Par Pr. Omar Hamouda
in El Watan

D’une manière ou d’une autre, le peuple algérien s’exprime le 4 juillet dans le respect de l’article 102 de la Constitution de la République algérienne. Voter, c’est le droit de chacun à s’exprimer librement. S’exprimer peut se faire par les urnes dans un isoloir ou tout simplement en levant la main sur la place publique.

Le mode de scrutin libre dans les circonstances actuelles consisterait de sortir (ou ne pas sortir) dans la rue comme tous les «vendredis», le 4 juillet, pour exprimer définitivement son accord ou désaccord. Pour voter «oui pour un départ du gouvernement, oui pour un nouveau régime», il suffira de sortir dans la rue, de marcher solennellement dans le calme, sans scander de slogans, ni pancarte.

Si la majorité des citoyens, dans toutes les wilayas sans exception, s’exprime de cette manière, alors le peuple aura plébiscité la révocation de tous les membres du gouvernement nommés par les présidents précédents.

La Constitution (articles 7, 8 et 9) donne au peuple le plein pouvoir, donc la légitimité institutionnelle. Cette démarche d’élection est non orthodoxe dans les annales universelles des scrutins, mais si le peuple décide ainsi, elle devient un processus républicain de référence.

Puisque l’élection du 4 juillet se déroule sur la place publique sans candidat, alors que le peuple sera par défaut «le président», ceci pour la courte durée de transition. Durant cette période, le président, c’est-à-dire le peuple, décidera qui doit les représenter pour préparer la prochaine élection exécutive et législative. Il reviendra à la société civile de procéder immédiatement à l’installation de l’instance indépendante pour la supervision des élections. Un consensus national devrait désigner cette instance à partir des nombreuses propositions déjà formulées. Aller à l’encontre de la volonté du peuple pour imposer un agenda serait un non-sens.

La Constitution algérienne prône la souveraineté du peuple sur le destin de la nation. Le chapitre IV «Des droits et des libertés», le chapitre V «Des devoirs» et tous les autres articles des autres sections de la Constitution pertinent spécifiquement aux droits et libertés constituent la «Charte des droits», protègent tous les citoyens de tous leurs droits et leur garantit l’entière liberté de participer démocratiquement dans le processus de l’édification de leur nation. La Constitution algérienne est en pleine harmonie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies. En ce qui concerne l’énoncé algérien des droits de la personne, elle va même plus loin que la Constitution américaine.

Il est stipulé dans le préambule de la Constitution algérienne que «la Constitution est au-dessus de tous, elle est la Loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple, confère la légitimité à l’exercice des pouvoirs, et consacre l’alternance démocratique par la voie d’élections libres et régulières».
Les gouvernements successifs, cela depuis 1962, n’ont respecté aucune de ces stipulations. Il n’y a pas de crise ou de vides constitutionnels, mais la violation continue de la Constitution.

La Constitution est claire et contient toues les clauses nécessaires pour garantir le bon fonctionnement d’une structure étatique cohérente. Il y a, par contre, un vide flagrant de parti politique structuré qui puisse assurer les objectifs de la citation ci-haut du préambule de la Constitution algérienne. Au fait, excepté le GPRA avec sa plateforme qui a donné naissance à la présente Constitution, l’Algérie indépendante n’a jamais connu de multipartisme bien structuré et capable d’offrir un contrepoids au pouvoir en place.

Profitant d’un peuple abusé et épuisé avec un taux d’analphabétisme élevé, les leaders du groupe militaro-politique de l’armée des frontières ont, dès le départ, trouvé un terrain fertile pour imposer leur vision de gouvernance en usurpant presque toutes les clauses de la Constitution et à tout faire pour empêcher la naissance d’un Etat de droit et un Etat civil.

Aujourd’hui, l’Algérie se trouve à un moment charnière de son histoire. D’un côté une carcasse politique du passé, un amalgame décousu de groupes d’intérêts qui colmatent les leviers de gouvernance en fonction des luttes d’influence internes, et de l’autre une réalité économique et une conscience sociale d’un tout autre ordre qui ne se reconnaît pas dans cette carcasse. La crise actuelle réside dans l’explosion de cette incompatibilité qui crée une impasse.

Le moment est opportun, le peuple algérien est maintenant prêt à reprendre son indépendance nationale qui lui a été confisquée, à appliquer et défendre la Constitution et de se doter de mécanismes de gouvernance de la nation qui peuvent assurer la responsabilité institutionnelle de l’exercice du pouvoir dans un Etat de droit.

