Ouestafnews—Trois voix, trois radios, les mêmes peurs, les mêmes angoisses, mais diverses réponses dans trois pays du Sahel. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont devenus un terrain difficile pour les professionnels de l’information.  Malgré tout, quelques radios communautaires résistent.

 « Leur voiture a été criblée de balles », raconte Ousmane Abdoulaye Touré, au bord des larmes, après la projection à Dakar, dans une ambiance lourde, d’un film documentaire dans lequel il est l’un des protagonistes. Ousmane Abdoulaye décrivait l’assassinat d’Abdoul Aziz Djibrilla, son ancien collègue à la Radio Naata, qui a été tué le 7 novembre 2023 sur la route Gao-Ansongo, dans le nord du Mali, par des hommes armés.

Autre protagoniste dans le même documentaire, Adama Sougouri de La Voix du paysan, exerçant à Ouahigouya (nord du Burkina Faso), évoque quant à lui l’obligation d’adaptation dans ces situations tendues : « quand le marigot change de forme, le caïman est obligé de se coucher selon la forme du marigot ».

Leur consœur du Niger, Fati Amadou Ali, de la Voix de la Tapoa, implantée au sud-ouest du pays, raconte le double combat d’être femme journaliste en zone d’insécurité : les réunions nocturnes, les normes sociales peu favorables, le harcèlement, etc., sont des obstacles quotidiens.

Ousmane du Mali, Adama du Burkina Faso et Fati du Niger sont les trois protagonistes d’un film projeté dans divers lieux à Dakar en ce mois de septembre 2025. Le titre de la production dit tout : « Radios communautaires au Sahel : les dernières résistantes de l’information ». Le documentaire fait une immersion dans le quotidien des trois responsables de stations.

À l’écran puis lors des échanges avec le public dakarois après la projection, les trois journalistes de radios communautaires, invités dans la capitale sénégalaise, racontent la pratique d’un métier où chaque mot peut coûter cher, dans un contexte de crise.

Ousmane Touré évoque avec une voix tremblante l’empreinte indélébile que lui a laissée une expérience traumatisante. Sur l’écran, ses yeux s’assombrissent lorsqu’il reconnaît le visage figé sur une photo : celui d’Omar Ould Hamaha, un chef de groupe armé redouté, abattu en 2014.

Il se souvient de ce matin où le terroriste a sillonné les rues de Gao à sa recherche. Lui, ignorait encore pourquoi il était devenu la proie. À  l’évocation de ce souvenir, la salle, prise d’effroi, réagit bruyamment comme si la menace était encore là.

« Une panique totale », lâche Touré, qui avoue avoir « prié », de toutes ses forces, pour que l’homme ne le retrouve jamais. Lorsqu’il évoque la mort de ce dernier, un soupir traverse la salle. Ces bribes de mémoire disent tout de la terreur qui hante le quotidien de ces journalistes dans les zones de conflit.

Trois voix, un même combat

Le documentaire, tourné en partie sur le terrain et en partie à Dakar, mêle confidences et instants de vie. On y voit Fati, Ousmane et Adama assis à l’arrière d’un taxi dakarois, échangeant sur leurs pays respectifs, comme s’ils transportaient avec eux un morceau de leur terroir. Un peu plus loin, la caméra les suit jusque dans les locaux de Reporters sans frontières (RSF), où sont tournées la plupart des scènes.

Pour Robin Grassi, responsable du pôle Studio de RSF et réalisateur du documentaire, le tournage a épousé les réalités du terrain : l’impossibilité de filmer sur place, sans mettre des vies en danger. Pour les scènes d’immersion, les protagonistes se sont auto-filmés dans leur quotidien.

Le film se poursuit au siège de l’Union des radios communautaires du Sénégal, où ils ont fait un partage d’expériences. Le documentaire s’achève sur une image d’espoir avec les trois journalistes marchant côte à côte au bord de l’océan, sur une plage de Dakar. Cette scène, un peu plus légère, soulage le public après celles un peu plus lourdes du début.

« En un mot, la radio, c’est l’espoir », résume Adama Sougouri. Et Ousmane Touré d’ajouter que tant que ces antennes restent allumées, « la voix de la communauté trouve toujours un chemin ».

