La corruption a été reconnue officiellement en 1996, suite à son entrée dans l’agenda des Institutions Financières Internationales (FMI et Banque Mondiale), comme un phénomène comparable à un cancer qui gangrène les circuits financiers du développement (Badara Dioubaté, 2009). Depuis cette date, la problématique de la lutte contre la corruption n’a cessé de se développer et se renforcer dans le cadre de la bonne gouvernance.
En 2002, des chercheurs de l’Institut de la Banque Mondiale pour la bonne gouvernance ont évalué la corruption au niveau mondial à 300 milliards de dollars : une somme considérable, représentant un manque à gagner pour la mise en œuvre des projets sociaux de développement international. Dans les pays en développement, certaines formes d’existence de ce phénomène ne sont généralement pas prises en compte par les différentes études internationales réalisées sur le phénomène de corruption. La corruption est appréhendée comme étant un échange dont la conséquence est de fausser les résultats de l’action publique par rapport aux objectifs poursuivis (Medard, 2001, p 52). Cependant la particularité de la corruption est qu’elle est constituée essentiellement des détournements des deniers publics sans échange ; un mode opératoire qui échappe souvent à l’analyse économique du phénomène.
D’un point de vue économique, la corruption se définie comme étant un « abus de positions publiques à des fins d’enrichissement personnel ». En d’autres termes, est corrompu, toute personne qui profite de sa fonction pour s’enrichir au-delà de sa rémunération légitime. En partant de cette définition, les économistes analysent de nos jours la corruption sous l’angle de marché où se rencontre une offre de corruption, une demande de corruption et un prix à la corruption qui est le pot-de-vin ou dessous de table. L’expérience a montré que ce prix est d’autant plus élevé que le risque de sanction en cas de prise du corrompu/corrupteur est élevé et inversement.
Transparency International, Institution de portée internationale, basée en Allemagne a procédé à la publication en février 2018 de son Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2017. Certes, il faut mentionner que cet indice n’est rien d’autre qu’une enquête qui mesure comme son nom l’indique, la perception du phénomène de la corruption par les autorités publiques et les partis politiques. De plus, l’indice reflète également les vues d’observateurs expérimentés, tels que des analystes pays et des hommes d’affaires…
A l’issue de ce résultat, la Guinée a obtenu une note de 27 points sur 100 et est classée 148/180 pays dans le monde et 31 sur 49 en Afrique. Ce classement est très préoccupant car, comme signalé ci-haut, la corruption a des impacts négatifs sur les projets de développement économique d’un pays. De plus, en Guinée, la corruption semble presque socialement banalisée par méconnaissance de ses conséquences pour l’économie et la société. Ce caractère ainsi décrit confère à ce phénomène, un effet de grande nocivité pour la réussite des projets de développement socio-économique et de bonne gouvernance au profit des populations laborieuses.
Statistiquement, on peut estimer le montant « officiel » de la corruption en Guinée a plus d’un (1) milliard de dollar par an (ce montant semble sous-estimé), depuis 1984, constitué essentiellement de détournements dans les caisses de l’Etat et des fonds y afférents. A la lecture de ce chiffre qui donne des tournis, une question importante se pose : Comment un pays comme la Guinée, doté d’immenses ressources naturelles, humaines et de conditions climatiques favorables à l’agriculture, peut-il se retrouver après 60 d’indépendance « effective », au rang des pays les moins avancés de la planète ?
La réponse à cette question démontre en partie la responsabilité de la corruption dans le retard de notre pays malgré qu’elle ne soit pas la seule responsable de ce sort. Au vu du caractère sensible du sujet, il nous semble évident de le mettre sur la table de discussion tout en montrant la nécessité de lutter efficacement contre ce fléau néfaste au développement économique de notre chère patrie : la Guinée. L’objectif de ce travail à l’image de tous les autres d’ailleurs, est de contribuer non seulement à ce débat d’idées, mais aussi et surtout de mettre à la disposition des guinéens certaines informations que l’auteur estime pertinentes afin d’éclairer la lanterne de l’opinion publique et des décideurs politiques sans pour autant apporter des solutions miracles qui n’existeraient que dans l’absolu.