Pour réparer les dégâts des dernières décennies et se mettre au diapason de la réalité, il est nécessaire de repenser la structure de gouvernance, peut-être commencer par réhabiliter la plateforme du GPRA et l’adapter à la réalité du jour. La société civile a, d’une part, une Constitution qui répond bien aux aspirations des citoyens, une plateforme de gouvernance déjà établie et un enthousiasme populaire avec beaucoup d’idées à partir desquelles elle pourrait dégager un consensus qui aiderait à l’émergence d’un nouveau régime compatible avec un Etat de droit, d’autre part.

Parmi les revendications fondamentales exprimées par le mouvement populaire du peuple algérien, il y a :

1)- l’exigence de l’arrêt de l’arbitraire et de la violation des droits et libertés des citoyens dans toutes ses formes ;

2)- la demande d’être inclus dans la participation dans les décisions du choix des personnes qui les représentent et décident en leur nom dans la gouvernance de l’Etat.

La première ne peut être garantie que dans un Etat de droit, la seconde ne peut être déterminée par les urnes que dans le respect de la première. Un Etat de droit ne peut se réaliser dans un environnement où le culte de la personne l’emporte sur le recours aux fondements institutionnels.

Bien qu’il y ait presque l’unanimité de la population dans sa détermination de lutter pour réaliser ces deux revendications, il reste, néanmoins, beaucoup de flou et d’interrogations : comment procéder, dans quelle échéance, et surtout qui devrait prendre le devant ?

La conséquence

Si le résultat du plébiscite populaire le 4 juillet est un «oui» massif, de facto, tous les membres du gouvernement n’ont plus de légitimité légale, donc ils perdent leur poste. Il est évident que cette vacance créera un vide de gouvernance qu’il faudra vite combler. Dans les présentes circonstances, puisque nul ne peut unilatéralement parler au nom du commun, le vide de gouvernance et la pluralité des attentes et des opinions signifient-elles le KO ? Pas nécessairement, bien que le risque existe. Même si le peuple est furieux, et avec raison, il demeure que la corruption, la violation de la Constitution, la hogra sont perpétrées par des personnes et non par les institutions de l’Etat.

La justice s’occupera des personnes, le peuple quant à lui devra veiller au bon fonctionnement des institutions de l’Etat. Il faut avoir confiance – tout en étant vigilant – en ces milliers d’hommes et de femmes qui travaillent dans la Fonction publique et qui font tourner la machine administrative du pays. La structure administrative existe et continuera d’exister après le 4 juillet. Durant la courte période de transition, puisqu’il n’y a plus de gouvernement, cette administration publique deviendra redevable qu’au peuple par l’intermédiaire de la justice.

Afin de combler la vacance du pouvoir et de continuer à assurer le bon fonctionnement de toutes les instances étatiques du pays et d’assurer le quotidien, une certaine participation démocratique sera nécessaire.

Cette participation devrait se faire en tout état de cause dans l’ordre et dans l’intérêt général. La Constitution doit demeurer et servir de référence pour toute démarche qui doit mener au renouveau. Il ne peut y avoir d’Etat de droit sans une connaissance du droit (devoir du citoyen : article 74). Il ne peut y avoir d’Etat de droit sans le respect du droit par tous (article 77). Il ne peut y avoir d’Etat de droit sans un pouvoir judiciaire indépendant (ce pouvoir est garanti : article 156). La démarche vers un Etat de droit ne peut se faire sans un encadrement et sans l’implication de la justice et de la Fonction publique.

Les conditions préalables et nécessaires pour que la transition vers un nouveau régime puisse se réaliser dans l’harmonie sont d’abord la responsabilisation légale de : la justice, la Fonction publique et l’armée :

1) La justice : la justice rendue «au nom du peuple» (article 159) et le pouvoir judiciaire sont primordiaux non seulement pour la stabilité et le bon fonctionnement de la nation, mais plus, ils sont les protecteurs de la démocratie. La Constitution (chapitre III, articles 156… 177) garantit l’indépendance, la liberté, et la sécurité des membres de la magistrature qui doivent obéir «qu’à la loi» (article 165).

