Zalikwele (près de zali), la ville de Goikouya, est comme un volcan. Calme et paisible un long moment, incandescent et meurtrier le temps d’une éruption. L’élection calamiteuse du 22 mars 2020 a, encore une fois, mis ce volcan en éruption et effiloche davantage le tissu social. Kpèlès et Koniankés en pleurent. Hélas

Le premier conflit violent à grande échelle entre Kpèlès et Koniankés est survenu en 1991, au lendemain des élections communales. Puis, la guéguerre séculaire qui émaille les rapports entre ces deux communautés s’est poursuivie avec une récurrence préoccupante, marquée par des pointes qui sont devenues plus fréquentes et plus meurtrières depuis 2011.
Les rapports de négoce, l’accès à la propriété foncière et les velléités de conquête du pouvoir politique en sont les principaux enjeux. Des différences telles que les croyances religieuses ou les événements contingents (guerres, élections) ont exacerbé les tensions et accéléré le processus de déclenchement des conflits.

L’ordre d’occupation de la contrée est aujourd’hui sans objet et doit être évacué des causes des conflits. La toponymie (noms des agglomérations, des cours d’eau, des montagnes, des forêts etc.) est une référence à la fois historique et ethnologique qui contribue à la détermination de la succession des différents courants migratoires et permet d’identifier en conséquence la communauté qui peut se prévaloir du droit de propriété sur le sol. De toute évidence, les vagues migratoires Koniankés sont postérieures à l’installation des Kpèlès dans la région. Les premiers, négociants en produits agricoles (noix de cola, café, cacao, noix de palmiste, etc…) et en biens manufacturés importés, trouvent les seconds, agriculteurs, déjà sédentarisés.

Les premiers, installés dans les centres urbains et en contact avec le monde extérieur, disposent d’informations sur l’évolution des cours mondiaux des matières premières, informations qui échappent totalement aux seconds qui sont pourtant les producteurs des biens qui font l’objet des transactions. L’accès asymétrique aux informations économiques associées à la détérioration des termes de l’échange qui perturbe en Afrique les économies des colonies d’abord, puis celles des jeunes Etats, désavantage les Kpèlès dont la production n’est pas écoulée à sa juste valeur. Ce qui suscite d’immenses frustrations qui s’accumulent, année après année, dans leur subsconsient. Ainsi, ces transactions commerciales déséquilibrées qui, loin s’en faut, ne prennent pas en compte le principe du ‘‘gagnant-gagnant’’, favorisent l’enrichissement des négociants koniankés et la paupérisation des producteurs kpèlès. Mais cette tendance est progressivement rompue par l’émergence d’une masse critique de jeunes opérateurs économiques kpèlès, au grand dam des négociants koniankés. Des conflits d’intérêt apparaissent et aggravent l’antagonisme atavique entre les deux communautés. On a là le premier germe des rapports conflictuels ouverts entre Koniankés et Kpèlès.

L’accès à la propriété foncière est devenu au fil des ans, une autre source de conflits entre Kpèlès et Koniankés. Dans la société kpèlè, le lignage était, à l’origine, propriétaire du sol mais en laissait l’usufruit, de manière générale, à ses différents membres mâles.
Les Koniankés qui désiraient s’établir durablement, à leur arrivée, dans ce qui était appelé à l’époque, Cercle de N’Zérékoré, sous la colonisation, obtenaient des lignages la jouissance, par usufruit, du sol familial pour y développer différentes activités économiques et/ou domestiques. A l’époque, la terre qui était suffisamment abondante compte tenu de la relative faible humanisation de l’espace rural, avait une valeur marchande quasi nulle et était prêtée aux allogènes moyennant quelques noix de cola rituelles et symboliques. La monétarisation des rapports antérieurement sociaux aboutit à la valorisation de ces ‘‘terres prêtées’’ dont le statut juridique est remis en cause par ceux qui les avaient cédées gracieusement. Les usufruitiers qui les exploitent depuis des générations et qui réclament le droit de nu propriété mettent une fin de non recevoir à ces prétentions. Ainsi émergent les conflits domaniaux qui vont, au fil des ans, s’aggraver, se multiplier et constituer de nos jours un substrat majeur des conflits récurrents qui ensanglantent Zalikwèlè.

Enfin, les velléités de conquête du pouvoir politique moderne contribuent à exacerber les difficiles relations de coexistence entre Kpèlès et Koniankés. Latentes sous la colonisation et sous la révolution, ces velléités se sont soudainement traduites en violents affrontements, en 1991, lors des élections communales. Derrière l’âpreté normale inhérente à toute compétition politique, se dissimule l’acrimonie des Kpèlè contre les Koniankés dont ils condamnent la prétention de vouloir leur usurper le pouvoir politique, ‘‘chez eux’’, ce qui serait une outrecuidance, voire une imposture. La farouche détermination des deux communautés de briguer la fonction de maire de la commune de N’Zérékoré a entraîné des affrontements d’une violence inouïe qui se sont soldés par des dizaines de morts et d’importants dégâts matériels. Ces violences ont accrû les frustrations des Kpèlès, développé le reflexe identitaire et les sentiments de méfiance mais aussi de défiance.
Aussi, convient-il de noter le rôle non négligeable des facteurs aggravants des rapports conflictuels entre ces communautés.

Les croyances religieuses ont accentué la segmentation de la société. Pour une masse critique de fanatiques musulmans, l’animisme et l’islam sont antagoniques, ce qui exclut toute promiscuité et relations intelligentes. L’attitude condescendante de ces fanatiques vis-à-vis des animistes kpèlès a nourri le terreau de la discorde, de la défiance et enfin de l’affrontement intercommunautaire.
Outre l’intolérance confessionnelle, les conflits armés dans les pays limitrophes, en particulier le Libéria, ont largement contribué à transformer, en 1991, un conflit latent en violente déflagration interethnique. En effet, de nombreux jeunes Koniankés libériens, combattants de l’ULIMO que les flux de refugiés ont ramenés en Guinée, ont activement participé aux confrontations de 1991, puis plus récemment, à celles de 2013. Aguérris et expérimentés, ils ont été à la pointe des combats. Par ailleurs, la longue période de 20 ans de conflits armés au Libéria, en Sierra Léone et en Côte d’Ivoire, a fait de la sous région un vaste et florissant marché d’armes légères dont des belligérants peuvent aisément se procurer.

Le troisième facteur aggravant est la tribalisation à outrance de la vie politique, à l’échelle nationale. L’élection présidentielle de 2010 en a donné des signaux certains. La nation n’est plus le creuset où s’épanouissent les ethnies en s’enrichissant de leurs différences culturelles. On ne peut plus, comme Albert Jacquard, faire l’éloge de la différence. Car différence est devenue synonyme d’antagonisme. La nation s’étiole, les tribus se revigorent.

Des pistes pour analyser et comprendre les conflits récurrents entre Kpèlès et Koniankés qui ont plus intérêt à s’entendre qu’à se disputer, ont été esquissées dans les lignes qui précèdent. On pourrait les exploiter, les approfondir en vue d’envisager les solutions appropriées durables, voire pérennes. De simples matches de football ou de flamboyantes mamayas sont bien loin d’apporter des réponses efficaces au mal endémique de Zalikwele.

Kayoko A. Doré