une urbanisation désordonnée alimentée par des investissements dispersés de la diaspora.
Ces transformations, si elles ne sont pas orientées et accompagnées, risquent de plonger la région dans une crise durable. Mais elles recèlent aussi une formidable opportunité : celle de transformer l’énergie et les ressources de la diaspora, combinées aux efforts des acteurs locaux et du soutien de l’Etat, en leviers de développement local durable et inclusif.
L’histoire d’autres régions à travers l’Afrique et le monde nous montre qu’il n’est jamais trop tard. Des territoires vidés de leurs forces vives ont su se repeupler, se structurer et prospérer grâce à une mobilisation collective et à une coordination intelligente. Le Foutah peut et doit suivre cette voie.
De nombreux atouts
Le Foutah dispose de nombreux atouts qui peuvent être exploités pour son développement.
- La diaspora : une force affective et un véritable moteur économique
La diaspora du Foutah est immense, à la fois par son attachement identitaire et par sa puissance financière. Elle construit des maisons, finance des infrastructures, envoie des transferts monétaires massifs. Mais faute de mécanismes adaptés, une grande partie de cette énergie est mal canalisée et ne génère pas toujours un impact économique durable pour les territoires de la région.
L’expérience du Maroc avec le MDM Invest est éclairante : en incitant les Marocains de l’étranger à investir dans les Petites et Moyennes Entreprises locales grâce à des primes et des garanties, des milliers d’emplois ont été créés dans la boulangerie, l’agroalimentaire, l’artisanat et les services.¹ Pour le Foutah, la leçon est claire : il est temps d’imaginer un « Foutah Invest », capable de transformer les transferts de la diaspora en emplois productifs et en valeur ajoutée locale.
- Diaspora et communes : bâtir une alliance de confiance
La générosité seule ne suffit pas. Sans organisation, elle se disperse. Le Sénégal a su le comprendre en lançant le PAISD, qui associe systématiquement les communes aux projets des ressortissants. Résultat : des infrastructures pensées collectivement, des investissements mieux répartis et une vision partagée.²
Pour le Foutah, instaurer des Conventions Diaspora–Commune permettrait de créer un contrat de confiance entre les élus locaux et les ressortissants. Chaque projet serait aligné sur les priorités locales, garantissant que chaque franc investi profite au plus grand nombre et contribue à une stratégie collective.
- Valoriser ceux qui restent et tiennent le territoire
On parle souvent de ceux qui partent, mais rarement de ceux qui restent. Pourtant, dans les marchés, les ateliers, les exploitations agricoles du Foutah, commerçants, artisans et agriculteurs continuent à se battre, maintenant l’économie locale à flot. Ces “acteurs ancrés” sont les gardiens silencieux du territoire.
L’expérience de Kayes, au Mali, le montre : grâce à des bureaux d’appui aux projets des migrants, les fonds de la diaspora ont été canalisés vers les initiatives locales, permettant de moderniser les commerces, renforcer l’agriculture et créer des emplois.³ Le Foutah doit reconnaître et soutenir ces acteurs enracinés en leur donnant accès à des financements, des formations, des équipements et une place dans les projets de la diaspora.
- Repeupler et offrir des perspectives à la jeunesse
Le défi le plus urgent est l’exode massif des jeunes. Des villages se vident, des champs restent en friche, et les activités déclinent. Le parallèle avec l’État du Kerala en Inde est frappant : après avoir vu partir des générations de jeunes vers les pays du Golfe, la région a dû importer de la main-d’œuvre pour maintenir ses activités agricoles et industrielles.⁴

Pour éviter ce scénario, le Foutah doit mettre en place des programmes de retour et de réinstallation des jeunes: accès à la terre, microcrédit, logements abordables, formation professionnelle ciblée. Là où cela n’est pas suffisant, l’accueil d’une main-d’œuvre saisonnière venue d’autres régions pourrait redonner vie aux campagnes et soutenir la production.
