Le Covid-19 déclaré pandémie le 11 mars dernier par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), s’est propagé à l’ensemble de la planète où il a servi de prétexte à de nombreux gouvernements pour mettre entre parenthèses des garanties constitutionnelles. A l’heure où une relative accalmie semble envisageable, une nouvelle urgence s’impose : ces mesures d’exception doivent être levées..
Confrontés à la menace d’une épidémie exceptionnelle, de nombreux Etats s’en sont pris massivement à ceux dont le métier est d’informer. Aiguillonnée par l’urgence, la contamination liberticide s’est traduite par l’adoption d’un impressionnant arsenal de lois, de règlements et de dispositions d’exception. Les atteintes à la liberté de la presse et les réglementations d’exception se sont multipliées sur les cinq continents. Elles vont des simples entraves à des peines de prison ferme, en passant par toutes sortes de procédures restrictives.
“La crise sanitaire du coronavirus amplifie toutes les crises et affecte particulièrement le journalisme et le droit à l’information, constate Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Pour pousser la répression encore plus loin, les pires régimes ont employé toute la panoplie des moyens à leur disposition et, quand ils s’avéraient insuffisants, prétextant l’état d’urgence ou d’exception, s’en sont donnés de nouveaux. Aujourd’hui il est urgent de mettre un terme à ces mesures d’exception et de déconfiner l’information !”
Plusieurs pays ont eu un recours presque immédiat à des mesures d’exception relatives à la liberté d’expression, comme au Honduras, ou limitant à l’accès à l’information -cela a été le cas au Brésil, ou encore à sa diffusion. Certaines ont depuis été suspendues, ou sont sur le point de l’être comme en Hongrie, où le Premier ministre Viktor Orbán, a fait voter une loi d’urgence dite « coronavirus » -qui est censée être abrogée autour du 20 juin – qui lui permettait de légiférer par ordonnances pour une durée indéterminée et punissait de cinq ans d’emprisonnement la diffusion de fausses informations.
Au Salvador, en Thaïlande ou en Arménie, des restrictions à la liberté de circulation des journalistes par la proclamation d’état d’urgence, la mise en place de couvre-feu ou de dispositifs de traçage ont suscité de vives inquiétudes, avant d’être finalement levés. Dans le même temps, certains Etats en ont profité pour instaurer des numerus clausus limitant l’accès aux conférences de presse, comme par exemple en Namibie. Ailleurs encore, c’est l’accès aux sources d’information qui s’est trouvé strictement encadré. Au Bangladesh, l’université de médecine Bangabandhu Sheikh Mujib, la seule du pays, a publié le 2 mai une circulaire interdisant aux enseignants, médecins, fonctionnaires et employés de s’exprimer dans les médias sur toute question liée aux soins de santé sans autorisation préalable. La circulaire précise que ceux-ci ne doivent pas ternir l’image du gouvernement et des universitaires. En Grèce, en application d’une décision du ministère de la Santé publiée le 13 avril, les personnels des hôpitaux se sont vus interdire toute déclaration aux médias : les reportages des journalistes grecs dans les hôpitaux étant par ailleurs soumis à autorisation gouvernementale préalable.
Les médias de service public ont souvent subi d’intenses pressions étatiques. Au Japon, une loi adoptée en urgence (et levée le 25 mai) a inscrit la NHK, le service public de radio-télévision, sur une liste des institutions auxquelles le gouvernement est habilité à donner des « instructions ». En Ukraine, cette pression sur l’information de service public a pris un tour plus sournois avec un tour de vis budgétaire privant la chaîne de télévision publique PBC d’un quart de son budget.
Mais la plupart du temps c’est, au nom de l’état d’urgence, un dispositif législatif permettant une censure pure et simple des informations dérangeantes ou alarmantes qui s’est mis en place. Au Cambodge, le gouvernement s’est donné les moyens légaux d’interdire la publication de « toute information qui pourrait générer de l’agitation, de la peur ou des troubles ». Au Vanuatu, toute information relative au Covid-19 doit obtenir validation préalable de l’administration avant diffusion.
La tentation gouvernementale la plus généralement partagée a d’ailleurs été, à des degrés divers et en vertu de moyens répressifs variables selon la culture démocratique et l’état de droit de chacun des pays, d’imposer l’information officielle comme la seule source d’information crédible voire autorisée. En Inde, en Égypte, au Botswana, ou en Somalie par exemple, seule la publication des communiqués gouvernementaux sur le sujet est autorisée. En Eswatini, “l’utilisation des supports imprimés ou électroniques” pour obtenir des informations sur le Covid-19 est interdit “sans l’autorisation préalable du ministre de la Santé”.
En parallèle de ces mesures liberticides, la panoplie des sanctions s’est largement enrichie : l’arsenal répressif s’est très souvent spectaculairement renforcé aussi bien contre les journalistes individuellement que contre leurs organismes d’information. Interdiction de diffusion et saisie (Kirghizistan), amendes lourdes (jusqu’à 25 000€ en Russie) et peines de prison dissuasives (jusqu’à 6 mois en Afrique du Sud, un an et demi en Indonésie, cinq ans au Botswana ou en Algérie et jusqu’à 20 ans au Zimbabwe). Au Liberia, la justice menace de fermeture et de saisie tout organe de presse qui diffuserait ce qu’elle estime être une fausse information. En Roumanie, la cellule de crise gouvernementale est passée à l’acte, en fermant d’autorité 12 sites d’information. Idem en Birmanie avec 221 fermetures en particulier de sites s’adressant aux minorités ethniques du pays.
Au-delà de cette avalanche d’entraves et de sanctions, l’un des phénomènes les plus préoccupants de la crise de Covid-19 est sans doute l’usage pernicieux que font les Etats répressifs de la notion de « fake news » et de désinformation.
En Éthiopie, la définition de la désinformation est si large qu’elle donne aux autorités le pouvoir discrétionnaire de déclarer « fausse » n’importe quelle information. Idem en Bolivie, 37 « acteurs politiques » viennent ainsi d’être condamnés en procédure d’urgence pour « désinformation » et « déstabilisation ».
En Russie “la désinformation” et les “dommages” qu’elle provoque sont des notions qui dépendent uniquement de l’interprétation des juges. Le 21 avril, la Cour suprême a étendu l’application de cet article aux réseaux sociaux et, même, aux simples conversations. En Égypte, le Conseil suprême de régulation des médias va jusqu’à inviter les simples citoyens à signaler par téléphone les “fausses nouvelles” publiées sur le Covid-19. La mise en œuvre de ces législations d’exception révèle souvent une acception très extensive de la notion de fausse information. Elles servent tout aussi bien à dissuader la critique et à museler toute opposition.
Reporters Sans Frontières