Le film, produit par RSF, s’inscrit dans le cadre d’une campagne intitulée : « Sauver le journalisme au Sahel ». Dans cette région, selon le directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF, Sadibou Marong, « les radios communautaires sont les reines de l’information de proximité ».

Entre deux feux

Depuis que des régimes militaires y ont pris le pouvoir, successivement en 2021 au Mali,  en 2022 au Burkina Faso et en 2023 au Niger, ces trois pays ouest africains se sont arrogés l’appellation d’États du « Sahel ». Ce dernier vocable a pendant longtemps défini un vaste espace géographique allant du Sénégal, à l’Ouest, jusqu’à Djibouti, à l’Est.

Dans ce « nouveau » Sahel en crise, que d’autres appellent encore « Sahel central », le contexte est marqué par un espace médiatique de plus en plus restreint et sous pression. Les journalistes se retrouvent souvent entre deux feux : d’une part des gouvernements de transition autoritaires et de l’autre des groupes armés violents et sensibles au traitement de leur image.

Dans ces conditions, « les mots qu’il ne faut pas dire (…) sont nombreux », confie Ousmane Touré, qui met en avant toute la gymnastique à faire à l’antenne pour informer sans déclencher de représailles.

En plus du meurtre d’Abdoul Aziz Djibrilla au Mali, le film évoque la mort d’autres journalistes y compris dans des pays voisins en dehors de ceux des trois protagonistes. C’est le cas d’Idriss Yaya, journaliste de la Radio communautaire de Mongo, au Tchad, tué « en raison de sa couverture des conflits régionaux intercommunautaires qui ont déjà fait des centaines de morts », explique RSF.

L’organisation de défense des droits des professionnels des médias a également dénoncé des enlèvements et disparitions de journalistes comme Saleck Ag Jiddou et Moustapha Koné, enlevés dans la ville d’Ansongo (nord du Mali) ; Hamadoun Nialibouly de la radio Dande Douentza et Moussa M’bana Dicko de la radio Dandé Haire portés disparus dans la région de Mopti (centre du Mali).

Avec des médias nationaux sommés de pratiquer un « traitement patriotique » de l’information, des médias internationaux suspendus et des correspondants étrangers poussés vers la sortie, la pratique d’un journalisme libre est devenue très difficile dans ces régions.

Depuis mars 2022, plusieurs interdictions et suspensions visant des médias internationaux ont été prononcées dans les trois pays du « Sahel ». Cet espace géographique d’environ 72 millions d’habitants répartis sur une superficie totale de 2,8 millions de km², où l’information libre et indépendante est devenue une denrée rare. 

La réduction de sources extérieures d’information a renforcé l’importance des radios communautaires, souvent seules à informer dans des zones isolées et en langues locales.

La projection du documentaire a ravivé l’appel de Bamako du 24 septembre 2024, lancé par 547 radios communautaires du Sahel et des pays frontaliers à l’initiative de RSF et des radios concernées. L’appel a été diffusé en six langues parlées dans la région. Objectif : « protéger le droit à l’information de proximité » dans des zones où les journalistes sont pris pour « cibles » et où l’accès au terrain est de plus en plus « restreint ».

La solidarité, malgré l’insécurité

Malgré la peur et l’insécurité, omniprésentes, les journalistes de radios communautaires, comme Adama, Ousmane et Fati, continuent leur travail dans une démarche sociale et citoyenne.

Adama Sougouri raconte que sa radio a servi de relais de solidarité : accueillir des déplacés, partager le peu disponible, apaiser par la parole. Elle a aussi investi l’éducation aux médias.

Fati Amadou Ali affirme, quant à elle, avoir multiplié les émissions pour faire entrer les femmes dans la décision locale au Niger. Elle se réjouit des résultats obtenus jusque-là. Par ses campagnes de sensibilisation, elle revendique avoir fait « élire plus de six femmes » au conseil communal de sa zone.

Avec un sourire, elle conclut par une phrase légère qui provoque quelques rires : « au final, nous sommes tous dans le même bateau ».

HD/TS