Le 26 juin, l’Assemblée Nationale devait débattre sur le projet de loi portant ratification de la Convention de base pour l’exploitation des gisements de minerai de fer des blocs I et II de Simandou. Le projet a été voté à l’unanimité des députés présents, avec deux abstentions. Le président de l’assemblée monocolore de la 9è législature, Amadou Damaro Camaro n’a pas voulu entendre la seule voix discordante du Député de l’UFD, Mamadou Baadiko Bah. Ainsi vont la Guinée et ses prétendues richesses minières. Lisez, plutôt !
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Honorables députés, chers collègues, chers compatriotes,
Après étude des dossiers relatifs au projet en examen et suite à certains éclaircissements reçus lors de la réunion de la Commission Mines, je voudrais, avec votre permission, donner mon opinion. Tout d’abord, je suis obligé de noter que cette fois-ci, nous avons eu en main, des documents bien élaborés, au moins sur la forme et des interlocuteurs de la tutelle, ouverts et maitrisant bien leur sujet, plutôt que le torchon que le gouvernement nous avait envoyé ici lors de l’examen de la loi sur les fameux emprunts de 230 millions d’Euros.
Ceci dit, mon intervention s’articulera sur deux axes :
– La question de l’opportunité de lancer ce projet
– Les questions sans réponse posées à la suite de l’analyse des documents reçus.
L’opportunité de lancer le projet
Depuis le partage de l’Afrique et sa colonisation par les puissances européennes en 1885 et la néo-colonisation qui a suivi après les indépendances – jusqu’aujourd’hui, l’équation n’a pas changé : l’Afrique n’est qu’un réservoir de matières premières vendues sans transformation et à vil prix, avec la complicité des élites africaines et un déversoir de produits manufacturés de mauvaise, en provenance des puissances qui nous exploitent. C’est ce schéma d’exploitation et d’appauvrissement de l’Afrique dans ses échanges avec le monde industrialisé que l’on appelle pudiquement « l’inégalité des termes de l’échange». Ce débat nous ramène à l’histoire de la Guinée. Nous autres militants anti-impérialistes, sous la conduite de l’actuel Président de la République Alfa Kondé, avons combattu le régime sanguinaire du PDG dirigé par Sékou Touré. Nous continuerons à dénoncer ces crimes qui ont abouti à la décapitation de toute l’élite intellectuelle, de l’administration, des armées et des affaires, ce dont le pays ne se relève pas jusqu’aujourd’hui. Mais, l’honnêteté nous oblige à reconnaitre que le premier président de la Guinée indépendante a eu une politique extrêmement prudente et responsable dans le domaine minier et n’a pas bradé les richesses non renouvelables de notre sous-sol. C’est encore lui qui avait dit : « Les recettes minières sont aléatoires et insignifiantes et ne peuvent pas servir de base au développement d’un pays ». Malgré tout, il avait mis en place le projet CBG à Boké, ce qui a donné naissance aux villes de Sangaredi et de Kamsar, ainsi que le port minéralier. Nous avons eu également les cités de Fria et Débélé et, plus tard, la SAG à Siguiri. L’exploitation de la bauxite dans la région de Boké se faisait dans des conditions acceptables du point de vue de l’environnement.
Aujourd’hui, la catastrophe est là, impossible de le dissimuler : les populations ne peuvent plus mener les activités traditionnelles qui les faisaient vivre : agriculture, élevage, pêche, etc. Résistant jusqu’au bout aux appétits des trusts mondiaux, Sékou Touré disait vouloir conserver nos réserves pour les générations futures, tant que nous n’obtiendrons pas leur transformation sur place, ce qui serait infiniment plus profitable pour notre pays. Aujourd’hui, si nous sommes réunis dans cette salle pour parler de ce projet, c’est justement puisqu’il n’avait pas bradé ces richesses en son temps, malgré toutes les tentations. Je dois vous dire que j’ai été consterné l’autre jour en réunion de la Commission des Mines en entendant un jeune homme crier à la cantonade : « Pourquoi garder ces cailloux-là sans en profiter ? » Ces montagnes sont là depuis des millions d’années que la terre existe. Leur exploitation ne pourra jamais durer plus de 100 ans et encore ! Que diront de nous les générations futures si on dilapide ces richesses ? Souvenons-nous de l’adage lancé en langue nationale Sosso par un vieux père irresponsable qui, en mourant ne voulait rien laisser en héritage à ses enfants : « tina xaa gbe fen » ou demain n’a qu’à chercher sa part ! Nous avons d’innombrables exemples en Afrique sur les méfaits de l’exploitation et l’exportation du minerai brut : RDC avec la GECAMINES ou Union minière du Katanga, la Zambie, la MIFERMA, en Mauritanie et surtout la Lamco au Libéria voisin, et même en Sierra Leone à Port Loko, sans compter la pauvre Haiti, première république noire, indépendante depuis 220 ans et qui, après avoir fini de brader toutes ses richesses minières : or, diamant gaz, pétrole, est aujourd’hui le pays le plus pauvre du monde, administré par les Nations Unies !
