Ma poule avait boudé le monde. Plus un caquètement, plus un regard en biais, plus un pas de danse sur la cour poussiéreuse. Hé Kéla ! Depuis la grève des bouchers, elle avait décrété un silence de cathédrale : quand l’Histoire déraille, même les gallinacés entrent en résistance. Elle me regardait comme on regarde un bulletin de vote sans urne : avec méfiance et une pointe de mépris. À fakoudou !
Puis un matin, miracle laïque. Elle est revenue à de meilleurs sentiments. Pas par conviction idéologique – faut pas exagérer – mais parce que la vie est trop courte pour bouder éternellement. Moi aussi, entre nous, j’avais pris mes distances. Je ne voulais plus parler à des animaux qui réclament des élections comme on réclame des miettes : bruyamment, sans programme, et toujours persuadés d’avoir gagné avant le dépouillement. Hé Kéla !
J’avais pourtant essayé la compagnie alternative. Un chien barbu, philosophe de trottoir, qui aboie des slogans creux. Un chat qui se prend pour un stratège militaire, refaisant la guerre mondiale avec trois croquettes et une queue en panache. C’est joli, c’est distrayant, ça meuble les solitudes. Mais quand le corps flanche, quand la fièvre grimpe et que le monde se met à tourner comme un manège, ce ne sont pas eux qui vous prennent la main pour vous conduire à l’hôpital.
C’est là que j’ai compris : on peut rire avec les bêtes, débattre avec elles, même rêver d’un scrutin à plumes et à poils. Mais à la fin, quand la réalité tousse, il faut autre chose qu’un discours animalier. Ma poule l’avait compris avant moi. Elle avait cessé de bouder. Elle était prête à reparler. À fakoudou !
Il y avait quelqu’un, quelque part entre le kiosque à café et le murmure des trottoirs, qui répétait la même rengaine :
– On ne voit qu’un seul candidat en campagne.
Le chef, lui, reste au palais. Climatisation, dossiers empilés, silence feutré, décret après décret. Faire campagne pourquoi faire, quand on est déjà à l’ombre du pouvoir ? Il regarde le pays comme on regarde une carte murale : de loin, avec un pointeur, sans avoir à marcher. La perspective est simple : le pouvoir n’aime pas la poussière des routes. À fakoudou !
Les autres ? Disparus. Volatilisés. Avalés par les radars défectueux de la politique. On les cherche comme on cherche un mot de passe oublié : avec insistance, mais sans succès. Ils sont en veille prolongée, convaincus que l’élection se gagne en rêve, allongé sur un canapé, programme sous l’oreiller.
Pendant ce temps, un seul marche. Yéro le baldérien. Il traverse le pays à pied levé, serre des mains, soulève des foules, mange la poussière et boit l’espoir dans des gobelets en plastique.
Le jour des résultats, il y en a qui se réveilleront en sursaut, encore en pyjama politique, découvrant que pendant qu’ils ronflaient, la marche avait continué. Et que les urnes, comme les poules revenues à la parole, n’aiment pas trop qu’on les prenne pour des coussins. À fakoudou !
Dans la tête des électeurs, une question gratte comme un caillou dans la chaussure : cette présidentielle sera-t-elle libre et transparente ? Ou bien sera-t-elle encore ramassée en douce, pliée, froissée, glissée dans une poche intérieure bien repassée, comme au bon vieux temps ? Ici, tout le monde attend de voir clair, mais personne n’y croit vraiment. En Guinée, la confiance est une denrée périssable : elle s’abîme vite, elle sent mauvais, et surtout, on oublie toujours de la mettre au frais.
Il faut dire qu’on est bien entraînés pour cela. Parce qu’on sait voler tout. Absolument tout.
On vole les deniers publics en costume-cravate, sourire professionnel et discours patriotique.
On vole des bébés sans même détourner le regard.
On vole le carburant, puis on s’étonne que le véhicule tousse comme un fumeur invétéré.
On vole la nourriture, ensuite on organise des séminaires sur la faim et la résilience.
On vole des projets avant même la pose de la première pierre.
On vole le courant, qui, pour sa sécurité personnelle, évite désormais de passer par les poteaux.
On vole l’eau du robinet ; elle a tellement peur qu’elle hésite à passer par les tuyaux, de crainte qu’on la vole en même temps que les tuyaux.
Attention mon frère : quand tu croises un gars en tenue, prépare déjà ton inventaire. Il te fouille avec le sourire, te dépouille avec méthode, et te remercie presque pour ta collaboration. Argent et téléphone disparaissent comme par magie : c’est une spécialité locale, brevetée sans dépôt. À fakoudou !
On vole les suffrages, comme des cacahuètes au marché.
À force, on a perfectionné l’art. On se vole même notre propre immoralité, histoire de ne plus avoir honte de voler quoi que ce soit. À fakoudou !
L’autre saison, j’ai vu un gars qui croyait pouvoir voler même les nuages quand le ciel s’assombrit. Il regardait la pluie tomber avec des yeux de propriétaire foncier : ça, c’est pour moi. Si ça avait été possible, il aurait installé un compteur, facturé les gouttes à l’unité et accusé les voisins de détournement climatique. À fakoudou !
Alors forcément, à l’approche des urnes, les électeurs marchent doucement. Ils regardent à gauche, à droite, puis devant. Ils se demandent si, cette fois-ci, le vote comptera vraiment, ou s’il sera encore ramassé, rangé, redistribué. Parce qu’ici, même quand le ciel promet de pleuvoir pour tout le monde, il y a toujours quelqu’un pour tendre un sac et dire: « On chen fout, c’est à moi ».
Ah, la Guinée ! Pays où le vol a des nuances comme les couleurs de nos pancartes ! Certains volent, tranquillement, sans peur, et restent confortablement installés à leurs postes, comme si le monde entier leur devait respect et silence. D’autres, un peu moins chanceux, volent aussi, mais se retrouvent un temps en prison, avec médecin, attention et petits soins, pour ressortir libres avant même qu’un jugement ait eu le temps de se former. Tout dépend, bien sûr, de la proximité avec les chefs, de la force du lien invisible qui protège ou condamne.
Il existe ensuite la catégorie plus risquée : ceux qu’on enferme, qu’on juge, et qu’on condamne selon les règles, ou ce qu’il en reste. Et puis il y a les autres, les malchanceux du destin, soumis à la justice populaire, lynchés, brûlés vifs sous le regard du quartier, du village, ou de la place publique. Ici, la loi se plie selon les relations et la peur ; et la justice, quand elle existe, a le sourire sélectif, donnant le pardon ou la sentence à la carte, comme on distribue du pain dans un centre social. À fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Pour garder la forme
La course au pouvoir continue. Aux parti(cules), je propose un entraînement spécial pour rester dans la course.
-Pliez la colonne vertébrale comme si vous vouliez toucher votre imagination.
-Tendez le bras gauche vers la lune et le droit vers le soleil, pour équilibrer ambition et réalité.
-Tournez la tête doucement vers la droite pour vérifier que personne ne vous surveille… surtout pas les grands partis suspendus.
-Respirez profondément et visualisez vos meetings sur une plage déserte.
-Répétez la gymnastique chaque jour, jusqu’à votre investiture ou que vos rêves s’évanouissent.
Bonne chance… et que le meilleur gagne !
SD


