A la mi-juillet, Mambi Magassouba a dédicacé Tant d’errances, son deuxième roman paru chez l’Harmattan Guinée, après Sadakal. Un ouvrage de 204 pages, nominé pour plusieurs prix dont celui Ahmadou Kourouma. Nous avons, avec l’auteur, papoté sur son bouquin qui décrit, sans complaisance, la dernière décennie guinéenne, à travers l’errance d’un groupe d’étudiants entre Cona-cris, Alger et Paris. 

A 33 ans, Mambi Magassouba est bien armé pour peindre le désarroi de la jeunesse guinéenne via les personnages Fâkoun Fila, Bélé-Bélé Bâ alias La Boule, Bouboudi, Wouléfalè, Kembâ, Dôkê…Mais également décrire la dernière décennie de la Guinée et ses acteurs politiques comme Béta Promesse, sorbonnard, futur président de la République, Cellou Dealer, ancien danseur reconverti en politicien, Sydy Tongodi, de la race des pygmées ou encore le bidasse Moussa Daghoui Camara. Suivez le regard !

 Tant d’errances évoque mascarade électorale, culte de la personnalité, mépris des dirigeants pour les dirigés. A l’approche des élections, « nos politiques draguent le peuple. Ils se montrent exemplaires en famille, avec femmes et enfants », écrit l’auteur. Une fois le président élu, « c’en est terminé. Il est choisi par les moutons, parmi les moutons, pour guider le troupeau de moutons ! (…) C’est bien cela nos dirigeants. Une fois élus par le peuple, ils se moquent du même peuple, lui chient dessus, le prennent de haut, l’insultent et le spolient ». On en est là.

Outre la Guinée et ses quartiers comme Akafokakè, les scènes se jouent à Alger (Algérie), où débarquent Fâkoun Fila et ses amis pour leurs études universitaires. Ils buttent au racisme arabe qui coûtera la vie au bel et fort Kembâ, victime de son amour pour la belle Nasna. Kembâ a été tué lors d’une bagarre avec Nabil qui n’a pas supporté que sa sœur, arabe, sorte avec un Nègre. A la suite d’un simulacre de procès de trois mois, le juge somme le reste de la bande de quitter l’Algérie. « C’est dans la même soirée que nous fûmes conviés à l’ambassade de France où nous ressortîmes, sans formalité, sur décision de l’ambassadeur avec des visas étudiants valables pour une année et renouvelables », écrit l’auteur.

A Paris, le racisme n’est pas arabe mais blanc. Les héros de Tant d’errances mènent une vie précaire, se font parfois mettre dehors pour loyer impayé, triment à trouver une université d’accueil. Au pays, les comptes épargnes de leurs parents sont saisis en guise de compensation par le président Béta Promesse qui vient d’échapper à un assassinat ourdi par l’armée. « La faim et l’inquiétude avaient absorbé nos dernières forces. Il arrivait des moments où La Boule se mettait à pleurer à chaudes larmes sans que nul n’ait l’énergie nécessaire pour le consoler ».

Bouboudi d’en conclure : « Que vous reste-t-il donc à faire ? Chez vous en Guinée, dans votre pays pourri, vous êtes opprimés. Au Maghreb, vous êtes assassinés. En France, les Blancs ne veulent pas de vous, ni même vos semblables noirs… ». Si l’œuvre est une fiction, ce qu’elle dénonce est du lot du quotidien du Guinéen lambda. L’auteur, Mambi Magassouba, le réitère dans cette interview exclusive.       

Le Lynx : « Tant d’errances » est loin d’être un long fleuve tranquille…

Mambi Magassouba : Tout à fait ! C’est un florilège de thèmes. Un style d’écriture que je me suis imposé depuis mon premier roman, qui consiste à bombarder le lecteur de plusieurs thèmes qui défilent les uns après les autres. Manière de dire qu’il y a beaucoup de fléaux, des tares à dénoncer en Afrique noire, on se retrouverait avec une centaine de romans s’il fallait consacrer à chacune d’elles un ouvrage. C’est un style cadencé, un peu rapide, où les thèmes sont toujours centrés autour d’un thème central.

Des choses horribles, mais des fois le lecteur ne peut s’empêcher de sourire. Un cocktail de drame et d’humour.

Je pense que l’art africain ne peut s’affranchir de l’humour. Un masque Baga, par exemple, avant de me faire peur me fait rire. Le théâtre n’est pas seulement humoristique, mais le guinéen est presque 100 % burlesque. On peut dénoncer les choses les plus graves sur un ton humoristique. Dans certains pays d’Afrique, même les décès sont une occasion de réjouissance. Il me fallait raconter des choses sombres avec légèreté.