S’agissant du projet Simandou, nous savons bien que la mode est de parler même vaguement de la transformation sur place du minerai de fer ou de la bauxite. Mais sans aucun engagement précis. Tout sera conditionné par la conclusion d’hypothétiques études… On nous parle de problème de rentabilité. Mais soyons sérieux : comment des minerais sortant du Simandou au fin fond de la Guinée, traversant les mers sur plus de 11 000 kilomètres, seraient-ils rentables pour l’aciérie chinoise et ne le seraient pas pour une aciérie guinéenne installée à Benty et important elle aussi son énergie ? Entre ces deux producteurs, lequel est la mieux placée pour accéder aux marchés européens et américains ? Pourquoi ne pas installer immédiatement une aciérie et une raffinerie de pétrole à Benty, ce qui serait un formidable coup d’accélérateur pour toute l’économie de la région ouest africaine, selon les prédictions du Professeur Cheikh Anta Diop dans son magistral ouvrage « Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral en Afrique noire » ? La cruelle vérité est que ce projet reste dans la ligne du schéma néo-colonial d’exploitation et de pillage des richesses de l’Afrique. Que représentent quinze milliards de dollars de recettes, seulement potentielles, sur 25 ans à l’échelle historique ? Une poussière ! Les générations futures, j’en suis sûr, ne nous pardonneront pas cette capitulation devant les puissants intérêts derrière ce projet. Ne l’oublions pas, l’Indonésie du Grand Ahmed Soekarno, champion des non-alignés et ami de la Guinée, a quant à elle décidé il y a quelques années d’arrêter immédiatement l’exportation de minerai brut de bauxite. Qu’importe, les vautours ont immédiatement fondu sur la Guinée, proie apparemment facile. Serions-nous moins patriotes, plus corrompus et moins responsables que les Indonésiens? Le général vietnamien Vo Nguyen Giap en personne, vainqueur des troupes coloniales françaises à Dien-Bien-Phu en 1954 et des envahisseurs américains en 1975 et qui devait sa victoire à l’énorme aide reçue de ce qui était à l’époque le Camp socialiste, s’était opposé catégoriquement à l’exploitation de la bauxite dans la presqu’ile de Cau-Mau, au sud du pays par ses amis russes et des chinois, car disait-il, c’était au détriment de l’environnement et de l’avenir de la région.
Questions sans réponse satisfaisante sur le projet.
– Annexes à la Convention, non fournies.
La Convention qui nous a été remise pour étude avant le vote, mentionne une annexe relative à l’identité des actionnaires de la société et une autre annexe relative aux garanties fournies par elle. Sauf erreur de ma part, depuis le 22 juin 2020 que nous avons demandé ces documents, ceux-ci ne nous ont pas encore été communiqués.
– Références en Guinée des sociétés membres du consortium SMB-WINNING
Par chance, les adjudicataires de l’appel d’offres sur l’exploitation du Simandou sont des entreprises déjà présentes en Guinée depuis de nombreuses années et qui devraient donc avoir des références plaidant en leur faveur pour ce méga projet. Ainsi, nous avons demandé que le ministère des Finances nous communique un certain nombre de données chiffrées qu’il possède sur les 3 sociétés du Consortium, juste pour les deux derniers exercices déjà clos 2018 et 2019 : Composition du capital ; chiffre d’affaires hors taxes ; bénéfices déclarés ; tonnage exporté ; investissements réalisés depuis le début de l’exploitation ; nombre de salariés guinéens et étrangers ; plus masse salariale par catégorie et montant versé au titre des impôts retenus sur salaires et cotisations sociales ; redevances minières payées ; impôts et taxes de toute nature acquittés en Guinée ; liste des principaux sous-traitants et montant payé à chacun.
