Alpha Condé aura été pourtant averti. Les sages du pays ont prodigué moult conseils. Des religieux ont instamment appelé à la raison. Des initiatives de paix n’ont pas manqué. Des démarches de bons offices ont été entreprises par de nombreuses bonnes volontés. De l’intérieur, une frange importante d’institutions et d’organisations de la société civile, prenant la mesure du danger, a très tôt sonné l’alarme.

De l’extérieur, des appels à la retenue ont fusé de partout. Les partenaires de la CEDAO, l’UA, l’UE, l’OIF, les Nations Unies et des chancelleries occidentales se sont impliqués. Plusieurs autres personnes parmi les amis du Président, et ses anciens avocats ont tenté de lui faire entendre raison, afin qu’il renonce à son projet conflictogène de 3ème mandat. Je me rappelle encore cette phrase d’espoir de la Secrétaire Générale de l’OIF, “J’espère que Alpha Condé ne voudra pas se fâcher avec tout le monde”. Mais que si ! Il s’est entêté, il s’est enfermé dans le déni de la crise, que lui, des faucons dans son camp ont régulièrement qualifiée d’artificielle.
Les nombreux dégâts déjà enregistrés, vies humaines perdues, blessés graves, arrestations arbitraires, jugements sommaires, disparitions forcées, déportations, destructions de biens publics et privés, cris de cœur  des victimes, effritement du tissu social, ralentissement de l’économie nationale; tous ces dégâts n’ont pas suffi à calmer l’ardeur du Fama pour sa funeste ambition de présidence à vie.
Même les risques de contamination à grande échelle au coronavirus n’ont pas calmé ses ardeurs à précipiter le pays dans l’abîme. Il a foncé tête baissée, les yeux rivés sur son 3ème mandat et ce qu’il implique de privilèges indus, contrats miniers, projets énergétiques et pétroliers, juteux marchés publics, j’en passe.

Et vint la date fatidique des élections de malheur. Et voilà les dégâts. Des dégâts qui s’ajoutent aux dégâts. Cette fois-ci, c’est N’Zérékoré qui paye le prix fort. Les morts se comptent par dizaines. On parle d’enterrement nocturne en catimini dans des fosses communes. Les blessés se dénombrent par centaines. Des résidences de paisibles citoyens sont saccagées. Pire, des lieux de culte sont cannibalisés, incendiés. Quelle horreur !
Cette fois encore comme à l’accoutumée, les thuriféraires du pouvoir ont encore actionné l’ethno stratégie, la commande favorite de la gouvernance Alpha. Ils ont surfé sur le vieux sentiment ancré dans la zone, celui de la prééminence de certaines communautés sur d’autres.
Osons crever l’abcès si nous voulons efficacement et durablement soigner le mal qui tire notre pays par le bas.
Il est établi en Guinée Forestiėre que certaines communautés ont vocation à dominer, et d’autres à obéir. C’est une idée reçue, créée et entretenue à dessein, à des fins essentiellement d’exploitation économique par le passé, et de domination politique de nos jours. Ce sentiment a malheureusement prospéré et habite encore de nos jours maints esprits dans les différentes communautés. A défaut d’avoir reçu le traitement approprié, le mal s’est cancérisé, il resurgit à chaque fois que l’occasion se présente.

Cette fois-ci, l’occasion est venue du maudit référendum. Les faucons du camp de la prééminence n’entendent pas que l’ordre établi soit dérangé. Ils veulent imposer leur OUI à tout prix à l’autre camp. Mais les faucons de ce dernier ne l’entendent pas de cette oreille. Ils ne veulent pas se plier au diktat de l’adversaire. L’effet FNDC s’est fait sentir. Voilà le cocktail Molotov servi. Il a explosé et causé les tueries, destructions et sacrilèges que nous connaissons.

En réalité, l’ostracisme que nous dénonçons-là  n’est pas propre au microcosme social forestier. Sur un plan plus général, certains groupes ethniques en Guinée sont victimes d’exclusion. Les communautés forestière et peulh sont les plus concernées par cette malheureuse situation. Des propos caricaturistes et stigmatisants sont couramment tenus à leur endroit. Tels les Forestiers sont dociles. Ils sont bons sous ordre. Les Peulhs sont dangereux, ils ne doivent pas accéder à la magistrature suprême du pays. Cet état d’esprit est le passif principal de l’histoire sociopolitique de notre pays, qui inhibe les approches de réconciliation entreprises et plombe son développement.
A l’analyse, toutes les communautés concernées  sont victimes. Victimes des  gouvernances successives, laxistes et permissives que notre pays a toujours connues. L’inconscience et l’irresponsabilité de nos dirigeants ont littéralement empêché la mise en place de mécanismes de traitement de nos contentieux. Ce qui aurait permis d’éclater la vérité, rendre justice aux victimes, réparer les torts commis et qualifier nos institutions de gouvernance; passage obligé de la libération mentale et la promotion citoyenne des communautés, pour la réconciliation et le développement.
Un espoir a été donné aux populations en 2011 avec la création de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation Nationale (CPRN). Cet espoir a malheureusement fait long feu après un travail pourtant très sérieux et gigantesque de documentation des besoins et conditions de réconciliation nationale dans le pays. Un rapport d’une rare valeur, de l’avis même des agences du Système des Nations Unies partenaires de la Commission, a été produit sur la base d’une consultation nationale qui a touché des milliers de Guinéens de l’intérieur comme de la diaspora. Ce rapport a été solennellement remis à l’Autorité depuis juin 2016.
Un avant-projet de loi de création d’une commission Vérité-Justice-Réconciliation a été également élaboré conformément aux vœux recueillis de la consultation et les recommandations formulées par la CPRN. Cette démarche n’a pas  prospéré malgré l’engagement maintes fois réaffirmé de la Communauté Internationale à en assurer  le financement.
J’ai eu le privilège d’appartenir à cette Commission en tant que conseiller de ses coprésidents, le Grand Imam de la Mosquée Fayçal et l’Archevêque de Conakry. A ce titre, je suis indigné et je dénonce le sort réservé à cet excellent travail. Une société dont les membres ne sont pas libres des pesanteurs partisanes, ethniques, régionalistes et religieuses n’est pas prête pour son développement. Que Dieu sauve la Guinée. !

El Hadj Sény Facinet Sylla
Ex Secrétaire Général Adjoint
des Affaires Religieuses.