«J’ai un champ de deux hectares de pomme de terre, j’utilise entre 25 à 30 sacs d’engrais, mais je ne reçois au maximum que 5 sacs d’engrais du gouvernement. Le reste je m’approvisionne sur le marché, ce qui revient très cher à nous les producteurs, augmente drastiquement nos dépenses» s’est plaint Mamadou Aliou Diallo, agriculteur à Timbi-Madina.
Or, avec l’avènement du Président Alpha Condé au pouvoir, on a connu une nette augmentation de la fourniture d’engrais au profit des producteurs. Déjà en 2011, le gouvernement a importé 15000 tonnes d’engrais. L’année suivante cette quantité a atteint 25000 tonnes, ensuite 30000 tonnes et pendant la campagne agricole 2017/2018, 100 000 tonnes tout de tous types d’engrais confondus. Le régime précédent importait que entre 2000 et 5000 tonnes d’engrais, selon Mohamed Lamine Touré, directeur national de l’agriculture. La sous-préfecture de Timbi-Madina produit 70% de pomme de terre sur les 35000 tonnes produites dans la région selon la fédération des paysans du Fouta-Djalon. Mais les paysans de cette contrée disent ne pas recevoir suffisamment d’engrais du gouvernement, avec une dotation de 2147 tonnes en 2018 dont 1093 tonnes d’engrais maraichers, utilisés pour la culture de pomme de terre. Est-ce que l’engrais est distribué à la satisfaction des paysans?

Comment l’engrais est acquis ?

Mohamed Lamine Touré, directeur national de l’agriculture, a indiqué que pour acheter l’engrais, le ministère de l’agriculture, détermine la quantité d’engrais en fonction des besoins remontés par les producteurs. Ensuite, la commande est effectuée: «Depuis que nous sommes ici, nous achetons l’engrais sur appel d’offre international. Ce n’est pas du gré à gré. Un sac d’engrais est payé à 300 000 francs guinéens mais par la volonté du Président de la République, le gouvernement a décidé de subventionner à hauteur de 165 000 fg soit plus de 50% du coût d’achat. Ainsi le producteur ne débourse que 135 000 fg pour acquérir un sac d’engrais. Quand l’engrais arrive, nous le mettons à la disposition de la chambre nationale d’agriculture, pour éviter l’administration parce que si c’est elle qui gère, nous pouvons en profiter pour chercher «à manger». Un producteur ne trompe pas un producteur. C’est la chambre nationale d’agriculture qui s’occupe de la distribution dans les préfectures et sous-préfectures», a insisté le directeur national de l’agriculture. Avant de préciser que le rôle des services techniques de la direction nationale est de veiller à la distribution équitable et transparente.

L’impact de l’engrais sur la production

L’utilisation de l’engrais dans l’agriculture en général est positive puisqu’elle permet d’améliorer les rendements des cultures, selon Sanoussi Bah, directeur de l’IRAG (Institut de Recherche Agronomique de Guinée) basé dans la région du Fouta, «Quand on utilise l’engrais minéral dans les plaines du Fouta, dans les proportions indiquées soit 800 kg à l’hectare, on peut récolter jusqu’à 40 tonnes de pomme de terre à l’hectare, alors que ceux qui n’utilisent pas correctement l’engrais minéral, récoltent en moyenne 15 tonnes de pomme de terre à l’hectare. Mais quand on n’utilise pas du tout d’engrais on est aux alentours de 4 tonnes à l’hectare». Mais pour qu’il y ait un bon rendement, l’engrais doit être utilisé efficacement avec la dose qu’il faut et la période qu’il faut, a indiqué le directeur de l’IRAG. «Maintenant si on abuse de l’utilisation de l’engrais, il y a des conséquences néfastes tant sur le consommateur que sur la propriété du sol et la qualité du produit cultivé», a indiqué Sanoussi Bah. Concernant la qualité de l’engrais, il dit que l’IRAG n’a pas de laboratoire bien équipé pour constater la toxicologie, ou l’effet de la mauvaise utilisation des engrais sur les cultures. Mais précise-t-il, les fabricants recommandent généralement des doses précises d’engrais à utiliser. «Très souvent, ceux qui bénéficient de ces engrais ne se référent pas à ces recommandations. Soit ils diminuent, soit ils augmentent la quantité». D’où le rôle de l’institut qui se charge d’analyser le sol pour connaitre sa teneur en élément nutritif pour équilibrer et indiquer une quantité d’engrais qui est conforme à l’exigence de la culture.
La production de la pomme de terre ces 5 dernières années est en moyenne de 19,34 tonnes à l’hectare. Au terme de la saison 2014-2015, il y a eu 19,29 tonnes de pomme de terre produites à l’hectare contre 18,94 tonnes la saison 2015-2016, tandis qu’à la saison 2016-2017 il y a eu une production de 19,24 tonnes, puis une légère hausse à la saison 2017-2018 qui est de 19,68 tonnes et 20,25 tonnes à la saison 2018-2019, selon une statistique fournie par la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon. Goudoussi Diallo, membre de cette fédération précise que ces chiffres ne sont qu’une moyenne, puisque le rendement peut aller jusqu’à 40 tonnes même si c’est rare. Selon lui, plusieurs facteurs sont à l’origine de la variation du rendement. «Il y a la fiente qui est devenue mauvaise à cause de sa commercialisation à outrance. Aussi la préparation du sol est mal faite, cela peut jouer sur la production, sans parler de la période de plantation de la pomme de terre. Celui qui plante la pomme de terre au mois de janvier n’a pas un même rendement que celui qui a planté au mois de novembre parce que la pomme de terre donne beaucoup plus en période de froid. Les planteurs sont également confrontés à un manque d’eau surtout en cette de changement climatique. Si l’eau manque, cela peut jouer sur le rendement», a indiqué Goudoussi Diallo.

