L’impunité pour les violences de 2018 et la montée des tensions politiques sont des sources d’inquiétude, dit l’organisation. Dans un rapport publié, ce mercredi, Human Rights Watch estime que le gouvernement guinéen devrait créer un panel spécial de juges chargé d’enquêter sur le comportement des forces de sécurité et d’autres éléments accusés de s’être livrés à des actes illégaux lors de manifestations en Guinée. « Le manquement du gouvernement à son obligation d’enquêter de manière adéquate sur une douzaine de meurtres présumés de manifestants par les forces de sécurité, ainsi que sur d’autres meurtres commis par les manifestants, en 2018 risque de faciliter la commission, à l’avenir, de nouveaux abus ».
L’ONG rappelle que la Guinée a connu de fréquentes manifestations de rue violentes en 2018, à des causes des élections locales contestées, une longue grève dans l’éducation et un mécontentement à la suite de hausses des prix du carburant. Alors que les tensions montent autour de la question de savoir si le président Alpha Condé a l’intention de chercher à amender la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat à la tête du pays, de nouvelles manifestations de rue sont probables, dit-elle. « Le manquement au devoir d’enquêter de manière adéquate sur les allégations de conduite répréhensible de la part des forces de sécurité et de violences de la part des manifestants risque d’alimenter à l’avenir de nouveaux cycles de violences politiques », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement guinéen devrait prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la traditionnelle impunité qui caractérise ce genre de violations. Les victimes et leurs familles ne méritent pas moins ». Human Rights Watch a mené des entretiens avec 55 personnes en janvier et février 2019 sur le comportement des forces de sécurité lors des manifestations, sur les violences perpétrées par les manifestants et sur la réponse que le système judiciaire y a apportée. Parmi les personnes interrogées figuraient des participants aux manifestations et des témoins, des activistes politiques d’opposition, des responsables des forces de sécurité, des Ong locales, des médecins et des journalistes. Les témoins interrogés et les journalistes qui ont couvert les manifestations ont indiqué que celles-ci avaient souvent été violentes. Un gendarme, Mohamed Chérif Soumah, a été tué par un projectile lancé par un manifestant le 19 février 2018. Le 8 novembre, des manifestants à Wanindara ont poignardé à mort un agent de police, Bakary Camara.
« Les hiérarchies de la police et de la gendarmerie guinéennes affirment que les forces de sécurité ne sont autorisées à utiliser que des armes non létales lors de manifestations, comme les gaz lacrymogènes et les canons à eau. Mais des témoins de huit des douze incidents mortels survenus lors de manifestations en 2018 ont affirmé que les membres des forces de sécurité avaient tiré à l’arme automatique alors qu’ils essayaient de disperser des manifestants ou qu’ils les poursuivaient dans certains quartiers », précise le document. Sauf que Human Rights Watch a également documenté lors de précédentes recherches le fait que des balles perdues tirées en l’air de manière désinvolte par les forces de sécurité avaient tué au moins une personne en 2018 – une jeune mère de six enfants – et en avaient blessé beaucoup d’autres. « Plus de 20 témoins ont également affirmé que des membres des forces de sécurité avaient endommagé des biens et commis des vols alors qu’ils poursuivaient des manifestants. Dans plusieurs cas, des membres des familles de personnes arrêtées lors des manifestations ont affirmé que des policiers et des gendarmes avaient exigé des pots-de-vin pour remettre en liberté leurs proches. Des groupes de manifestants ont aussi fréquemment essayé d’extorquer de l’argent ou de voler des biens aux passants, selon des témoins ».
Le manquement des autorités à leur responsabilité d’enquêter de manière adéquate sur les décès et les autres abus commis lors des manifestations de 2018 reflète une tendance habituelle qui remonte à des années. La condamnation, le 4 février 2019, d’un capitaine de la police pour le meurtre d’un manifestant en 2016 a été la première d’un membre des forces de sécurité pour avoir tué un manifestant par balles depuis 2010. Le rejet complet par les forces de sécurité de toute responsabilité dans les morts survenus lors des manifestations, « la création d’une entité judiciaire spéciale chargée d’enquêter sur les violences commises lors de manifestations est d’une grande importance pour faire la lumière sur les circonstances des décès de manifestants et de membres des forces de sécurité. Pour être efficace, une telle unité judiciaire aurait besoin du soutien d’une équipe dévouée de policiers et de gendarmes, indépendante de la chaîne habituelle de commandement », note le document. « Compte tenu de l’incertitude de l’avenir politique en Guinée, il est très probable que de nouveaux affrontements se produiront entre les forces de sécurité et des manifestants », a affirmé Corinne Dufka. « Dédier un panel spécialisé de juges et d’enquêteurs aux décès survenant lors de manifestations permettrait d’assurer que les manifestants et les membres des forces de sécurité soient amenés à répondre de leurs actes ».