Il est surprenant de constater qu’après dix ans au pouvoir, le Président de la République, le Professeur Alpha Condé, continue de faire preuve d’amateurisme dans la formation de ses équipes gouvernementales. Celle qu’il a servie aux Guinéens le vendredi 19 juin aura été un chef-d’œuvre en la matière. On n’a pas besoin de sortir d’une quelconque école d’administration pour en déceler les incohérences. Il y en avait tellement que le décret a été relu à la télévision d’Etat le lendemain, samedi 20 juin.

Tout, ou presque, était sens dessus-dessous. « Sur proposition de Premier Ministre,» Alpha Condé présente au public un gouvernement issu d’un décret qui mélange la chèvre et le chou. Le gouvernement change de structure. Celle-ci n’est mentionnée nulle part. Cependant, elle se retrouve meublée avant d’avoir été explicitement dégagée. Elle n’a même pas été annoncée. Le Premier ministre et les ministres qu’il est censé avoir proposés se retrouvent dans un seul et même décret. La bourde est suffisante pour constater qu’en réalité, le Premier ministre n’a pratiquement aucune prise sur ses supposés collaborateurs. L’on peut conclure que l’harmonie, la solidarité gouvernementales et l’autorité de l’Etat ne sauraient relever que de la fiction.

Plus étonnant encore, le décret pris pour former le nouveau gouvernement viole carrément la constitution d’avril 2020. C’est comme si le Premier ministre et le Président de la République s’étaient entendus pour oublier que l’article 9 de la Constitution de 2020 met un accent particulier sur le genre, « le gouvernement et les assemblées des organes délibérants ne peuvent être composés d’un même genre à plus de deux tiers de leurs membres». A ce titre, il faut obligatoirement 13 femmes pour former un gouvernement de 38 ministres.

L’article 9 de la nouvelle constitution est, en somme, le résumé du Titre II de celle de 2010, notamment les articles 5 à 15. Malheureusement, la précision des 2/3 concernant le genre constitue l’une des rares avancées de la constitution 2020 par rapport à celle de 2010. On remarquera également que cette fois-ci, le Secrétaire général aux Affaires religieuses fait l’objet d’un texte séparé de celui du gouvernement. La Guinée étant une république laïque, les religieux ne doivent pas prendre part au conseil des ministres. Ils doivent être gérés ailleurs que dans le giron gouvernemental. Alpha Condé a hérité de la bourde des gouvernements antérieurs, déterminés à happer l’argent des Arabes. Il s’en est accommodé une décennie durant, probablement animé des mêmes intentions. En voulant y apporter une correction, il a commis une bourde encore plus abominable, celle de violer une constitution qui a causé tant de pertes, même en vies humaines.

Par ailleurs, une partie de la presse a noté « le rattrapage » du Président de la République vis-à-vis de la famille de feu Facinet Béavogui, par la nomination de la fille de celui-ci, Hawa Béavogui, au ministère des Droits et de l’Autonomisation des Femmes. Le geste envers la fille de Béavogui à travers « le cadeau de tout un ministère » est certainement un pas vers la bonne direction. Mais l’œuvre de Facinet au sein du RPG ne se récompense pas que par un fauteuil ministériel. La fidélité de Facinet envers Alpha n’était pas à démontrer. Il est de notoriété publique que les analyses pertinentes du député du RPG sur la situation économique de la Guinée du général Lansana Conté étaient l’œuvre de Facinet Béavogui. Sa famille méritait honneur et reconnaissance avant une fonction ministérielle aussi aléatoire offerte avec dix ans de retard.

Du 21 décembre 2010, jour de l’entrée en fonction du Président Alpha Condé au 19 juin, le jour de la signature du décret de nomination de Mme Hawa Béavogui, personne n’a entendu le Président Condé rendre un hommage appuyé à Facinet Béavogui. Or, celui-ci n’était pas seulement présent sur la fameuse route de Pinet, mais il a perdu la vie dans des circonstances mystérieuses qui méritent d’être portée à la connaissance de tous ceux qui ont connu et aimé Facinet Béavogui. Le refus du régime Conté de voir le cercueil de Facinet Beavogui débarquer à l’aéroport de Conakry est un affront qui aurait dû être, non pas vengé, mais lavé une fois Alpha Condé installé à la magistrature suprême de la Guinée. Que nenni !

Le Président Condé n’a pas dû voir la dépouille mortelle de son plus proche collaborateur que l’on débarquait sur le tarmac de l’aéroport de Conakry, puis réembarquait sur le champ pour Dakar, faute de « permission » d’être enterré en Guinée où il avait été député. Si Alpha avait vu la scène, il aurait certainement été un peu plus reconnaissant envers toute la famille de feu Facinet Béavogui, au sens africain du terme. Hélas !

DS