Élections tendues en Côte d’Ivoire et en Guinée, putsch au Mali, processus électoraux contestés, absence de renouvellement des classes politiques, défiance des citoyens vis-à-vis de leurs élites… Les motifs d’inquiétude sont légion. Un sursaut démocratique est-il possible ?

Il fut un temps, pas si lointain – c’était lors de la décennie précédente – où l’Afrique de l’Ouest s’illustrait en matière de démocratie. Les alternances se multipliaient à un rythme effréné : Côte d’Ivoire (malgré la crise post­électorale), Sénégal, Guinée, Bénin, Ghana, Gambie, Niger, Cap-Vert… Le Mali élisait triomphalement Ibrahim Boubacar Keïta pour mettre fin aux affres d’un coup d’État. Roch Marc Christian Kaboré tournait la page de la révolution qui avait précipité la chute de Blaise Compaoré. Nous étions fiers et espérions que ces petites victoires feraient tache d’huile.

Désillusion et défiance

Las ! Le vent tourne vite, et la supposée vigilance des grandes puissances, qui disent veiller au grain, n’obéit qu’à leurs intérêts. La séquence électorale qui s’annonce aujourd’hui dans la région n’a rien de rassurant, bien au contraire.

Des présidentielles cruciales (et déjà plus ou moins contestées) sont prévues au cours de cette fin d’année sous haute tension. Le 18 octobre en Guinée, le 31 octobre en Côte d’Ivoire, le 22 novembre au Burkina et le 27 décembre au Niger, cas atypique s’il en est puisqu’il s’agit du seul pays où le chef de l’État ne se représente pas.

Le tout pendant que l’attention restera focalisée sur le Mali, où des militaires ont été acclamés par la foule pour avoir chassé du pouvoir un « IBK » impopulaire et resté sourd aux exigences de ses concitoyens. Il n’est pire situation pour la démocratie que lorsque la grande muette se mue en ultime recours…

Cette série de scrutins ne laisse d’inquiéter. Les troisièmes mandats potentiels d’Alassane Ouattara et d’Alpha Condé ravivent les tensions politiques et font craindre le retour de la violence.

Au Burkina comme au Niger, dans un contexte sécuritaire guère propice à une compétition électorale sereine, certains expriment déjà leurs doutes sur la transparence et l’équité d’un processus taillé sur mesure pour reconduire Kaboré et faire élire le dauphin de Mahamadou Issoufou, Mohamed Bazoum.

Dénominateurs communs de ces différentes élections : un sentiment certain de désillusion parmi les électeurs et une défiance sans précédent vis-à-vis d’une classe politique, pouvoir et opposition confondus, qui éprouve toutes les peines du monde à se renouveler. Défiance qui n’épargne guère les élites, accusées de se préoccuper davantage d’amasser les CFA de manière suspecte et d’en jouir ostensiblement que de jouer leur rôle de catalyseur et de créateur de richesse pour tous et d’emplois. Bref, pas de quoi pavoiser…

Le même scénario

« Mieux vaut partir cinq ans trop tôt que cinq minutes trop tard », disait le général de Gaulle. Les chefs d’État africains, mais aussi les autres acteurs politiques du continent, opposants au long cours compris, peuvent toujours méditer ce précepte.

Ce n’est pas nouveau : sous nos cieux, l’accession au pouvoir – et nous ne parlons pas que de la magistrature suprême – comme la manière de le quitter sont le plus souvent régies par l’arbitraire, les rapports de force et l’argent.

Le scénario est toujours le même : courtisans, plumitifs, intellectuels, parti présidentiel ou alliés, et associations de masse appellent le chef de l’État à prolonger son bail.

Pour achever ses chantiers si prometteurs ou pour accompagner quelque temps encore des populations qu’on ne saurait abandonner à leur sort dans des circonstances aussi préoccupantes. Pour conserver leurs privilèges, conseillers, ministres, amis, parents et autres thuriféraires ne manquent pas de lui seriner que le pays a encore besoin de lui. Ceux, plus audacieux, qui auront l’outrecuidance de tenter de le persuader qu’il est temps de passer la main sont le plus souvent écartés comme des malpropres.

Aucun président n’est irremplaçable

Les avocats du diable oublient qu’aucun président n’est irremplaçable, trahissant au passage le legs d’un Nelson Mandela qu’ils ne se privent pourtant pas de citer à l’envi, et, surtout, ne réalisent même pas que leurs discours ne portent plus au sein de populations de plus en plus jeunes, lucides et vigilantes. La démocratie ne peut s’épanouir – et s’enraciner – que lorsque le pouvoir politique est librement et légalement transmis.

Ces chefs ont désormais face à eux non plus des opposants faibles, sans moyens, corruptibles ou trop marqués, pour incarner une quelconque rupture, par un long compagnonnage avec ceux qu’ils vouent désormais aux gémonies, mais des opinions publiques qui ont considérablement évolué dans un laps de temps très court. Métamorphose qui correspond à celle des sociétés africaines.

En première ligne, une jeunesse plus politisée, désœuvrée, mais connectée, qui peine à supporter aujourd’hui ce que ses parents enduraient hier. Confrontés à cette nouvelle menace, à laquelle ils ne sont pas habitués, nos chefs ne savent guère comment s’y prendre, si ce n’est en recourant aux bonnes vieilles méthodes, pas vraiment subtiles – la chicote, l’utilisation dévoyée de l’appareil judiciaire ou des médias, l’argent –, en des temps qui y sont pourtant de moins en moins propices.

Aujourd’hui, cela fonctionne encore parfois. Mais pour combien de temps ? La pression – sociale, économique, démographique – monte. Partout en Afrique.

Nos dirigeants ne devraient avoir qu’une seule priorité : bâtir des économies susceptibles de créer suffisamment d’emplois pour le nombre croissant de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Une gageure rendue encore plus complexe par la crise liée au Covid-19.

Dans un tel contexte et en l’absence d’une réelle prise de conscience politique, il semble inéluctable que la cocotte-­minute finisse hélas par exploser…

Par  Marwane Ben Yahmed,

Directeur de publication de Jeune Afrique