Dans la littérature économique, les économistes néoclassiques analysent la corruption au niveau du comportement individuel en termes de recherche de rente (rente seeking). Selon eux, l’existence des opportunités de rente serait l’œuvre de l’Etat qui, en maintenant des monopoles artificiels. Dans ce cas, lutter contre la corruption revient à supprimer ces monopoles. Toutefois, ils continuent leur analyse en indiquant tout de même que le monopole ne pourrait être en aucun cas supprimé. De plus, le marché, pour fonctionner suppose l’existence et le respect des règles. Il est donc possible que des individus ne respectent pas les règles du jeu et, tant qu’ils ne sont pas démasqués et sanctionnés, cela permet d’accéder à des rentes (comportement décrit par la théorie du jeu comme celui du passager clandestin).
Toujours dans le cadre de la pensée classique (libérale), on considère la corruption comme étant un facteur d’inefficience qui génère les inégalités sociales et d’une mauvaise allocation des ressources et /ou affectation des revenus. De plus, elle crée également de l’instabilité, détériore le climat des affaires et aggrave de la pauvreté. Enfin, elle remet en cause les conditions du marché et le principe de libre concurrence. Un autre courant analytique du phénomène de la corruption dans les pays pauvres semble identifier une corrélation positive entre la pauvreté et la corruption pour ces acteurs, la corruption serait innée à la grande pauvreté. Dans ce contexte, le meilleur moyen pour lutter contre la corruption, reste la lutte contre la pauvreté.
Pour lutter efficacement contre ce fléau dont la conséquence est de mettre en échec les résultats des projets de développement, tout en dégradant la qualité de l’image des institutions politique et administrative chargées de la mise en œuvre des mécanismes de gouvernance, plusieurs initiatives ont été prises par les Institutions Financières Internationales (IFI) et les autres partenaires au développement. Ces initiatives vont dans le sens de la sensibilisation, voir des pressions exercées sur le gouvernement guinéen en vue de lutter efficacement contre la corruption (Badara Dioubaté, 2009). Pour ce faire, La Banque Mondiale a mis en service via son département de Déontologie Institutionnel, un numéro d’urgence afin de dénoncer toute fraude dans la gestion des projets de développement qu’elle finance. En Guinée, le programme de lutte contre la corruption s’est matérialisé par la création le 4 février 2000 d’un Comité National de Lutte Anti-Corruption (CNLC, Décret D/2000/017/PRG/SGG). Toutefois, il convient de rappeler que cette initiative a été le résultat des pressions exercées sur le gouvernement, sous peine de coupures partielles ou totales à l’Aide Public au Développement (APD). A côté de la création du CNLC comme indiqué ci-haut, le gouvernement guinéen s’est résolu à prendre un certain nombre de mesures dont les principales sont :
– Une large diffusion des informations concernant les allocations et/ou mises à disposition des ressources publiques, y compris par l’encouragement de la participation des medias publics, privés, des radios rurales et communautaires…;
– L’organisation régulière des points de presse par le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) afin de présenter au public la situation économique et financière du pays ;
– La création des revues mensuelles/trimestrielles intitulées « chiffres et reformes contre la pauvreté en Guinée ». Ces magasines sont supposés présenter l’état général des finances publics (Tableau de Bord Mensuel de l’Economie Guinéenne et la Note de Conjoncture de l’Economie Guinéenne) ainsi que des informations sur l’impact des réformes sur les différents secteurs de développement.
Le CNLC était composé de représentants de l’Etat de divers partis politiques de la société civile et du secteur privé. Selon le gouvernement, ce Comité a documenté plusieurs cas de corruption et les a transmis au système judiciaire pour qu’il y soit donné suite. Jusque-là il n’y a pas eu de suite. Cependant, le seul cas qui a fait l’objet de verdict en Guinée, est celui de la Banque Mondiale. Cette affaire est le résultat des poursuites effectuées par son Département de l’Intégrité Institutionnelle et non de celle du gouvernement Guinéen. Pour la petite histoire, ce Département a été saisi en mars 2003 pour le détournement de fonds destinés au Projet de Renforcement des Capacités Institutionnelles (PRCI) financé en Guinée par ses soins à hauteur de 19 millions de dollars.