De plus, nous demandions que les quatre principaux sous-traitants de chacun des trois partenaires en Guinée fournissent les mêmes renseignements que ceux listés ci-dessus.
A ce jour, nous n’avons pas encore reçu réponse à ces deux requêtes, ce qui nous amène légitimement à nous poser de graves questions de la transparence de cette convention.
– Versement de la compensation financière
En page 21, paragraphes 2.5 et 2.6.2, il est dit «la compensation financière de 102 millions de dollars des États-Unis pourra être payée à l’Etat à un ou plusieurs comptes bancaires désignés par l’Etat et pourra être affectée par l’Etat à son entière discrétion… ».
Nous continuons à poser la même question : pourquoi ce revenu exceptionnel de l’Etat, dont le régime financier est soumis à l’unicité de caisse, n’est pas versé à un compte du Trésor ouvert à la BCRG ? Au vu de ce qui s’est passé en 2011, avec le fameux versement des 700 millions de dollars par Rio-Tinto, paraît-il à un compte à Zurich, cette curieuse disposition éveille toutes nos inquiétudes, car, comme on le sait, il n’ y a jamais eu de compte rendu détaillé, documenté et crédible sur l’utilisation de ce pactole.
– Interdictions de participation ou prise d’intérêt dans la société – Page 22, 31.1.2.
Au vu de la tragique histoire de l’Afrique et de nos réalités socio-culturelles, nous suggérons que les interdictions faites aux agents de l’Etat soient étendues à leur famille et aux collatéraux.
5. Sous-traitants (Page 27) : Nous avons demandé qu’on tire les leçons du scandale qui se passe actuellement, surtout en Basse-Guinée où les nouvelles sociétés minières et leurs sous-traitants fonctionnent en marge de la légalité en ignorant complètement le Code du Travail et de la Sécurité sociale, ainsi que les droits des travailleurs en général.
6. Hygiène, santé, sécurité, environnement et infrastructures (Page 35)
Le plus grand flou existe sur ces questions. Apparemment, tout est de la responsabilité de l’Etat dont nous savons comment il est totalement défaillant en ce domaine. Nous avons eu Fria, Kamsar, Sangaredi, Débélé, etc. Qu’aurons-nous en Guinée du Sud-Est avec ce projet ? La seule réponse reçue est qu’il y aura des conventions spécifiques là-dessus. Où est l’équivalent de l’ANAIM dans ce projet ?
De doutes sérieux subsistent sur la promesse du chemin de fer trans-guinéen tant attendu, car en l’état, ce n’est qu’une vague promesse. Tantôt il sera long de 679 kilomètres (selon l’exposé des motifs du gouvernement –page 2), tantôt de 650 kilomètres (voir lettre de confort de SMB). Si cet ouvrage voyait le jour, ce serait une véritable révolution économique et sociale pour la Guinée : imaginez, les voyageurs de N’Nzérékoré pouvant atteindre la Basse-Côte en moins de 15 heures, sans compter les produits agricoles d’exportation ou de grande consommation pouvant arriver en Basse-Côte à moindre coût ! Si jamais il se réalise, il nous restera à espérer que dans 60 ou 70 ans, il ne va pas subir le triste sort du chemin de fer Conakry-Niger, long de 660 kilomètres, construits au prix de milliers de morts de travaux forcés au début du XXème siècle et qui a été démantelé et vendu comme ferraille dans les années quatre-vingt-dix par des Guinéens indignes, aux Chinois qui, eux, ne sont pas fous.
Les conventions ferroviaires et portuaires viendront plus tard…
– Indemnisation des populations (Pages 40-41)
Nous ne voyons pas quelles garanties sont données aux populations pour leur éviter comme en Basse-Guinée, la spoliation, les tracasseries et le racket.
– Construction de l’aciérie, à partir de 2036 – (Page 48)
Ce qui devrait être l’objectif principal de ce projet est relégué au rang de réalisation hypothétique, suspendue aux conclusions d’une vague étude de faisabilité. Pour nous, le mieux qui puisse arriver à la Guinée et à la sous-région est que l’exploitation du Simandou soit conditionnée par la transformation de toute la production en acier. Si les pays développés ont besoin d’acier, qu’ils viennent le produire en Guinée.
Merci à tous et à toutes, pour votre attention et votre compréhension.
Mamadou Baadiko Bah
Député à l’Assemblée nationale