- Miser sur nos richesses naturelles, culturelles et humaines
Le Foutah est un territoire d’exception. C’est le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, d’où prennent leur source les fleuves Sénégal, Niger et Gambie. C’est aussi une terre de culture riche majoritairement Peule, dotée d’un patrimoine islamique ancien, et un espace au climat frais, rare dans la sous-région, idéal pour le tourisme climatique et l’écotourisme.
Des pays ont montré la voie :
- Le Ghana, avec son Year of Return (2019), a transformé son patrimoine culturel en moteur touristique et économique, attirant la diaspora et générant des millions de dollars.⁵
- Le Cap-Vert a su utiliser la digitalisation pour orienter les transferts de la diaspora vers l’investissement productif.⁶
À ces atouts, s’ajoute un autre capital : le potentiel humain. La diaspora du Foutah compte une multitude d’intellectuels, de professionnels qualifiés et d’entrepreneurs expérimentés. Leur attachement est profond, et nombreux seraient prêts à revenir si des conditions favorables existaient.
Une “Saison Verte du Retour et de l’Investissement” pourrait mobiliser ce double capital – financier et humain – en faveur du Foutah, attirant non seulement des ressources mais aussi des savoirs et des compétences.

Quelques pistes de solutions
Pour transformer ces atouts en leviers de développement durable et inclusif, plusieurs pistes de solutions sont envisageables. En effet, l’avenir du Foutah repose, entre autres, sur sa capacité à structurer et valoriser ses richesses naturelles, culturelles et humaines. Les chaînes de valeur locales, si elles sont bien exploitées, pourraient devenir de véritables moteurs de croissance inclusive. Elles créent non seulement de l’emploi et de la richesse, mais aussi un environnement où les jeunes trouvent des opportunités et où la diaspora retrouve des raisons d’investir et de revenir.
1. Agriculture et élevage : nourrir et fixer les populations
Le Foutah dispose de vallées fertiles et de vastes pâturages. Développer la riziculture pluviale, le maraîchage et la collecte du lait permettrait de créer une économie vivrière solide. Avec des mini-fromageries, des coopératives agricoles et des programmes d’amélioration des races bovines et ovines, cette filière peut :
- Générer des milliers d’emplois pour les jeunes dans la production, la transformation et la distribution.
- Offrir des produits locaux compétitifs, réduisant la dépendance aux importations.
- Fixer les populations rurales en leur garantissant un revenu stable.
2. Transformation agroalimentaire : ajouter de la valeur sur place
Aujourd’hui, beaucoup de productions locales quittent le Foutah brutes et sans valeur ajoutée. Créer des unités de transformation (séchage de fruits, huileries, minoteries, transformation du fonio) permettrait de :
- Diversifier l’économie par des activités génératrices de revenus accessibles aux femmes et aux jeunes.
- Stimuler la consommation locale et approvisionner les marchés urbains et diasporiques.
- Créer des emplois de proximité et attirer la diaspora désireuse d’investir dans des projets tangibles et rentables.

3. Tourisme et écotourisme : faire du Foutah une destination
Avec son climat unique en Afrique de l’Ouest, ses paysages montagneux, ses mosquées anciennes et son patrimoine Peul, le Foutah peut devenir un pôle d’écotourisme et de tourisme culturel.
- Circuits de randonnée, hébergements “maisons de terroir”, festivals culturels : autant de services qui peuvent créer des dizaines de petites entreprises locales.
- Le tourisme favorise la circulation de revenus dans les villages et incite la diaspora à revenir visiter, investir et s’installer.
- Il contribue à bâtir une image positive du Foutah, renforçant l’identité et l’attachement des jeunes.
4. Artisanat et savoir-faire : un patrimoine économique à moderniser
Tissage, forge, maroquinerie : ces activités, parfois marginalisées, peuvent devenir de véritables filières d’exportation si elles sont organisées en coopératives et connectées aux marchés urbains et diasporiques.