 

Production de pommes de terre à l’hectare

Année

2015

2016

2017

2018

2019

Production en tonnes

19,29

18,94

19,24

19,68

20,25

Source : Fédération des Paysans du Fouta Djallon


De la plainte des paysans

Mamadou Gobico Diallo, agriculteur et technicien chargé  de l’UGTM (Union de groupement de production de pomme de terre de Timbi-Madina) a indiqué que l’union forme 10 groupements et est composée de  20 à 60 personnes. Pour la campagne agricole 2017- 2018, cette union a utilisé 68, 45 tonnes d’engrais pour une valeur de 431millions 630 mille francs guinéens. Sur cette quantité elle n’a bénéficié que de 9,50 tonnes d’engrais fournies par le gouvernement. Le reste, 58, 95 tonnes d’engrais, les paysans ont  acheté au marché où un sac d’engrais coûte 340 000 fg  alors que  celui du gouvernement se négocie entre 135 000 fg et 170 000 fg. En plus de l’engrais chimique, les paysans utilisent également l’engrais organique composé des feuilles, de la fiente et du compost. Là aussi,  les paysans dépensent beaucoup d’argent car un sac de fiente coûte 40 000 fg, le sac de feuilles se négocie à 13 000 fg et le compost à 30 000 fg. 

Mamadou Lamine Diallo, agriculteur affirme avoir de la peine pour se procurer de l’engrais du gouvernement. Pourtant, l’engrais du gouvernement est moins cher. «Si nous utilisons l’engrais nous pouvons bien nous en sortir. Mais si nous l’achetons au marché, ça devient compliqué en fin de compte». Amadou Diallo, détenteur de 4 parcelles de terre cultivable utilise environs 12 à 15 sacs d’engrais mais n’obtient que 3 sacs d’engrais du gouvernement. Même si, selon lui, la qualité de l’engrais vendu au marché est meilleure à celle du gouvernement, ce producteur préfère l’engrais que l’Etat envoie, parce que c’est moins cher : «Une parcelle peut donner jusqu’à 40 sacs de pomme de terre. Si les dépenses sont minimisées, je peux vendre et avoir beaucoup plus de bénéfices». El Hadj Ibrahima Diallo, producteur, a affirmé qu’en plus de la pomme de terre, il cultive, le riz, le maïs et fait du maraichage. D’où le besoin supplémentaire d’engrais pour fructifier les rendements. 

Détournement de l’engrais?

La distribution de l’engrais suscite de nombreuses plaintes dans le monde agricole.  Dans la localité de Timbi-Madina, les paysans accusent les responsables de mal distribuer l’engrais parce que selon eux, le gouvernement envoie suffisamment d’engrais pour les paysans. La distribution de l’engrais se ferait comme suit : Certains directeurs d’écoles des personnes influentes, et autres notabilités ont chacun sa part. D’ailleurs, un paysan a indiqué que l’engrais du gouvernement se retrouve sur le marché. «Des commerçants achètent l’engrais à des responsables et nous le revendent à 280 000fg, donc plus du double du prix normal qui est  de 135000fg». Il souhaite d’ailleurs qu’on leur livre directement l’engrais pour éviter le détournement. Et Amadou, un autre agriculteur  de renchérir:  «Nous demandons au gouvernement de veiller à la distribution de l’engrais, parce que si l’engrais vient à Pita, les commerçants viennent acheter une grande quantité. Ils attendent la rupture pour le vendre cher. Normalement, le gouvernement devait envoyer l’engrais au niveau de la fédération des paysans du Fouta-Djalon, si l’on veut que l’engrais parvienne directement aux paysans ».

