Le 20 octobre, l’AVCB, Association des victimes du Camp Boiro, a commémoré en différé le 47ème anniversaire des exécutions d’octobre 1971. Cette année les victimes, celles qui vivent encore, ont choisi d’aller au pied du mont Kakoulima, dans la préfecture de Dubréka. Histoire de donner un peu plus d’impact à la lutte qu’elles mènent depuis tant d’années. Au pied mont Kakoulima, un des trois lieux d’exécutions, se trouvent d’innombrables charniers, selon les victimes.
Des centaines de victimes et de parents de victimes du Camp Boiro, vêtus de rouge pour la plupart, accompagnés de défenseurs des droits de l’homme : FIDH, OGDH, AVIPA, se sont rassemblés au quartier Kindiady, anciennement appelé “Champs des tirs”. Des banderoles aux différents visages des disparus, accrochés sur les murs. Plusieurs activités ont été menées: lecture du saint Coran, prières à l’endroit de ces martyrs, témoignages, entre autres. L’AVCB a surtout demandé réparation, comme chaque année : « Nos réclamations sont sans ambages, nous souhaiterions qu’on nous rende les charniers où reposent ces victimes et que nous portions le deuil de ces morts. Quant un homme est mort, si ses ayant-droit ne se préoccupent pas de lui trouver une sépulture, son âme se promènera dans le quartier pour les maudire. Or, il est établi qu’au moins 50 000 personnes ont été exécutées chez nous, en Guinée. Ces âmes sont en train d’errer, parce que leurs corps n’ont pas été traités convenablement. Notre souci, c’est de récupérer les charniers, de porter le deuil et de libérer notre pays par la même occasion. Ce n’est pas une haine contre quelqu’un, c’est pour l’intérêt national », affirme Abbas Bah, président de l’AVCB.
Sur les lieux, le bâtiment qui servait de lieu d’exécution est transformé en poste de police. L’autre drame, c’est que des bâtiments sont construits sur pratiquement tous les charniers. Abbas Bah ne semble pas surpris. « Le camp Boiro à Conakry même a été détruit, il ne restait que la partie carcérale. Les cellules ont été détruites et là, on nous l’a rendu de façon un peu formelle. Mais, on n’aurait pas dû casser le pont du 8 novembre également ».

Témoignages

Sur le motif de ces différentes exécutions, les avis divergent. Certaines victimes parlent d’une stratégie de Sékou et de ses « féticheurs » pour faire chuter Houphouët-Boigny. D’autres y voyaient une manœuvre « cynique » pour entrer dans les bonnes grâces de ce dernier, en tuant 70 cadres le jour des 70 ans du président ivoirien d’alors. D’autres inscrivent carrément ces assassinats dans la logique des complots « fictifs », mis en place par le régime du PDG. Une façon, disent-il, d’assurer sa survie et de masquer ses échecs. Mais, Bah Mamadou Lamine, survivant du Camp Boiro trouve mystérieuses les relations entre Sékou Touré et Houphouët-Boigny : « J’ai été arrêté en 1981 à Abidjan. On me dit que j’avais déposé une grenade sur Sékou Touré, parce que je m’appelais tout simplement Bah Lamine. C’est dans l’avion personnel du président Houphouët-Boigny qu’on m’a déposé au Camp Boiro. C’est ce qui fait qu’il y a des tas de mystères dans les relations entre ces deux hommes. On ne peut pas me faire voyager dans l’avion personnel de Houphouët-Boigny, sans qu’il y ait une connivence entre eux ». Pour le fils d’une de ces victimes, Sékou Touré et les poids lourds du PDG étaient tout simplement hostiles aux hommes populaires ou brillants : « Mon père était le commandant de la milice de Conakry 2. Il a été accusé d’avoir caché des armes au niveau de l’autoroute, pour essayer de pilonner le stade du 28 septembre, lors d’un des discours de Sékou. C’est une façon d’accuser les gens. Lors de l’attaque du 22 novembre 1970, c’est mon père qui a organisé la défense du camp Boiro. C’est lui qui est allé à la Cité ministérielle, sortir les Ismaël et autres sous les lits. Finalement, il était de trop, il avait beaucoup vu. On l’appelait Fidel Castro, Sékou n’aimait pas les hommes populaires. A un défilé au stade, mon père a été ovationné et Sékou n’était pas à l’aise…»

Le 18 octobre 1971, des ministres, des directeurs, des inspecteurs, des ingénieurs, des magistrats, des policiers de haut rang furent exécutés et les corps enfouis dans des fosses communes. Ils avaient au paravant été détenus et torturés dans les camps Boiro, Kindia et Soundiata Keïta à Kankan. Leurs proches demandent justice depuis 1985. Hélas !