Le coup d’Etat qui a éjecté IBK de son fauteuil de président démagogiquement élu du Mali fait encore couler beaucoup d’encre et de salive. Alors que la junte se fait applaudir à tout rompre par les populations maliennes, victimes de la gabegie du système Kéita, les voix s’élèvent dans la sous-région ouest-africaine pour exiger la réinstallation du président déchu dans ses fonctions de monarque inoppérant. Des dictateurs endurcis comme Alpha Condé de Guinée, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, qui mettent la dernière main aux préparatifs d’un coup d’État civil encore plus pernicieux dans leurs pays, comptent parmi les chefs d’État de la CEDEAO les plus décidés à aider IBK à retourner à Koulouba par la force. Mais les experts en matière de défense et de sécurité dans la sous-région le déconseillent vivement. C’est notamment le cas du colonel Adje de l’armée sénégalaise, interrogé par nos confrère de Le Quotidien de Dakar.

Le Qutidien : Quelle lecture faites-vous du coup d’Etat militaire renversant Ibrahim Boubacar Keïta forcé finalement à la démission ?

Colonel Adjé : J’ai déjà dit que la qualification de «coup d’Etat» est inappropriée et j’ai avancé le concept rendu célèbre par la Général De Gaulle de «pronunciamento». En effet, il y a 3 types d’interruption du fonctionnement normal des institutions. Premièrement, le coup d’Etat qui est le fait d’une personne investie d’une autorité au sein de l’Etat et qui modifie par la force ou par d’autres moyens le fonctionnement de l’Etat à son profit.  J’ai donné l’exemple des événements de 1962 au Sénégal. On pourrait aussi citer Hitler, Bokassa et même Napoléon Bonaparte avec le «Directoire».

Deuxièmement, le putsch est une intervention préparée exécutée par surprise avec usage de la force pour s’emparer du pouvoir. Ce mode d’action entraîne un lourd bilan du côté des forces loyalistes et dans la population. De ce point de vue, le coup contre Salvador Allende en 1974 est un putsch, en Ethiopie avec Mengistu, en Somalie, au Maroc contre Hassan 2 avec le Colonel Amokrane et après Oufkhir.

Enfin, le «Pronunciamento» est aussi interruption du fonctionnement des institutions mais celles-ci sont déjà fortement ébranlées par la rue. Il est monté par un groupe qui fait une déclaration d’où le mot «pronunciamento». Cela se fait sans utilisation de la force létale, se déroule dans un temps plus ou moins long du fait de l’ultimatum et souvent sans effusion de sang. Les populations étant déjà dans une posture de défi aux pouvoirs publics qui ont perdu toute autorité. C’est le cas au Mali ou c’est soit l’Armée,  soit un aventurier,  soit des mouvements de la Société civile ayant encadré la désobéissance civile. Dans un pays en guerre et qui est le verrou contre le  terrorisme, il serait suicidaire de laisser les choses pourrir comme avec l’Etat islamique en Orient.

Les Présidents Issoufou du Niger, Ouattara (Côte d’Ivoi­re) et Condé (Guinée) veulent une intervention militaire pour rétablir IBK dans ses droits mais le Président sénégalais, Macky Sall, dit non. Laquelle des approches vous semble la meilleure ?
Concernant l’intervention militaire,  de quel droit la Cedeao peut-elle lancer une action contre le Mali ? Tous ceux qui soutiennent cette idée se sentent morveux comme Ouattara et Condé ou ont une piètre interprétation des enjeux stratégiques de la sous-région comme Issoufou ! Il faut regarder au-delà de Bamako pour voir la menace qui pèse sur la sous-région et qui doit être l’enjeu dans le cadre de la paix et de la stabilité. Il faut gérer avec intelligence cette situation comme le propose le Président Macky Sall d’autant plus que l’ordre constitutionnel sera rétabli mais sans IBK.

Est-il possible de rétablir le Président Ibrahima Boubacar Keïta dans ses fonctions ?
Vouloir forcer le retour d’IBK serait une erreur grave de la part de la  Cedeao. Le Mali, ce n’est pas le cas de la Gambie qui, elle, répondait à un des six scénarii de l’Architecture paix et sécurité en Afrique (Apsa). En plus, la Cedeao doit regarder plus l’intérêt des peuples que les penchants de chefs d’Etat qui ont perdu la confiance de leur Peuple par une gestion «gabégique» des maigres ressources de leurs pays. Les prochains développements attendus, notamment la mise place des organes de la transition, devraient nous éclairer sur les intentions de la Junte. En tout état de cause, la situation actuelle au Mali demande une lecture intelligente de la géopolitique sous-régionale marquée par la prégnance de la menace terroriste dont l’éradication doit rester l’objectif stratégique des pays de la Cedeao. Tout affaiblissement dans la lutte poserait des défis incommensurables à la sous-région dont le  Mali est le centre de gravité.