Ecrite ou coutumière, la constitution, source du droit, est l’épicentre du système normatif. Ecrite, elle doit faire figure d’un modèle parfait d’écriture recherchée, travaillée, rigoureuse, uniforme et raffinée.

Le texte promulgué par décret D/2020/073/PRG/SGG, tel que publié au Journal officiel du 14 avril 2020, manque de légitimité en ce qu’il est le produit d’une torture insoutenable infligée au projet de constitution adopté, sur la base d’un fichier électoral corrompu, sur fond d’abstentions, par le peuple de Guinée le 22 mars 2020. En effet, postérieurement à cette date, ce projet de constitution, désormais enveloppé de l’onction populaire fut, pour des fins inavouées, revisité gauchi, travesti et, au final, adultéré. Les îlots de commentaires pertinents – dont ceux émanant de Maître Pépé Antoine Lamah, le lanceur d’alerte, et du Barreau de Guinée – sur ce sujet, à l’effet d’éclairer la lanterne de l’opinion nationale et internationale, sont édifiants. Le texte promulgué par décret D/2020/073/PRG/SGG est loin d’en être un fac-similé. Vu le principe du parallélisme des formes, pour être en règle, les procédures suivies, lorsqu’elles sont légales, pour l’adoption ou l’abrogation d’un acte sont celles qui s’imposent à toute modification à y apporter ou pour y mettre fin.

Etant constitutionnellement acquis que le français est la langue officielle, par déférence aux dispositions de l’article premier, paragraphe 3 du texte promulgué le 6 avril 2020, aucune de ses poches ne doit être irrévérencieuse au regard des règles sur lesquelles repose cette langue, notamment en fait de grammaire. En effet, dans tout discours normatif, chaque mot compte et doit être à sa place. Chaque signe de ponctuation compte et doit être au bon endroit. Et donc, les expressions qu’il renferme doivent être en conformité avec la lexicologie de la langue française.

Il est donc de règle que les actes législatifs et les actes règlementaires soient rédigés, imprimés et publiés en français. Cette règle n’a pas pour objet de tenir les citoyens guinéens à s’exprimer en français, langue des institutions étatiques en leur sein, dans leur commerce avec les personnes vivant sur le territoire national, dans leurs relations avec le secteur privé et la société internationale. La version française des actes émanant de ceux-ci est celle qui prévaut.

Pour éviter qu’elles ne tombent en désuétude ou qu’elles s’évaporent, conformément aux lignes de sa politique linguistique, l’Etat a l’obligation de prendre en charge la promotion des langues nationales lesquelles constituent un trésor précieux à sauvegarder.

L’exercice auquel se sont livrés les fraudeurs, à son terme, a donné la vie à un texte innommé promulgué le 6 avril 2020 dans une version autre que celle adoptée par voie référendaire le 22 mars 2020. Il n’y a guère de doute à s’y faire. Par malheur, cette mouture est émaillée de fautes de grammaire. Un amas de manquements aux règles relatives à l’utilisation des signes de ponctuation et des majuscules ? Il l’est. Bien plus, il renferme des expressions fautives. S’agit-il de fautes de frappe ? Voire ! Sur la ligne, des fautes, il y en a, notamment à l’intérieur du préambule. Errare humanum est, perseverare diabolicum !

1.- Une grappe de fautes d’orthographe

Le préambule du texte promulgué le 6 avril 2020, tel que publié au Journal officiel du 14 avril 2020, s’ouvre par le membre de phrase suivant : « Nous, peuple de Guinée, » suivi de verbes au participe passé placés au début ou au sein de différents paragraphes (Attachés aux valeurs sociales…, déterminés à ancrer…Profondément attachés à la légalité constitutionnelle…Persuadés que la Nation a le devoir de protéger…Déterminés à promouvoir le développement économique et social…) ou à la première personne du pluriel (Proclamons notre attachement aux droits fondamentaux de la personne humaine… Affirmons solennellement notre opposition fondamentale à toute forme anticonstitutionnelle de prise de pouvoir … Réaffirmons : … Approuvons solennellement la présente constitution…) et d’un adjectif qualificatif au pluriel (Conscients de notre rôle pionnier dans l’accession…)