Votre roman évoque l’errance d’un groupe d’étudiants de la Guinée à la Guinée, en passant par l’Algérie, la France. Un itinéraire jalonné de racisme, précarité, malgouvernance, répressions sanglantes, expropriations et exploitation sauvage des ressources minières… Est-ce dire que l’avenir est sans issue, sans perspectives ?

Si on continue dans cette direction, oui. C’est exactement cela. L’impossibilité d’être maître nulle part. Chacun a le sentiment d’être maître chez lui. On y a toujours un état de satiété qu’on ne peut trouver ailleurs. Mais ce sentiment est en train de disparaître chez le Guinéen. Des gens, au péril de leur vie, dépensent des millions de francs, des milliers d’euros, pour se lancer dans une aventure incertaine. Les autres expatriés, quoiqu’ils vivent bien ailleurs, se sentent toujours mieux chez eux. Quant à nous, non seulement on n’arrive pas à posséder ailleurs, mais on a le sentiment qu’on est en train de nous déposséder chez nous. L’exploitation minière est l’allégorie la plus parfaite de cette dépossession : on ramasse sous nos yeux la terre qu’on cultive, où on habite, marche… Il n’y a pas pire ! Ce n’est pas forcément un réquisitoire contre l’exploitation minière, mais contre les méthodes de l’exploitation sauvage.

Vous parlez de la Guinée, de ses acteurs politiques, de cette décennie finissante : craignez-vous que 2020 soit un remake de 2010 ?    

C’est une roue, un cycle, un perpétuel recommencement. La situation guinéenne n’est pas évolutive. Au début, il y a un espoir. Après quand on entend le discours, on se dit : non, ce n’est pas lui. D’autres viennent, toujours les mêmes. Ceux qui sont susceptibles d’être la relève ne sont pas, à y voir de près, ceux qui vont changer le pays. Ils sont encore plus ancrés dans les pratiques néfastes de leurs aînés. Le rêve des jeunes n’est pas de créer une entreprise, d’écrire un livre, d’apporter des solutions concrètes…C’est d’avoir un marché léonin avec l’Etat, construire une belle maison, s’acheter une voiture. Le rêve de la jeunesse guinéenne s’arrête-là : s’enrichir sans effort, brusquement, sans contrepartie pour la société.

Quel est l’auteur qui vous inspire, Ahmadou Kourouma dont le nom est celui d’un prix pour lequel vous êtes nominé ?

Non ! Je l’ai très peu lu. J’ai lu Les soleils des indépendances ; je n’ai pas terminé En attendant le vote des bêtes sauvages. J’ai été plus inspiré par William Sassine et Alain Mabanckou (écrivain et enseignant franco-congolais) que je lisais beaucoup. Je n’ai pas pu percer le mystère de l’œuvre d’Ahmadou Kourouma, même si je suis très content d’être nominé au prix portant son nom. Il est arrivé qu’un primo remporte même le Goncourt. Je suis à mon deuxième roman, je veux avoir le prix mais je ne serai pas déçu si je ne l’avais pas.

Ce que je trouve vraiment dommage, à part les journalistes et quelques critiques littéraires, le Guinéen lambda ne connaît pas la portée du roman de manière générale. La plupart des gens ne disent pas : « tu as publié un roman, je vais me le procurer ». Ils nous reprochent plutôt de ne pas leur avoir envoyé un exemplaire. Or, ce n’est qu’à partir du 600e exemplaire vendu que je commence à toucher 6 %. Ce qui est très dérisoire. Personne n’écrit en Guinée pour de l’argent. Tous les romans ne méritent peut-être pas d’être lus, mais pas celui qui a reçu un accueil international, qui fait partie de quinze ouvrages sélectionnés dans toute la Francophonie. Rien qu’en Guinée, on publie plus de 200 romans par an. Dans d’autres pays, l’écho aurait été plus retentissant. En Guinée, on est focalisé sur autres choses. De la même manière que ce sont les médiocres qui sont à la tête du pays. C’est vraiment dommage ! J’ai été appelé par des maisons d’édition italiennes qui ont lu mon roman et veulent le traduire dans leur langue. La BBC m’a contacté pour des entretiens. Cela me réconforte, surtout quand je vois également l’engouement de certains médias guinéens. Mais le lectorat guinéen n’est pas encore né. Au début, mon livre était autant lu en Guinée qu’au Djibouti, c’est extraordinaire ! J’espère qu’un jour on reconnaîtra l’importance du livre. Tous les grands pays du monde sont des pays de culture.

Interview réalisée par Diawo Labboyah