Dès lors, l’Institution a suspendu le financement du projet en question qui venait à peine d’être entamé. Par ailleurs, le Président guinéen d’alors qui n’a jamais affiché publiquement une ferme volonté politique vis-à-vis de la lutte contre la corruption a procédé en juin 2004 et cela sans raison officielle valable à la dissolution du CNLC. Toutefois, 4 mois après cette suspension et sous le poids des nouvelles pressions de la communauté des bailleurs des fonds, une Agence Nationale de la Lutte contre la Corruption (ANLC) a été créé le 20 octobre 2004. A la différence du CNLC, l’ANLC est rattachée au Ministère du Contrôle Economique et Financier et non à la présidence comme ce fut le cas pour le CNLC. D’un point de vue gouvernance, la composition des deux Institutions est presque identique. L’ANLC a comme l’ex-comité, les mêmes prérogatives et comprend 20 membres issus de l’Assemblée Nationale (AN), de la Cour Suprême (CS), du Conseil National de la Communication (CNC), du Ministère de la Justice, du Conseil Economique et Social (CES), de la jeunesse, du Ministère de l’Economie et des Finances (MEF).
Cependant, jusqu’à une date récente, aucun des nombreux détournements de deniers publics n’a fait l’objet de poursuites judiciaires ou d’éloignement des auteurs présumés de la gestion publique. En revanche, on a souvent assisté à une certaine récompense des coupables par une mécanique de promotion administrative perçue par les citoyens comme une prime à la corruption.
De plus, l’interventionnisme de l’Etat guinéen s’est souvent soldé par des octrois injustifiés de licences, des exonérations abusives et des autorisations de tous genres occasionnant ainsi un manque à gagner énorme en matière de recouvrement des recettes publiques mais aussi et surtout des difficultés d’exécution des dépenses allant dans le sens de la relance de l’économie vers une croissance soutenue et durable. A cela s’ajoutent l’opacité totale ou manque de transparence dans les procédures d’appel d’offres et de passation des marchés publics et un système déficient d’information publique.
Dans la même lancée, il convient de souligner que le système politique a longtemps été clientéliste et fondé sur une distribution administrative de postes officiels à des agents qui maximisent la production de rentes pour leur patron, le parti au pouvoir et pour eux-mêmes. De ce fait, les supérieurs hiérarchiques qui disposent de considérables pouvoirs discrétionnaires, font commettre régulièrement des délits financiers par leurs subordonnés afin d’échapper aux sanctions (Badara Dioubaté, 2009).
Les principaux services les plus touchés par ce type de pratiques sont : les services miniers, les impôts, la douane, le budget, le Trésor, l’administration de grands projets, le port autonome, le système judiciaire et la police. Aussi, faute d’environnement transparent et prévisible, les citoyens et le secteur privé ont souvent vendu ou bradé leur soutien politique au parti au pouvoir en échange de concessions, d’emplois et de possibilités d’obtention de rentes.
En somme, une des conséquences de la corruption est d’entretenir les bulles et de renforcer le dualisme économique ou encore l’hypertrophie de certains secteurs économiques au détriment d’autres.
Si aujourd’hui, les villas et les terrains des quartiers nantis de la capitale sont inaccessibles aux guinéens honnêtes, c’est en partie le fait de la corruption qui, affaibli chaque jour un peu plus, la solvabilité des fonctionnaires et autres travailleurs intègres. Ces villas et terrains sont en effet vendus à des prix artificiellement élevés et comparables à ceux pratiqués dans les grandes capitales occidentales telles que Paris et Washington DC.
Pour faire face au phénomène de corruption, le gouvernement guinéen doit s’atteler à créer des conditions de transparence, de disponibilité et de fiabilité de l’information car, le grand laxisme juridico-judiciaire et l’absence de contraintes d’informations quant à la traçabilité des capitaux qui circulent dans notre pays, sont des terreaux propices aux délinquants de tout genre et offre ainsi des possibilités beaucoup plus larges aux bandits à col blanc.
Ce sujet reste entier et mérite pour sa part une longue réflexion de tous les guinéens afin d’extraire la population guinéenne de l’extrême pauvreté qui n’a que trop durée.
Safayiou DIALLO
Enseignant chercheur à l’Université de Sonfonia Conakry