Nous est un pronom personnel du pluriel, et le verbe qui suit se met à la première personne du pluriel (Proclamons notre attachement aux droits fondamentaux de la personne humaine…Affirmons solennellement notre opposition fondamentale à toute forme anticonstitutionnelle de prise de pouvoir…Réaffirmons :…Approuvons solennellement la présente constitution… »). Par contre, « Nous », premier terme employé en introduction au préambule du texte promulgué le 6 avril 2020, tel que publié au Journal officiel du 14 avril 2020, est un pronom personnel de modestie ou de majesté – c’est selon – utilisé à la place de « je » de la première personne du singulier. En l’espèce, il s’agit d’un pluriel de majesté. A ce titre, il est de règle que le participe ou l’adjectif soit mis au masculin ou au féminin singulier.

De cette farine, lorsque le « Nous » parle, c’est Sa Majesté le « peuple de Guinée » qui s’exprime ! Et donc, doit-on écrire :

« Nous, peuple de Guinée ;
Attaché (participe sans s) aux valeurs sociales… ;
Conscient (adjectif sans s) de notre rôle pionnier dans l’accession à l’indépendance (et à la souveraineté internationale)… ;
Profondément attaché (sans s) à la légalité constitutionnelle et aux institutions démocratiques… ;
Persuadé (sans s) que la nation (plutôt l’Etat) a le devoir de protéger et de promouvoir toutes les catégories de personnes, notamment les plus vulnérables ;
Déterminé (sans s) à promouvoir le développement économique et social… : ».

Par ailleurs, au sixième paragraphe du préambule, figurent des initiales formant le mot « CEDEAO » répété à l’article 32 du texte. Le recours aux initiales est permis. Lorsqu’elles sont répétées dans un même texte, dès la première fois qu’elles sont employées, les termes qu’elles suppléent, doivent être précisés. La CEDEAO connue de la plupart des Guinéens scolarisés comme étant l’acronyme de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, ne l’est certainement pas relativement aux Malgaches ou aux Comoriens. Or, la Constitution est la voix du peuple ; une voix qui se veut audible, claire et intelligible. C’est la raison pour laquelle, dès le premier emploi d’un acronyme, le terme sous chaque lettre doit être entièrement exhumé et transcrit. Ainsi donc, écrira-t-on au sixième paragraphe (dixième ligne) du préambule :

Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (ci-après « la CEDEAO »).

2.- De l’usage inapproprié de la ponctuation

La phrase introductive du texte promulgué le 6 avril 2020 est ainsi libellée : «  Le Peuple de Guinée (non suivi de ponctuation) Après s’être exprimé par Référendum le 22 mars 2020, adopte la Constitution dont la teneur suit : » 

Dans sa formulation actuelle, cette introduction, suivie du préambule, se termine par un double point. Mise en lien avec l’article premier à la fin duquel un autre double point est mis, au bout du bout, ce sont deux doubles points qui se suivent. Or, en grammaire comme dans un discours normatif, le placement d’un double point après un autre ou l’usage de plusieurs doubles points est proscrit, en ce qu’il désarticule le texte.

En effet, le préambule du texte promulgué le 6 avril 2020 est ouvertement une déclaration liminaire dressant une liste de vœux, de proclamations et d’engagements de la part du peuple envers lui-même. Il ne semble pas revêtu d’un caractère normatif. Le dispositif, c’est-à-dire l’ensemble des règles juridiquement obligatoires, commence par l’article premier de cette constitution. Une lecture attentive et analytique du contenu du préambule conduit à cette conclusion.

Par ailleurs, en un autre endroit, le même préambule, s’ouvre par: « Nous, peuple de Guinée, ». La virgule servie après « peuple de Guinée » qui ne devait pas être mise à cet endroit. Celle-ci, logiquement, est posée à la place d’un point-virgule. 

En outre, il sied de rappeler que les dispositions de la constitution, de la loi ou du règlement sont classées par lots, les uns par rapport aux autres, sans rupture des liens entre eux. Chaque lot est décelé grâce à une enseigne dénommée « article » à laquelle il est attribué un numéro écrit en chiffres arabes. Les articles se suivent, sans interruption, en ordre croissant constituant ainsi le corps intégral du texte.