La Constitution profère aux membres de cette fonction particulière le droit de s’organiser et de s’autoréguler. Dans le contexte actuel, cette institution doit très rapidement créer un comité d’éthique et de surveillance et commencer à faire le ménage dans sa cour, c’est-à-dire révoquer le droit d’exercer aux confrères et consœurs qui abusent la loi et la fonction de magistrat, ensuite veiller à appliquer la loi à tous et sans exception en toute impartialité. Dans cet Etat de droit, un magistrat n’a pas à demander à l’accusé la permission de pouvoir le juger. Cette institution doit prendre ses propres décisions. Elle n’a pas besoin d’instruction ni d’un président ni du Parlement pour appliquer la Constitution et d’agir.

2) La Fonction publique : en particulier les membres des forces de l’ordre sont au service du peuple. Dans leur travail, ils sont protégés par la loi, mais ne peuvent agir à l’encontre ou l’entrave à la justice (article 163).

3) L’armée : en tant qu’institution, l’armée, avec des pouvoirs exceptionnels de détention et du droit d’user de la force dans sa mission de défense nationale (article 28), a aussi un statut particulier. Même si elle est dotée d’une justice militaire interne, elle demeure sous l’autorité de l’Etat. Dans sa composition, il y a d’abord la très grande majorité d’hommes et de femmes qui occupent des fonctions bien définies, ils et elles émanent du peuple et sont le peuple.

Ces citoyens militaires sont soumis et obéissent à la même loi de la République que les civils. Ils ont les mêmes préoccupations et difficultés dans leur vie de tous les jours que le reste de la société. Il y a ensuite un très petit nombre, le haut commandement, qui forme un collège qui dirige et ordonne. Ce sont les membres de ce collège qui se comportent comme dans une cour royale qui étalent leur pouvoir absolu sur les appareils exécutif, législatif et judiciaire qui font défaut. Il n’y a rien dans la Constitution qui confère à ce groupe restreint le droit de ce pouvoir, ni celui de se substituer aux rouages de l’Etat, encore moins de parler au nom du peuple. Au fait, les éléments radicaux de ce collège, qui abusent et transgressent la Constitution par l’intimidation et la force, le font dans l’illégalité constitutionnelle. Leur menace constitue un outrage au peuple et à l’Etat. Ceci dit, il est important de ne pas faire l’amalgame entre l’institution et les personnes qui portent l’uniforme. L’armée algérienne est solide et bien structurée. L’institution n’est nullement en conflit avec le peuple.

Ce sont des éléments de la haute hiérarchie militaire qui ont besoin d’être remis à l’ordre pour abus de fonction. La justice militaire a le devoir de faire le ménage parmi les siens dans le respect de la Constitution. Exiger de ces membres le respect absolu de la Constitution ne remet en rien ni l’unité ni l’intégrité de l’armée. Au contraire, il ne fera que les renforcer.

La transition dans l’immédiat : Que se passera-t-il au lendemain du plébiscite ? Eh bien, le soleil continuera de se lever, les citoyens de travailler, les enfants d’aller à l’école… en attendant que les pouvoirs exécutif et législatif s’organisent et se mettent en place. Durant la vacance de ces deux pouvoirs, les instances de l’Etat n’ont d’autre choix que de continuer à fonctionner normalement.

La bureaucratie publique de chaque institution sera assumée par ses hauts responsables. Leur gestion des affaires courantes doit être transparente, des communiqués et conférences de presse devront devenir la norme pour informer et s’informer auprès du public. Régulièrement, ils doivent consulter les spécialistes externes et écouter les interrogations des citoyens. Le rôle et l’impartialité de la presse, dont la liberté est garantie (article 50), sont essentiels pour la transparence, la sensibilisation et la diffusion de l’information concernant chacune des activités de la nation. Pendant que les partis politiques existants ou nouveaux et la société civile s’organisent pour préparer l’élection législative et celle du président, la gouvernance de la gestion des affaires courantes des organes de l’Etat reviendra momentanément aux responsables de la bureaucratie :

a)- des affaires extérieures : les ambassadeurs resteraient à leur poste jusqu’à l’élection du prochain gouvernement et continueront de s’occuper des intérêts nationaux et d’assurer leurs homologues de la continuité des institutions administratives algériennes.

b)- De l’intérieur : les walis, tous les responsables des forces de l’ordre, des administrations du pays, ainsi que des compagnies nationales demeureraient en place mais seraient sous tutelle du regard du public et de la justice.

