Le Covid-19 a impacté tous les secteurs d’activité, notamment les agriculteurs, contraints de jeter les stocks de lait, d’œufs et de légumes qu’ils n’arrivent plus à écouler. Les consommateurs, eux, ne pouvaient pas s’approvisionner. Comment expliquer une surabondance de produits agroalimentaires d’un côté et des pénuries de l’autre ? Julian Lampietti, chef service au pôle mondial d’expertise en agriculture et alimentation, Ghada El Abed, économiste et Kateryna Schroeder, économiste agricole, proposent d’exploiter le numérique pour pallier le confinement.

Dans un billet publié par la Banque Mondiale, les experts expliquent d’abord la chaîne de production. Que chacun des 7,7 milliards de personnes est un maillon du système alimentaire. Les produits agricoles sont issus de 570 millions d’exploitations, pour la plupart familiales, de petite taille et situées dans les pays en développement. Bien qu’il fournisse de la nourriture à une population mondiale qui a plus que doublé au cours des 50 dernières années, le système alimentaire est loin des objectifs de développement durable liés à l’élimination de la faim et de la pauvreté, à la santé, à l’utilisation des terres et à la lutte contre le changement climatique. « Nous produisons beaucoup de nourriture, mais le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté depuis 2014 (114 millions). L’agriculture est responsable de 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, absorbe 70 % de la consommation d’eau douce et constitue le principal facteur à l’origine de la perte de 60 % de la biodiversité chez les vertébrés depuis les années 1970. Le coût de ces externalités négatives s’élève à 12 000 milliards de dollars selon « la Food and Land Use Coalition ». Selon les Perspectives économiques mondiales de juin 2020, 100 millions de personnes supplémentaires risquent de basculer dans la pauvreté à cause de la pandémie. Cette situation nous éloigne de nos objectifs en provoquant une baisse des revenus et en créant des difficultés d’accès à la nourriture et à la nutrition qui pourraient entraîner une famine à grande échelle, selon le Programme alimentaire mondial.

Agriculture connectée

Le développement rapide des technologies et des réseaux numériques promettent d’accélérer la transformation du système alimentaire. À l’instar de l’utilisation de la charrue pendant la révolution agricole britannique ou de l’association de nouvelles semences et d’engrais pendant la révolution verte, les innovations numériques d’aujourd’hui favorisent l’efficacité en de multiples points de la chaîne de valeur alimentaire, estiment les experts.

Les plateformes numériques peuvent contribuer à déconcentrer et à augmenter le nombre de marchés du système alimentaire. À la suite de la pandémie, de nombreux gouvernements locaux et opérateurs privés sont passés aux plateformes numériques pour connecter les producteurs et les consommateurs, bloqués par les mesures de confinement. Par exemple, au Kansas, (Etats Unis), les réseaux sociaux ont permis de mettre en relation les éleveurs et les consommateurs à la recherche de viande bovine de qualité, alors que la pandémie avait vidé les rayons de viande des commerces locaux. En Inde, l’Odisha Rural Development and Marketing Society a mis sur pied un système de livraison à domicile de légumes par des organisations de producteurs locaux, qui recourt à des balances électroniques et des terminaux de paiement numériques. Au Kenya, Twiga Foods, par exemple, est une plateforme de commerce interentreprises créée en 2014 et utilisant la téléphonie mobile. Elle permet l’offre et la demande de fruits et légumes à petite échelle et de supprimer les intermédiaires, éliminant ainsi le gaspillage et réduisant les prix des denrées alimentaires pour les consommateurs individuels.

Attention !

L’utilité des plateformes numériques pour développer le système alimentaire est donc évidente ; cependant, leur impact économique et sociétal doit être surveillé. Il sera indispensable de veiller avec soin, à l’équilibre entre intérêts privés et publics dans la déconcentration des plateformes au sein du système alimentaire. Le rôle des politiques publiques est d’empêcher qu’elles ne s’arrogent une position trop dominante sur le marché. Décentraliser la traçabilité des aliments tout au long de la chaîne d’approvisionnement permettrait d’obtenir des aliments plus sûrs et plus durables. Cet enjeu est fondamental quand on sait que chaque année, quelque 600 millions de personnes tombent malades après avoir consommé des aliments contaminés, ce qui coûte aux pays à revenu faible et intermédiaire 110 milliards de dollars en pertes de productivité et en dépenses de santé. Savoir d’où viennent les aliments et comment ils ont été produits permet aux consommateurs de prendre des décisions plus éclairées sur les effets de l’alimentation sur leur santé et celle de la planète.

Une synthèse de
Oumar Tély Diallo