L’article, tel un panonceau en forme de flèche, indique l’emplacement, de manière distincte, des dispositions du texte. De ce fait, il sert de repère gradué consistant dans le classement numérique, par rubriques, des normes édictées, à faciliter les renvois et à localiser les références.

Intégré au texte, l’article n’exprime pas la volonté de l’auteur du texte. N’ayant, en soi, aucune valeur juridique, il est suivi d’un point placé après le numéro qui lui est affecté par le scripteur. C’est la raison pour laquelle la norme ou la clause introductive de celle-ci ou d’une convention commence par une majuscule. Cependant, au point, suit immédiatement un tiret.

Le tiret a pour rôle, dans un souci d’expressivité et de limpidité, de détacher les dispositions du texte, de marquer les enchaînements, de les indexer et de servir d’entrée et d’annoncer ce qui qui suit. Il s’agit du tiret sous 6 suivant l’agencement des touches du clavier en mode AZERTY.

Dans cette veine, la première lettre du mot qui suit le tiret s’écrit avec une majuscule. Or donc, à titre d‘exemple, plutôt que :

Article 1er : La Guinée est un République indépendante, souveraine, unique, laïque indivisible, démocratique et sociale.

Ecrire :

Article premier.- La Guinée est un République indépendante, souveraine, unique, laïque indivisible, démocratique et sociale.

Aussi, faut-il noter que l’adjectif numéral ordinal premier s’écrit en entier (« Article premier » au lieu de « Article 1er »)

A l’instar d’un dialogue, les dispositions des actes législatifs et règlementaires, présentées sous la forme d’une liste, parlent, informent de ce qui est décidé dans un texte normatif unilatéral ou convenu par contrat. Les deux points, ou double point, n’ont de place réservée qu’après la phrase introductive d’une constitution ou d’une loi, ou après le verbe central en ce qui concerne les ordonnances, les décrets, les arrêtés et les décisions. En revanche, la mention de l’autorité qui décide est suivie d’une virgule.

Les numéros attribués aux articles que comporte le projet de constitution, tel que publié et approuvé par le peuple de Guinée, le 22 mars 2020, sont, tout droit suivi d’un point, non accompagné de tiret. Cette façon de procéder n’a pas été reconduite dans le texte promulgué le 6 avril 2020. Dans ce cas, l’énoncé de la norme prévue est placé juste après le point suivant le numéro attribué à l’article, mais à la première ligne se trouvant au-dessous. Dans ce cas seulement, le mot introductif de l’énoncé peut commencer par une majuscule. Ainsi, plutôt que :

Article premier. La Guinée est une République indépendante, souveraine, unitaire, laïque, indivisible, démocratique et sociale.

Ecrire :

Article premier.

La Guinée est une République indépendante, souveraine, unitaire laïque, indivisible, démocratique et sociale.

Par ailleurs, le texte promulgué le 6 avril 2020 dans sa mouture publiée au Journal officiel du 14 avril 2020, est décomposé en titres. Le numéro qui suit la note « Titre » doit être suivi d’un point qui précède l’intitulé dès lors que ce dernier est placé à la ligne sous la mention du titre concerné. Dans ce texte, il n’en est rien.

3.- De l’usage intempestif de la majuscule

En Guinée, de coutume et par conviction, les rédacteurs des lois – y compris les constitutionnelles adoptées depuis 1958 – et des règlements placent une majuscule juste après le double point suivant le numéro affecté aux articles. Or, en grammaire française, le premier mot d’une phrase ne peut être en majuscule après un double point, sauf lorsque les deux points annoncent une citation auquel cas le mot ou la phrase citée est placé entre guillemets et la première lettre de l’un ou de l’autre devant être en majuscule.

Les rédacteurs du texte promulgué le 8 avril 2020, tel que publié au Journal officiel du 14 avril 2020, ont, avec obstination, multiplié les majuscules, notamment pour ce qui a trait aux termes sous lesquels les « Institutions constitutionnelles » sont désignées (article 4). Avaient-ils à l’esprit qu’une telle méthode est la meilleure manière d’asseoir voire de rehausser le prestige desdites institutions ? L’usage des majuscules obéit à des règles grammaticales très strictes.

