Après la Seconde Guerre mondiale, les Alliés vainqueurs en 1945 décident de poursuivre des responsables nazis en justice. Ces procès dits « de Nuremberg » posent le premier jalon du droit international.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Alliés traduisent des responsables nazis en justice. Pour la première fois, les représentants d’un État devaient répondre de leurs crimes devant un tribunal international. Ces procès dits « de Nuremberg » constituent un précédent pour le reste du monde.

« Par la présente, j’accuse les personnes suivantes de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité: Hermann Wilhelm Göring. Rudolf Hess. Joachim von Ribbentrop… »

Le « procès des principaux criminels de guerre » contre 24 représentants de haut rang de l’État nazi débute le 20 novembre 1945 à Nuremberg, dans le sud de l’Allemagne.

La salle 600 du palais de justice est pleine à craquer au moment où le procureur en chef Robert H. Jackson égrène, les uns après les autres, les noms des accusés. Sa liste est longue.

Plus de 230 témoins seront entendus au cours des 218 jours d’audience, 300 000 déclarations seront lues, 16 000 pages de procès-verbaux seront rédigées.

Pourquoi Nuremberg ?

Le choix de Nuremberg n’est pas un hasard. Cette ville de Bavière a auparavant été le théâtre des congrès du parti national-socialiste (NSDAP), le parti d’Adolf Hitler. C’est ici que le régime nazi a plusieurs fois mis en scène son pouvoir en organisant des réunions de masse et que les lois de Nuremberg ont été promulguées. Ces lois racistes et antisémites ont ouvert la voie à l’Holocauste, le génocide des Juifs par les nazis. Et c’est précisément pour cette raison que justice devrait être rendue dans cette ville-là, du point de vue des Alliés.

Les crimes ne doivent pas rester impunis

C’est alors la toute première fois au monde que les dirigeants d’un État sont tenus personnellement responsables de leurs actes inhumains.

Une fois scellée la défaite de l’Allemagne, les puissances victorieuses (États-Unis, Grande-Bretagne, France et Union soviétique) tombent d’accord: les crimes du Troisième Reich ne peuvent pas rester impunis. Des millions de personnes ont été victimes du régime nazi – assassinées dans des camps d’extermination, par la guerre, la faim, l’esclavage, la répression ou le travail forcé.

Pour la première fois, la question de la culpabilité individuelle était importante. « Jusqu’alors, un dirigeant comme Hermann Göring pouvait – peut-être le pensait-il – compter sur le fait que l’Allemagne, l’État pour lequel il agissait, serait tenu responsable, mais pas lui comme individu », explique le juriste Philipp Graebke à la DW.

Personne n’a plaidé coupable

Lorsque les interrogatoires commencent, les accusés se déclarent les uns après les autres « non coupables. » « Les tueries de masse ont été effectuées exclusivement et sans influence sur ordre du chef d’État Adolf Hitler », proclame Julius Streicher, un antisémite fanatique et éditeur du journal « Der Stürmer », qui a diffusé la propagande nazie pendant des années.

Le chef de presse personnel d’Hitler, Walther Funk, a, en sa qualité de président de la banque nationale, la Reichsbank, refusé aux Juifs l’accès à leurs comptes bancaires. Il a également fait transférer à la Reichsbank les objets de valeur des Juifs assassinés dans les camps d’extermination, y compris leurs dents en or.

À Nuremberg, il clame devant le tribunal: « Aucune personne n’a perdu la vie à cause des mesures que j’ai ordonnées. J’ai toujours respecté la propriété d’autrui. J’ai toujours veillé à aider les personnes dans le besoin. Et de leur apporter, dans la mesure de mes moyens, bonheur et joie dans leur existence ».

Le Reichsmarschall Hermann Göring, coresponsable de la construction des premiers camps de concentration, revendique lui aussi un « non coupable » plein d’assurance. « J’ai déjà dit que je ne savais même pas approximativement dans quelle mesure cette affaire avait eu lieu », répond-il à la question de savoir s’il y avait eu une politique visant à l’extermination des Juifs. Il prétend que seule l’émigration des Juifs était prévue, pas leur extermination.

Douze condamnations à mort, sept peines de prison

Les principaux nazis n’expriment aucun remord devant leurs juges. Ils rejettent systématiquement la faute sur Adolf Hitler. Le chancelier ne pouvait cependant plus être poursuivi, puisqu’il s’était suicidé dans les derniers jours de la guerre.

Mais le déni ne leur sert à rien. Les preuves sont accablantes : des films tournés dans des camps de la mort, des témoignages de survivants, des lettres et des ordres signés des bourreaux. Pour la première fois, le monde voit les horreurs qui ont été commises dans les camps nazis comme ceux d’Auschwitz-Birkenau, de Buchenwald ou de Bergen-Belsen.