De la Banque centrale : il y a suffisamment d’expertise en finance et en économie (anciens responsables, universitaires, membres de la presse spécialisée et du public, investis en la matière, que la bureaucratie devrait consulter pour gérer la monnaie (la communication peut se faire, régulièrement, sous forme de communiqués de presse, conférences internes, d’études sollicitées ou indépendamment proposées). Idem pour les autres ministères.

d)- Du ministère du revenu : la machine est bien en place, les responsables continueraient à faire le travail dans le strict respect de la loi (article 76). Le Trésor public devrait continuer à assurer les redevances et à assumer les obligations.

e)- Des ministères de l’Industrie, du Commerce et du Commerce extérieur et des services de douanes : ce sont des secteurs où la tentation de corruption est forte. Les articles 23 et 24 sont très clairs concernant la collusion dans le but d’enrichissement et l’abus de pouvoir. La Constitution encourage les investissements (article 43), mais ceux-ci doivent se faire avec tous les risques que cela comporte, indépendamment, sans favoritisme ni entrave de la bureaucratie.

f)- De la santé publique : durant la vacance, la profession médicale est capable de s’auto-organiser et a besoin de créer, à l’échelle nationale, sa propre commission d’éthique pour assurer l’intégrité de la profession.

g)- De l’éducation : l’Education nationale doit se libérer du politique. Le texte de la Constitution devrait faire partie du curriculum dans les écoles afin que très tôt les jeunes apprennent ce que sont leurs droits. L’université a sa propre inertie et devrait continuer à fonctionner, dans ses activités d’enseignement et de recherche, à être complètement indépendante de toute contrainte bureaucratique.

h)- Des groupes sociaux : l’Etat veille à l’épanouissement de la jeunesse et reconnaît qu’elle est «une force vive dans la construction du pays» (article 37), à «la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique» (article 44), à la promotion des droits politiques des femmes et de la parité sur le marché du travail (articles 35 et 36), aux libertés d’association (article 48), de manifester pacifiquement (article 49), et de conscience et d’opinion (article 49), à la protection de la vie privée (article 46), à l’inviolabilité de la personne humaine (article 40), et «la liberté d’exercice du culte» (article 42), etc. Le gouvernement à tous les échelons n’a pas arrêté de bafouer tous ces droits en toute impunité. Il est temps que la société civile fasse en sorte que cela cesse. Le citoyen doit s’impliquer et continuer de défendre ses droits, mais aussi, plus important, ceux de la collectivité que la Constitution lui garantit.

Les droits et libertés ne se distribuent pas, ils s’acquièrent et doivent constamment être défendus. Sans la vigilance et la défense de ces garanties, l’élection d’une personne ou d’une autre à la tête du gouvernement a de fortes chances de reproduire les mêmes injustices pour se servir de la fonction plutôt que de servir la fonction. Il est impératif que les discussions des préparatifs des modalités des prochaines élections législatives et présidentielle se fassent dans l’intérêt général et que les différences partisanes et les querelles de personnalités prennent l’arrière-plan.

L’Algérie ne vit pas dans un vase clos mais fait partie de la communauté internationale et n’est pas à l’abri des soubresauts d’un monde où la géopolitique est très volatile. Chaque nation pense d’abord à défendre ses propres rentes. Les tensions sont dues aux intérêts économiques et à la convoitise des ressources là où elles se trouvent.

Pour sécuriser, à tout prix, l’approvisionnement de ces ressources, les pays les plus développés et les plus forts sont en train de se livrer à des batailles économiques sans merci par conflits régionaux interposés, d’étendre leurs hégémonies sur les nations fragiles ou vulnérables.

A l’ère du cyber, les tactiques psychologiques d’une nouvelle guerre de déstabilisation par la création de division, du doute, de confusion, de désinformation, et de démoralisation psychique sont très efficaces là où il y a polarisation ou antagonisme des uns envers les autres. L’intérêt du citoyen est lié directement à celui de la nation, lui-même attelé aux termes d’échanges économiques, stratégiques et diplomatiques. La défense des intérêts nationaux dépend grandement de la cohésion nationale, du degré de tolérance et de coopération et surtout de l’inclusion de tous les citoyens dans ce tissu social qu’est la nation. Cette cohésion ne peut se réaliser que dans un Etat de droit.

Pr. Omar Hamouda
Université York, Toronto, Canada
Directeur de la revue Journal of Income Distribution