En grammaire française, la majuscule est employée aux noms propres, en début de phrase, aux sigles et initiales, après un point, un point d’exclamation, un point d’interrogation, à la suite des trois points de suspension placés à la fin d’une phrase, A l’intérieur d’un discours normatif, les signes de ponctuation utilisés sont le point, le double point (ou deux points), le point-virgule, la virgule et les guillemets. L’emploi de tout autre signe que ceux ci-avant cités est contre-indiqué.

Les noms désignant les organes constitutionnels – autrement dénommés sous le vocable « Institutions Républicaines » citées à l’article 4 du texte promulgué le 6 avril 2020 – sont, dans leur transcription, des exemples d’abus de la majuscule.

Il est de règle, pour son rôle d’auxiliaire simplement propre à adjectiver ou à servir de complètement, que la première lettre d’une détermination (adjectif ou complément du nom) soit mise en minuscule lorsqu’elle placée après un nom central (ou substantif principal).

La minuscule permet d’opérer une distinction entre l’institution et la personne qui l’incarne. Dans les documents officiels, à titre de  formule d’appel, lorsqu’on s’adresse au président de la République par écrit, on met la majuscule à la première lettre de monsieur, de madame et du mot président à titre de marque de déférence.

Dans la même veine, on écrit :

  • chef d’Etat qui désigne l’institution, et Chef d’Etat quand on s’adresse à la personne qui l’incarne comme marque de respect. ;

  • Premier ministre en tant qu’institution, mais Monsieur le Premier Ministre dans une formule d’appel  en guise de considération:

  • Ministre en quand il désigne l’institution, mais Monsieur ou Madame le Ministre dans une formule d’appel :

Aussi, plutôt que :

  • Assemblée Nationale ;

  • Cour Constitutionnelle ;

  • Cour Suprême,

  • Cour des Comptes :

  • Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel ;

  • Commission Electorale Nationale Indépendante :

  • Institution Nationale Indépendante des Droits Humains.

Ecrire :

  • Assemblée nationale :

  • Cour constitutionnelle ;

  • Cour suprême ;

  • Cour des comptes ;

  • Conseil économique, social, environnemental et culturel ;

  • Commission électorale nationale indépendante ;

  • Institution nationale indépendante des droits humains. 

Ensuite, il convient de souligner que la première lettre d’une détermination placée avant un substantif principal prend la majuscule.

Ainsi donc, écrit-on :

  • Haute Cour de justice ;

  • Haute Autorité de la communication.

Enfin, plutôt que :

  • Député (article 67 et s.) ;

  • les guinéens (cf. article 27 paragraphe 2) :

  • Peuple de Guinée ;

  • Journal Officiel (article 54 et s. article 3 du décret de promulgation) etc.

Ecrire :

  • député (article 67 et s.) ;

  • les Guinéens (cf. article 27 paragraphe 2) ; 

  • peuple de Guinée ;

  • Journal officiel (article 54 et s. article 3 du décret de promulgation) etc.

 4.- De l’usage d’expressions fautives

L’article 31 paragraphe 2 du texte promulgué le 6 avril 2020, tel que publié au Journal officiel du 14 avril 2020, s’énonce ainsi qu’il suit : « Les groupements dont le but est contraire aux lois ou qui troublent l’Ordre public peuvent être dissouts, après qu’ils aient été invités à s’y conformer ».

Outre l’inexistence de ce paragraphe dans le projet de constitution soumis à l’approbation du peuple de Guinée, le 22 mars 2020, par analogie à la locution « avant que », les fraudeurs ont fait suivre du subjonctif la locution « après que ». Or, du point de vue grammatical, au titre de la concordance des temps, dans la langue écrite, à la différence de « avant que » qui appelle le mode subjonctif, « après que » est suivi de l’indicatif ou du conditionnel. Il convient de rappeler que le mode usité en droit est l’indicatif, principalement le présent et exceptionnellement, selon les situations, le passé composé ou le passé simple.

Au final, la formule correcte est celle-ci : « Les groupements dont le but est contraire aux lois ou qui troublent l’ordre public peuvent être dissouts, après qu’ils ont été invités à s’y conformer ». Et, le O de l’ordre public s’écrit en minuscule, ordre n’étant un nom propre.

Par Nabi Souleymane Bangoura
Juriste, ancien Secrétaire permanent de la Commission
sous régionale des Pêches basée à Dakar