Le 18 avril 1996, quelques mois après une mutinerie qui poussa le pouvoir à rehausser les conditions de traitement des bidasses, Souleymane Diallo, le dirlo du groupe de presse Lynx – Lance, était entre les mains de la Justice. On l’accusait alors d’avoir reproduit, pardon falsifié, un décret de notre bon vieux Fory Coco. Williams Sassine avait à l’époque écrit la chronique qui suit, qui se révèle 23 ans plus tard encore d’actualité. Lisez !
Noé sauva les animaux des eaux. « Sauva », c’est peut-être trop dire. Enfin…c’est ce que croyaient les animaux, nos prétendus « amis ». Les moutons en savent quelque chose chaque année, le jour de leur « fête » à la Tabaski.
Noé et ses enfants, Sem, Sam et Japhet, pendant qu’ils se multiplient comme des souris, les animaux sont devenus nos « bêtes » à consommer, à empailler, à humilier dans des cages, à exterminer.
La plupart de nos contemporains ne se fichent pas mal de la disparition de la baleine bleue, des lémuriens de Madagascar, du léopard des neiges, ou des éléphants, au nom de la supériorité, de la sempiternelle économie aux dépens de la survie d’une espèce animale. Cet égoïsme à courte vue mène à d’autres destructions faciles à imaginer.
Chers lecteurs et lectrices, vous êtes en train de vous demander, pourquoi dans un journal qui n’a pas vocation purement scientifique, s’intéresse-t-on à des animaux ? La première réponse est simple. Le savant sait tout de quelque chose, et le journaliste doit savoir quelque chose de tout.
La deuxième réponse vous la trouverez dans la liste ci-jointe, très incomplète des mammifères (en particulier) qui ont disparu ou risquent de disparaître définitivement de la surface de notre continent. Il ne s’agit pas d’espèces en voie d’extinction naturelle, mais bien d’animaux exterminés par l’homme. (Nos informations sont établies par les spécialistes de l’UICN, d’éditeurs du Red Data Book, le livre rouge de la nature).
Voici donc cette grille, en espérant pour une fois que le mot « grille » ne nous fera pas mettre en grilles.
Puisse cette liste rouge se clore dans les années à venir.
– Colobès (colobus) Certaines espèces sont extrêmement menacées à cause de leur fourrure
– Chimpanzé (Pan troglodytes). L’espère est en régression. Fait la joie des alcooliques, dans les soupes des maquis.
– Gorille. Victime d’une chasse excessive. Viande très appréciée par nos bérets rouges. Surtout quand elle est accompagnée de force vin blanc ou de « Tambayana ». Après on souhaite une grève des étudiants pour s’assouplir les muscles.
– La panthère. A pratiquement disparu. Partout trop chassée.
– Zèbre de montagne. Menacé d’extinction totale. Heureusement qu’en Guinée, il nous en reste 114 à l’assemblée.
– Hipppotrague noir géant. Confiné au Sud de l’Angola. Subsisterait que 500. Le seul qui a eu le courage de fréquenter nos eaux a été traité de diaspo et bouffé jusqu’aux os.
– Hippopotame. En extinction. Les rares survivants ont déménagé au Mali, avant que notre hibou du minus-tère de l’insécurité, ne leur demande de changer leur permis.
– Gong ou Vache Marine. Sur nos côtes, elle n’aura jamais le temps de devenir une Vache folle. Qui est fou ?
– Les ânes. Kankan était leur capitale du temps du vénérable Sékouba. Et puis la révolution est venue avec ses mille-chiens. Aujourd’hui le jeune kankanais, dessine un âne avec des ailes.
Enfin…Enfin ! Il y a le Lynx. En voie de disparition à cause de sa fourrure. Emprisonné à cause de sa clairvoyance. Libéré à cause de sa popularité. Je me demande qu’est-ce qui a pris Souleymane pour importer cet animal pourchassé. Parce que impossible à apprivoiser, contrairement aux animaux du zoo de Fory Coco (voir notre numéro 208). Volonté de retrouver le sentiment de l’Etendue pour avoir vécu dans des pays désertiques. Moi-même il me vient parfois cette nostalgie, qui est ici la commune mesure de toutes les aspirations de tous les hommes. L’homme, pour la première fois, ne s’est dressé que pour apercevoir l’horizon. Tout ce qui paraît avoir un sens, se dénoue autour d’une étendue. Ainsi de l’Amour quand on l’attend ou quand on le perd, la musique quand elle rappelle, la Mort quand elle pleure, la prison quand elle coupe une famille en deux. Comme disait Saint Ex : « le Pathétique c’est le sentiment de l’étendue ». L’homme en lui-même est une étendue, parce qu’il peut contenir la mesure de sa foi, quand elle est infiniment grande. L’homme ne se compte pas, ne se calcule pas. Mais se conte. Comme toute véritable étendue, l’homme n’est point fait pour l’œil, mais pour l’Esprit comme un lieu saint. Car son étendue est intérieure.
Le cosmonaute dans sa cellule, le prisonnier dans sa nuit, le mendiant abandonné peuvent agrandir leur solitude jusqu’à fonder leur étendue, renouant ainsi avec l’Humanité et Dieu. L’homme est un nœud de relations. Notre travail au Lynx, n’est pas un besoin d’évasion. Car personne ne peut plus s’évader. Une mauvaise littérature construit encore ses thèmes autour du mot Diaspora.
Mais un esprit est comme un parachute. Il ne fonctionne bien que quand il est ouvert. Malheureusement beaucoup d’esprits sont encore bouchés. Ces gens-là verraient un Lynx, dans leurs rues, qu’ils prendraient des bâtons, ou leurs fusils cachés.
Quoiqu’il arrive, nous serons du côté des envahisseurs, du côté de la vie qui vient, du côté du changement d’âge et du changement de mentalité. Car une vie d’homme ne se justifie que par l’effort, même malheureux vers le mieux comprendre. Et le mieux comprendre, c’est le mieux adhérer. Plus je comprends, plus j’aime. Car tout ce qui est compris est bien et évite des jugements hâtifs.
Merci à tous ceux qui sont allés en prison, avec nous, en pensée. Nous avons compris à travers eux, qu’on peut arrêter tous les journalistes du Lynx. Mais qu’on ne peut arrêter le Lynx lui-même. Il n’a peur de personne. Souley du courage !
Williams Sassine
Le Lynx n°212
du 18 avril 1996