Dans la nuit du 21 au 22 novembre 1970, en plein mois du Ramadan, des crépitements d’armes légères et des détonations assourdissantes d’armes lourdes tirent de leur torpeur les habitants de Cona-cris. Des assaillants venus par mer des territoires portugais de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert ont assiégé la ville et occupé quelques points stratégiques tels que le camp de la garde républicaine, à Camayenne, où sont incarcérés de hauts responsables du Parti-État. C’est la panique à bord, du charivari.

Au début, peu de gens comprennent quelque chose à cette situation saugrenue, inattendue. Plus tard, on comprendra que les assaillants, composés d’exilés guinéens et de militaires de l’armée coloniale portugaise, sont venus les uns pour libérer les prisonniers portugais, les autres pour renverser le régime totalitaire du PDG-RDA. L’attaque ébranle la révolution qui vacille pendant quelques heures. Les exilés guinéens parviennent même à investir le camp Camayenne, en ouvrant les cachots sordides et libérant les ministres, les ambassadeurs et autres hauts cadres de l’État qui y étaient en train de mourir de diète noire, de torture et de maladies. Libérés, ces gros pontes ont pu, pour certains, retrouver momentanément l’affection de leurs familles alors que d’autres ont été rapidement chopés et remis au gnouf.

En effet, si la Révolution et le Responsable suprême ont été ébranlés, ils ont plié comme le roseau sans rompre pour résister à la furia des assaillants. Après l’orage, ils se sont redressés et plus forts qu’avant, ils ont porté l’estocade à leurs opposants qu’ils ont vilipendés en ennemis de la nation. Le président Sékou Touré a eu cette phrase prémonitoire : « A quelque chose, malheur est bon ». C’est l’entame d’une sévère purge qui ne prendra fin qu’avec la mort du Tyran. Des dizaines de ministres en fonction ou non, d’ambassadeurs, de hauts fonctionnaires, des cadres du parti et de hauts gradés passent à la trappe.

Dès janvier 1971, pour l’exemple, on pend sous le Pont 8 novembre, à l’entrée de Kaloum, quatre dignitaires du régime dont trois anciens ministres. D’autres pendaisons auront lieu dans tous les chefs-lieux de région en présence de foules impressionnantes. Et voilà avertis ceux qui voudraient contrarier « la marche triomphale de la révolution ». L’année 1971 sera une année noire dont les Guinéens se souviendront à jamais. Le narratif révolutionnaire s’enrichie de nouveaux maux tels que renégat, 5ème colonne, valet du colonialisme, etc. Même le Parti socialiste français est rebaptisé Parti de la souillure par le camarade président.

La répression suscite des invectives entre pro et anti PDG-RDA, entre révolutionnaires et non révolutionnaires. Les premiers traitent les seconds d’anti-Guinéens et d’ennemis du peuple. Ils assimilent l’opération du 22 novembre à une agression contre le peuple de Guinée. Les seconds glosent sur la prétention des premiers de les traiter d’anti-Guinéens et considèrent le débarquement du 22 novembre comme une tentative désespérée de renverser le régime du Parti-État.

Comment enseigner cette page d’histoire dans nos établissements secondaires et universitaires ? C’est là un exemple des points d’achoppement de la narration scientifique de notre histoire, notamment la période révolutionnaire. Pourtant, il faut bien en établir un narratif objectif, factuel, scientifique et consensuel. Historiens, à vos plumes !

Abraham Kayoko Doré