Le 1er octobre 1946, le premier procès de Nuremberg se termine. Le tribunal prononce douze condamnations à mort, sept peines de prison et trois acquittements contre les hauts dignitaires nazis accusés.

Des Allemands dénoncent une « justice des vainqueurs »

Après les condamnations, la plupart des Allemands pensent : « Maintenant, nous avons attrapé les vrais coupables et c’est bon »« , explique Bernhard Gotto de l’Institut d’histoire contemporaine de Munich-Berlin.

Sa collègue Stefanie Palm ajoute: « Grâce aux procès de Nuremberg, un certain récit s’est établi dans la population allemande:(…) Tous les autres n’auraient fait qu’exécuter, n’auraient été que des suiveurs, n’auraient pas été coupables! (…) Une sorte de point de vue victimaire a été adoptée: ‘Nous sommes les victimes d’une petite clique constituée autour d’Hitler' ».

Cela explique que la plupart des Allemands étaient hostiles aux douze procès successifs de juristes, de médecins ou d’industriels. Le tribunal est alors considéré comme une « justice des vainqueurs », « car continuer les procès soulève immédiatement la question de savoir jusqu’où s’étend cette responsabilité pour les crimes nazis », explique Bernhard Gotto. « Et alors, tout d’un coup, ce ne sont plus seulement Göring et Keitel, la Wehrmacht, Himmler et bien sûr Hitler qui auraient séduit les Allemands, mais le poids de cette culpabilité est alors réparti sur un plus grand nombre d’épaules, ce que la majorité des Allemands n’a pas voulu accepter ».

Précurseur de la Cour pénale internationale

Aujourd’hui, les procès de Nuremberg sont considérés comme un jalon du droit international. En 1945, on espérait que les normes juridiques appliquées à Nuremberg s’appliqueraient à tous, à l’avenir : aucun criminel de guerre ne devait plus pouvoir s’appuyer uniquement sur le pouvoir de sa fonction ou sur les lois de son propre pays.

« Si nous partons du principe que c’est dans la salle des jurés du palais de justice de Nuremberg en 1945 que le droit pénal international fait sa première apparition, nous pouvons vraiment établir une ligne directe jusqu’aux des tribunaux des Nations unies pour crimes de guerre dans les années 1990 et la création de la Cour pénale internationale(…) », estime le juriste Philipp Graebke. « Mais cela n’a certainement pas eu pour conséquence que le droit pénal international aurait été appliqué sans faillir de 1946 à aujourd’hui ».

Ce n’est qu’en 1998 que la Cour pénale internationale (CPI) est créée à La Haye, et elle commence ses travaux en 2002. Mais tous les Etats ne la reconnaissent pas. Parmi les 125 Etats signataires, les principales grandes puissances manquent à l’appel : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde. Israël n’en fait pas non plus partie.

La CPI n’est-elle qu’un tigre de papier?

Mais même les États qui reconnaissent la Cour pénale ont déjà passé outre des mandats d’arrêt. Jusqu’à présent, la règle était la suivante pour les dirigeants accusés : ceux qui ne veulent pas aller en prison doivent simplement rester chez eux. Entre-temps, même cela n’est plus nécessaire. Ainsi, Vladimir Poutine, sous le coup d’un mandat d’arrêt pour l’enlèvement d’enfants ukrainiens vers la Russie, s’est rendu en septembre 2024 en Mongolie où il a été reçu avec tous les honneurs. La Mongolie est économiquement très dépendante de son puissant voisin.

La CPI n’a d’ailleurs pas pu poursuivre Vladimir Poutine pour sa guerre d’agression: contrairement aux crimes contre l’humanité, la Cour ne peut poursuivre un chef d’Etat pour un ordre d’invasion que si son pays reconnaît également la CPI.

Benjamin Netanyahu fait également l’objet d’un mandat d’arrêt. Le chef d’État israélien a affamé et tué des civils palestiniens, selon la CPI. Pourtant, lors d’une visite en Hongrie fin 2024, le chef du gouvernement Viktor Orbán a ostensiblement assuré un sauf-conduit à son invité. En Allemagne aussi, Netanyahu ne serait probablement pas inquiété: « Je considère comme une idée tout à fait absurde qu’un Premier ministre israélien ne puisse pas visiter la République fédérale d’Allemagne », a déclaré le chancelier Friedrich Merz, fraîchement élu, en février de cette année – une position déjà adoptée par son prédécesseur, Olaf Scholz.

Le fait qu’un criminel de guerre soit finalement présenté aux juges dépend donc du zèle des États membres. La Haye elle-même n’a ni les moyens ni les pouvoirs d’amener les suspects sur le banc des accusés.

Par la Deutsche Welle: Sandrine Blanchard,

Rayna Breuer et Suzanne Cords