- Elles valorisent les savoirs traditionnels et renforcent la fierté identitaire.
- Elles offrent aux jeunes et aux femmes des opportunités d’entrepreneuriat accessibles, réduisant le chômage.
- En exportant vers les communautés guinéennes à l’étranger, elles créent un pont économique direct entre le Foutah et sa diaspora.
5. Apiculture et karité : des niches à fort potentiel
Le miel et le karité peuvent devenir des produits phares du Foutah, avec un potentiel d’exportation élevé.
- L’apiculture permet une activité écologique, adaptée aux zones forestières, génératrice de revenus rapides.
- Le karité peut être transformé en cosmétiques et produits alimentaires, attirant les investisseurs locaux et diasporiques.
Ces filières modernes et durables séduisent particulièrement les jeunes diplômés et les femmes entrepreneures.
6. Énergies renouvelables : la clé pour libérer l’économie locale
Sans énergie, pas de transformation. Le développement de l’énergie solaire et de micro-barrages hydroélectriques est crucial pour :
- Alimenter les villages et réduire la dépendance aux générateurs coûteux.
- Donner vie aux petites unités de transformation agroalimentaire et artisanale.
- Créer une économie locale moderne et attractive pour la jeunesse et la diaspora.
7. Services modernes et capital humain : la colonne vertébrale du futur
Investir dans des centres de formation technique, des services numériques, le transport local et les télécommunications permet de :
- Doter les jeunes de compétences adaptées aux besoins du marché.
- Créer des emplois dans les services modernes et stimuler l’entrepreneuriat.
- Offrir à la diaspora des conditions propices à un retour professionnel qualifié.

Ces filières une fois exploitées peuvent contribuer à changer la donne à plusieurs niveaux :
- Pour les jeunes : elles ouvrent des perspectives réelles, ancrées dans le territoire, et réduisent la tentation de l’exode.
- Pour les femmes : elles diversifient les opportunités économiques et renforcent leur rôle central dans la société.
- Pour la diaspora : elles offrent des projets crédibles et rentables dans lesquels investir, tout en donnant des raisons affectives et économiques de revenir.
- Pour les villages : elles créent un écosystème économique vivant, où l’argent circule, les services se développent (santé, éducation, transport) et où l’espoir renaît.
Conclusion : un avenir radieux est possible si nous agissons ensemble
Toutes ces expériences démontrent une vérité : il n’est pas trop tard pour le Foutah. Mais le succès repose sur une condition essentielle: travailler ensemble.
Soutenir ceux qui sont restés, organiser la générosité de la diaspora, inciter les jeunes à revenir, valoriser nos richesses naturelles, culturelles et humaines: c’est dans une vision collective, ambitieuse et solidaire que réside la clé.
L’avenir du Foutah ne dépend pas d’un miracle extérieur, mais de notre capacité à transformer nos richesses en projets, nos défis en opportunités et notre diaspora en catalyseur de développement.
Le Foutah n’a pas dit son dernier mot. Il peut redevenir une terre vivante, productive et fière, si nous décidons d’agir ensemble.
Algassimou Porédaka Diallo,
Expert en Développement Local,
Ressortissant du Foutah, actuellement installé aux États-Unis
Références:
- TAMWILCOM. (2023). MDM Invest – Financement des projets des Marocains du Monde. Rabat, Maroc.
- PAISD. (2022). Rapport d’activités du Programme d’Appui aux Initiatives de la Diaspora Sénégalaise. Dakar, Sénégal.
- Rabat Process. (2016). Strategies to engage the Malian diaspora. Bamako.
- World Bank. (2020). Migration and Asset Accumulation in Kerala. Washington D.C.
- Policy Center for the New South. (2020). Harnessing the Diaspora for Africa’s Socio-Economic Development: Ghana’s Year of Return. Rabat.
- IFAD. (2021). Cape Verde: Digital remittances and rural development. Rome.