La vie est souvent faite de paradoxes. Curieuse coïncidence, cette semaine, nous célébrons l’anniversaire de deux événements qui ont marqué l’histoire récente et lointaine du pays. Le 28 septembre 1958, les Guinéens par un vote majoritaire s’affranchissaient de la tutelle coloniale. Ce même 28 septembre 2009, au stade du même nom, de graves et tragiques événements ont eu lieu. Face à ces deux dates, quelle attitude faudrait-il avoir ? Evoquer les conditions dans lesquelles le vote du 28 septembre s’est déroulé, ou compatir à la douleur des familles des nombreuses victimes du drame du 28 septembre 2009 ?
L’un dans l’autre, ces deux dates nous incitent à une profonde interrogation : à quoi aura finalement servi le vote du 28 septembre 1958 ? Hormis la liberté recouvrée, qu’avons-nous fait de notre indépendance politique ? « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». Cette phrase, prononcée il y a 62 ans, est aujourd’hui plus vivante que jamais. Libres, nous le sommes. Mais encore pauvres. Dirigé tour à tour par feu Ahmed Sékou Touré, feu le général Lansana Conté, le capitaine Moussa Dadis Camara, le général Sékouba Konaté, et actuellement par le professeur Alpha Condé, notre pays est-il condamné à n’être riche que de ses potentialités ? Au regard de son histoire, l’on serait tenté de répondre par l’affirmative.
Les problèmes économiques et politiques, les lenteurs administratives et la corruption presque institutionnalisée chez nous restent des éléments de blocage énormes qui pèsent lourdement sur le facteur développement, si nécessaire à la mise en valeur de nos ressources humaines et minières. Notre pays n’a malheureusement pas encore eu la chance d’avoir des dirigeants visionnaires susceptibles de briser le cercle vicieux du mal développement. Au lendemain de notre indépendance, le règne de 26 ans du PDG, le Parti démocratique de Guinée, s’appuyant sur une dictature implacable, n’a guère trouvé de solutions à l’essentiel des préoccupations des citoyens.
Le 3 avril 1984, avec l’arrivée des militaires au pouvoir et la chute de la dictature, une vague d’espoirs gagna tous les Guinéens. Quelques années plus tard, il a fallu déchanter. A la mort de Lansana Conté, l’économie du pays est à terre. Les Guinéens qui peinent à avoir un plat par jour, importent pratiquement tout ce qu’ils consomment (notamment le riz, l’aliment de base), alors qu’ils habitent un vaste et généreux jardin. En plus d’être traversé par plusieurs grands fleuves de la sous-région, ce qui lui vaut son appellation de « château d’eau de l’Afrique, » le pays est arrosé par des pluies abondantes six mois par an. On y trouve tout, ou presque : riz, tomate, oignons, café, cacao, bananes, melons, ananas…
Mais l’agriculture est morte, à l’image de tous les autres secteurs, passant de 90% du PNB du pays avant l’indépendance à moins de 20% ces dernières années. Signe le plus éloquent de cette régression, le pays n’est plus cité en exemple dans le secteur de la banane alors qu’il était, avec 700.000 tonnes, et loin devant la Côte d’Ivoire, le premier exportateur du temps de l’Afrique occidentale française.
C’est ce pays économiquement meurtri qui assiste au retour de la Grande muette aux affaires après la disparition de Lansana Conté. Une transition militaire qui, cahincaha, sous la pression de la communauté internationale, va conduire le pays aux premières élections véritablement ouvertes. Avec à la clé, l’accession à la magistrature suprême du professeur Alpha Condé, « l’opposant historique » pour un premier mandat de cinq ans. Et en octobre 2015, il rebelote pour un second et dernier mandat. Dans quelques mois, ce second et dernier mandat sera bouclé. Et à l’occasion, son bilan sera établi. Un exercice qui consistera à mettre au regard de ses nombreuses promesses, les actes qu’il aura posés. Sans passion mais avec objectivité, le bilan global de sa gouvernance va être fait. Au bout du compte, l’on sera fixé sur le sort de notre cher pays qui, en dépit de quelques notables avancées, se cherche encore. Va-t-on enfin commencer à goûter aux délices de la bonne gouvernance ?
Le casse-tête du 28 septembre 2009
Quelques heures après le décès, le 22 décembre 2008 du président Lansana Conté, c’est un capitaine de l’armée, inconnu de la population, mais apprécié au sein de la troupe, qui s’est imposé à 44 ans comme le nouvel homme fort du pays. Son programme affiché : assurer la transition, organiser un scrutin présidentiel et retourner en caserne. Mais par la force des choses, avec en sous-main, des encouragements et conseils de certains opportunistes, le chef de la junte militaire changeait de programme. Il envisageait de briguer un mandat présidentiel.
C’est dans ce contexte que, décidés à empêcher la candidature de Dadis Camara à la présidentielle du 31 janvier 2010, les chefs des partis politiques, réunis au sein du Forum des Forces vives de la Guinée, invitent leurs militants et sympathisants à une manifestation populaire. Ils choisissent le 28 septembre, jour anniversaire du « non » au référendum gaulliste de 1958, qui marque le début de l’indépendance de la Guinée.
En dépit du refus de la junte d’autoriser la manifestation en décrétant la journée du 28 septembre fériée, les militants et sympathisants des Forces vives répondent massivement à l’appel de leurs leaders. Aux environs de 11h, ceux-ci, sous les acclamations, font leur entrée dans un stade archicomble. On connaît la suite. Sur ordre de la personne qui reste à identifier par la justice, les troupes encerclent le stade avant de faire irruption dans l’enceinte. Les manifestants sont pris au piège. La répression commence. La foule, désarmée, va subir les foudres des militaires. Tirs dans le tas, à balles réelles, jets de grenades lacrymogènes, attaques au couteau, coups de gourdin…Débandade, bousculades, cris de détresse, la panique est totale…Les morts tombés sous les tirs à bout portant, jonchent par dizaines la pelouse et les tribunes. Cette intervention musclée a donc fait d’innombrables victimes : une centaine de morts, des milliers de blessés et des femmes traumatisées à vie.
Le gouvernement au pied du mur
Le dossier des massacres du 28 septembre est un dossier très sensible, et complexe. Depuis maintenant 11 ans, le pool des juges en charge du dossier « n’a pas encore finalisé l’instruction.» En cas d’incapacité de notre justice, la CPI prendra indubitablement le relais. En plus de cette exigence de justice, ce dossier a des implications politiques. Ce n’est un secret pour personne, la Guinée Forestière représente un vivier électoral de premier ordre. L’ex chef de la junte militaire, originaire de cette région, est l’objet de toutes les attentions. Même s’il a été entendu par des juges burkinabè, à terme son cas va poser problème. Quoi qu’il en soit, la justice guinéenne à travers ce dossier, a une réelle opportunité de prouver son indépendance et sa capacité à finaliser dans les délais attendus, la procédure en cours. On attend de voir si l’engagement pris par le gouvernement sur la tenue du procès, sera enfin honoré.
Thierno Saïdou Diakité