On aurait souhaité que cette funeste nouvelle de ta mort soit l’une de tes innombrables comédies, mais hélas…Abdoulaye Bah, désormais ancien chef de bureau adjoint du site internet Guineenews.org, dépose également la plume ! Outre les colonnes de la presse, ses publications alimentaient également les réseaux sociaux. Sur Facebook, où il était suivi par plus de douze mille personnes, le dernier post d’Abdoulaye Bah date du dimanche 17 juin à 3 h 04 mn, soit une heure avant l’accident fatal de circulation qui l’a renversé à Matoto, alors qu’il couvrait une opération d’assainissement conduite par le gouvernement. L’ultime publication, l’air prémonitoire, décrit ce que fut l’homme, dans une conversation entre une femme et son mari. Madame : « Chérie jtm (abréviation de je t’aime, ndlr), je te promets d’être avec toi jusqu’à la fin de notre vie ». Réponse du mari : « C’est une menace ? »

De telles publications qui vous arrachent le sourire foisonnent sur sa page Facebook. Ce qui lui a valu des milliers d’admirateurs au point d’atteindre la limite de cinq mille amis autorisée par le réseau social de Mark Zuckerberg et de se voir contraint de créer une nouvelle page pour tenir en haleine ses innombrables followers (abonnés d’un compte Facebook ou Twitter).

Sa mini-bio de « Journaliste tout terrain, chroniqueur, éditorialiste, analyste politique et reporter sportif » témoigne de son statut de journaliste prolifique, qui s’intéresse à tout. Son dernier article sur le portail de Guineenews.org date du dimanche 16 juin, veille de son accident/décès et s’intitule « Polémique autour du Mondial 2026 : La FIFA répond aux soupçons de la Guinée ». Et des articles, Abdoulaye Bah en a signé près d’une vingtaine en moins d’une semaine chez notre confrère de Guineenews.org, où il a posé ses valises après avoir séjourné, dès sa sortie d’université, au journal Observateur de 2004 à 2014. Il analysait des discours politiques et signait des chronique-fiction, pour simuler des conversations entre farouches adversaires politiques, un peu à l’image de Téléphoniquement vôtre qu’animait dans les temps le bâtonnier Boubacar Sow pour le satirique Le Lynx, avec feu Fory Coco au bout du fil tant que le défunt réseau Lagui le permettait. C’est désormais les fans d’Abdoulaye Bah qui signent des chroniques fictives sur lui, comme celle de Moh Sieur. (Voire encadré). « Très attristé par cette disparition brutale. @BodieBah2 avait la vie devant lui avec un enthousiasme formidable et une générosité infinie. Toutes les condoléances de @Mediapart à sa famille, à ses amis et à toute l’équipe de @Guineenews », s’est ému Edwy Plenel, fondateur de Médiapart que le défunt avait interviewé lors de la célébration des vingt ans de Guineenews.

Hommage national

Originaire de Dinguiraye, Abdoulaye Bah était ce genre de personnes qu’on ne saurait classer dans une entité politique ou ethnique bien définie. Il était avec tout le monde. Si beaucoup le percevaient comme pro opposition pour ne pas dire UFDG, notre confrère était en même temps très proche de beaucoup de membres du gouvernement, dont Moustapha Naïté qui fut d’ailleurs le parrain de son mariage célébré le 8 janvier 2017. Les deux étaient encore ensemble quand le journaliste a été percuté alors qu’il couvrait l’opération d’assainissement à Matoto. Le soldat de la plume est mort les armes à la main à l’hôpital sino-guinéen de Kipé, après avoir vu défiler à son chevet le chef de l’Etat, le Premier ministre, ministres, hommes politiques dont le chef de file de l’opposition qu’il accompagnait dans toutes ses tournées et hommes de médias…tous émus par l’état critique de quelqu’un qui a vécu joyeux et dynamique. Ce sont d’ailleurs les larmes de Khalifa Gassama Diaby, ministre de l’Unité nationale et de la citoyenneté, au sortir de l’hôpital, qui ont fait comprendre certains que Abdoulaye Bah était condamné, alors qu’une publication de Guineenews.org se montrait plutôt rassurante.  

« Madame se porte bien. Mieux d’ailleurs. Mais notre prince héritier n’a pas survécu. Tout ce que Dieu fait est bon. Il est grandeur », postait Abdoulaye Bah le 4 mai dernier, suite à la perte de son premier bébé, mort en couche, qu’il rejoint désormais aux cieux, laissant ici-bas inconsolable sa veuve Marie Louise Bah. Cruel destin qui lui a arraché son nouveau-né sans lui accorder le temps de nous laisser un successeur, un héritier, digne de poursuivre ses œuvres !  

L’alcool au volant

Une bouteille de Gin presque vide, une canette de Faxe et un verre sont parmi les premiers indices trouvés dans le véhicule qui a renversé Abdoulaye Bah et Abou Koria Kourouma, cameramen d’Espace TV dont la vie serait hors de danger. Il était occupé par de jeunes fêtards en état d’ébriété et roulait à tombeau ouvert, selon les divers témoignages. C’est le portrait d’une société guinéenne décadente, caractérisée par l’absence d’autorité parentale et publique, la démission de la famille et de l’Etat, l’impunité et le laisser-aller.

Si l’indignation et la mobilisation nationales suite à cet accident forcent l’admiration, quel crédit accorder aux nouveaux engagements du président Alpha Condé et du Premier ministre à remettre de l’ordre dans la circulation anarchique notamment à Conakry ? En Guinée, on s’est toujours ému, on a souvent promis, avant d’oublier. Combien de Guinéens anonymes sont fauchés au quotidien à cause d’un excès de vitesse, d’un mauvais stationnement ou d’une défaillance technique ? Dans l’indifférence générale. Hier, c’était notre confrère de Bonheur FM, Rafiou Diallo, pour ne citer que les victimes journalistes. Il est plus que temps pour la Guinée et les Guinéens de redevenir normaux. Repose en paix Abdoulaye et bien des choses à notre « KAA » (Assan Abraham Keita), ancien Directeur de publication du groupe de presse Lynx/Lance, qui s’est éteint aussi à l’hôpital sino-guinéen de Kipé il y a un an, le 15 juin 2017.   

Diawo Labboyah Barry