L’Union africaine avait demandé aux acteurs de la présidentielle en RDC à passer par les voies légales pour contester les résultats proclamés par la CENI. Elle est passée à la vitesse supérieure en publiant, le 17 janvier au terme de 5 heures de huis clos, un communiqué qui intime à la Cour constitutionnelle congolaise de ne pas rendre l’arrêt définitif sur les résultats de la présidentielle du 30 décembre. Arguant qu’il subsiste « des doutes sérieux sur la conformité des résultats provisoires » donnés publiés le 10 janvier par la Commission électorale nationale indépendante. Une première pour l’institution panafricaine, prendre une décision suspensive d’un processus électoral en cours dans un Etat membre.
Une délégation de l’UA est attendue à Kinshasa ce 21 janvier. Laquelle sera probablement conduite par l’actuel boss lui-même, le Rwandais Paul Kagamé. Quoiqu’il y a des risques que certains congolais contestent sa présence, notamment à cause de son implication dans la guerre du Congo.
La décision de l’UA est diversement appréciée au pays. Le gouvernement y voit une ingérence dans les affaires congolaises : « Au nom de quel principe on peut interférer dans les affaires judiciaires congolaises ? », s’est interrogé Lambert Mendé, porte-parole du gouvernement congolais. Même si les autorités du pays restent ouvertes au dialogue. « Il est clair que les autorités congolaises vont échanger, conformément aux principes de l’Union africaine, au sujet de cette dernière déclaration », a dit Aubin Minaku, le secrétaire général de l’actuelle majorité présidentielle et président de l’Assemblée nationale. La CENI n’a pas régi, mais à l’UDPS, parti de Félix Tshisekedi, donné vainqueur par la CENI, on dit ne pas s’inquiéter de la nouvelle tournure.
Dans le camp de Martin Fayulu qui revendique sa victoire avec plus de 61 % de voix, la décision est bien accueillie : « Nous pensons que c’est une bonne chose si c’est pour chercher la vérité des urnes. (…) Nous pensons que les chefs d’Etat africains se sont mis là du côté du peuple congolais… », a déclaré Martin Fayulu, le candidat de la coalition Lamuka.
La Conférence épiscopale nationale indépendante (Cenco) s’était jusque-là limitée à faire des déclarations sur la non-conformité des résultats de la présidentielle passe à l’étape des preuves pour étayer leur propos. Tableau à l’appui, circonscription par circonscription. Sur les 26 provinces, la Cenco fait état du comptage parallèle des voix qu’elle a effectué pour la présidentielle. D’abord sur un échantillon de 10,72 % des bureaux de vote, puis sur 42,92 % des suffrages exprimés. Enfin, dernier niveau de vérification, les résultats sur 71,53 % des votes.
Les tractations sous régionales
Le scénario congolais n’a pas fini de montrer tous ses tableaux et les acteurs qui sont derrières. Selon RFI, plusieurs facteurs ont conduit à ce rebondissement de la situation en RDC. Il y avait déjà un indice de la volonté du président de l’Union africaine de reprendre la main puisqu’il avait demandé à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) de déplacer sa réunion de Windhoek à Addis-Abeba. Paul Kagame souhaitait pouvoir organiser une deuxième réunion élargie aux autres organisations sous régionales. Une manière comme une autre de passer outre les divisions des pays de l’Afrique australe.
La réunion de la SADC avait pour invités les chefs d’Etat de l’Afrique du Sud, de la Namibie, de la Tanzanie, du Zimbabwe, de l’Angola et la Zambie. Angola et Zambie étaient sans doute les plus virulents contre le Congo. La Zambie avait demandé le recomptage de voix de la présidentielle, mais l’Afrique du Sud, la Tanzanie, entre autres, étaient farouches opposés à toute injonction au gouvernement congolais et à la Cour constitutionnelle. Le résultat, c’est un premier communiqué ce jeudi tout aussi inédit. La SADC se montre extrêmement virulente à l’égard de la communauté internationale qu’elle appelle à respecter la souveraineté de la RDC et les « processus politiques et juridiques nationaux ».
L’influence de Paul Kagame
La donne a changé convoquée par Paul Kagame. La délégation ministérielle congolaise est priée de quitter la salle pour laisser les chefs d’Etat se réunir à huis clos. Tout comme les représentants de la Commission de l’UA, à l’exception du Tchadien Moussa Faki. Les présidents sud-africain, zambien et angolais sont alors rejoints par Denis Sassou-Nguesso du Congo-Brazzaville, le Guinéen Alpha Condé, le Tchadien Idriss Deby, l’Ougandais Yoweri Museveni, l’Ethiopien Abiy Ahmed. A la manœuvre, il y a un axe déterminé à sortir de la salle avec un communiqué fort : Paul Kagame, Joao Lourenço et Denis Sassou-Nguesso, inquiets notamment de voir le verrouillage au niveau des résultats des élections législatives et provinciales par la coalition au pouvoir, mais aussi des « vrais résultats » présentés par la Cenco ou dévoilés dans les médias qui laissaient présager « des antagonismes très forts » dans le pays. Les discussions vont durer cinq heures avant de parvenir à ce communiqué.
Pourtant la Commission de l’Union africaine avait préparé un brouillon de communiqué dans le ton de celui de la SADC. Et ce vendredi encore, des diplomates africains se disent très surpris de ce communiqué des chefs d’Etat. Ils parlent d’un « tour de magie », d’une « décision difficile à mettre en œuvre » ou même d’un « précédent qui risque de peser sur tous les processus électoraux à l’avenir ». Des négociations parallèles, directement entre chefs d’Etat, avec des voyages ou des coups de fil d’émissaires africains et des chancelleries occidentales, avaient pourtant préparé le terrain.
Bilan : une délégation de chefs d’Etat est attendu ce lundi à Kinshasa, parmi lesquels le Rwandais Paul Kagame, même si certains redoutent une réaction très hostile, notamment de l’UDPS de Felix Tshisekedi, le président proclamé, à cette intervention directe du Rwanda. Dans cette délégation, on devrait retrouver également, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa qui, dit-on, a accepté de se joindre à ses pairs, même s’il s’était montré encore réticent hier durant les réunions. C’est notamment sur lui que les différentes pressions diplomatiques se sont exercées ces derniers jours.
Th Hassane Diallo