Mamadou Soumah, directeur préfectoral de l’agriculture de Pita dit que sa direction ne gère pas directement la distribution de l’engrais mais supervise et s’assure que l’engrais est arrivé à destination. . Par rapport à la déclaration selon laquelle l’engrais se retrouverait sur le marché, le directeur préfectoral se montre prudent. «C’est possible que cela soit. Mais chez nous à Pita, nous octroyons à chaque producteur la quantité qu’il peut consommer». Selon lui, c’est la chambre préfectorale de l’agriculture qui reçoit les demandes en engrais des paysans et qui les satisfait.  Mohamed Lamine Touré, directeur national de l’agriculture ne nie pas qu’il y ait détournement ou autres spéculations dans la distribution de l’engrais avant d’abonder dans le même sens que   Mamadou Soumah: «Nous ne touchons pas à l’argent. C’est la chambre nationale d’agriculture qui gère  et qui rend compte au gouvernement. Mais vous savez dans un pays comme le nôtre, il y a des  personnes qui viennent vous montrer leurs champs de  5 hectares par exemple. 

Vous évaluez la quantité d’engrais qui correspond à leurs demandes. A cause de certaines réalités que nous ne pouvons pas expliquer, ils peuvent vendre à une autre personne. Cela suppose  aussi des cas de trafics, mais nous prenons des dispositions pour les traquer parce que sur les emballages, il y a la marque du gouvernement: campagne agricole 2019/2020 par exemple ». Nos démarches entreprises depuis le 16 janvier 2020 pour rencontrer le  président de la chambre nationale de l’agriculture Mamadou Bobo Diallo et en savoir plus sur la distribution d’engrais sont restées vaines. Néanmoins, nous avions rencontré un cadre de la chambre nationale qui  a également rétorqué que c’est le ministère de l’agriculture notamment la direction nationale de l’agriculture qui gère la distribution de l’engrais.  «Notre rôle c’est de suivre le processus de distribution d’engrais et remonter les informations ». Finalement, qui distribue l’engrais? Quand on sait qu’il y a assez de plaintes et de vol signalé dans la distribution d’engrais. 

Autres difficultés !

Les paysans de Timbi-Madina sont confrontés à de nombreuses difficultés liées non seulement à l’obtention d’engrais, mais aussi à d’autres intrants comme la semence et aussi la pratique de la culture parce que les agriculteurs cultivent encore avec les instruments rudimentaires. Mamadou Aliou Diallo agriculteur, produit 2 hectares de pomme de terre chaque année ; il utilise au total 25 à 30 sacs d’engrais dont 5 sacs d’engrais fournis par l’Etat, pour un rendement de plus de 200 sacs de pomme de terre. «Le défrichement du champ me coûte 500 mille fg à l’hectare, creusement 850 mille fg à l’hectare”. Les difficultés  sont également liées aux caprices de dame nature avec une pluviométrie variable. «Nous achetons un sac de fiente à 13000fg, les sacs de compost et les feuilles aussi à 14000fg le sac».  

Le manque à gagner

L’insuffisance d’engrais à un bon prix entraine des couts supplémentaires aux agriculteurs qui peinent à vivre  de leur culture. Même s’il reconnait que depuis 2011, la distribution d’engrais a amélioré, la production de pomme terre à Timbi-Madina, Mamadou Dian Dieng, spécialiste en agriculture explique que la faible quantité d’engrais à moindre coût impacte négativement le rendement des agriculteurs, elle entraine aussi la hausse du prix de la pomme de terre. 

D’ailleurs, Mamadou Dian a indiqué que l’année 2019, l’Etat n’a pas envoyé d’engrais, ce qui serait grave puisque les paysans seront obligés de se tourner vers le marché pour acheter l’engrais. Le seul avantage, c’est qu’avec la fédération des paysans du Fouta-Djalon qui est la cheville ouvrière des mouvements des agriculteurs de la localité, ils pourront avoir de l’engrais et d’autres intrants agricoles à crédit même si c’est cher.  

Goudoussi Diallo, expert en agriculture, explique: «Vous ne pouvez pas estimer avoir un maximum de rendement, si toutefois vous n’utilisez pas d’engrais minéraux. Les gens qui cultivent les vastes surfaces ne peuvent pas utiliser l’engrais organique parce qu’il est difficile d’avoir une tonne de compost pour l’utiliser à l’hectare. Il faut recourir à la fiente, que vous ne pouvez pas utiliser sur un vaste terrain quelle que soit sa quantité. Du fait que  ce type d’engrais n’est pas de bonne qualité, l’on utilise l’engrais minéral.» Or selon l’expert agricole, l’engrais minéral non subventionné, réduit le bénéfice du producteur. «Si tu mets 800 kg d’engrais à l’hectare, alors qu’on achète un sac de 50 kg  à 340 000 francs guinéens sur le marché noir contre 135 000 fg  , il est indéniable que cette différence  augmente les charges de production de l’agriculteur ce qui va crever son bénéfice». 

Ce travail a été réalisé à la suite d’une subvention octroyée par le programme Dialogue politique en Afrique de l’Ouest de la fondation Konrad Adenauer Stiftung dans le cadre de la mise en œuvre du projet de formation et d’appui aux journalistes pour la couverture des questions économiques.

Mamadou Adama Diallo